« Tu tiendras deux jours ! » En gros, personne n’y croyait. Le défi ? Tenir dix jours dans un ashram pendant lesquels la principale activité était la méditation, dix jours pendant lesquels je n’allais pas avoir le droit, entre autres, de parler. Ce qui, en effet, peut paraître difficile à croire quand on sait que : à dix ans, ma meilleure copine de primaire avait décidé de ne plus l’être car j’étais « trop extravertie. » Ce jour-là, elle avait résumé en un mot (que j’apprenais au passage) toutes les « qualités » qui allaient enchanter ma vie sociale autant qu’elles la pourriraient. Parler trop fort, sans cesse, être impulsive, pleine d’énergie, émotive, agressive… Comme beaucoup de personnes « entières », j’étais incapable de dompter mon esprit et mes émotions. Tout débordait sans que je puisse rien n’y faire. Ma vie était donc remplie de mes excès et de la culpabilité qui s’en suivait… Jusqu’au jour où j’ai découvert la méditation Vipassana.
Quand je suis entrée dans cet ashram situé au pied du mont Batur à Kintamani, j’ai cru qu’ils avaient tous fait erreur. Ils avaient tous l’air totalement serein. Et pourtant, nous étions plusieurs dizaines à avoir décidé de tenter l’aventure intérieure intensément et sérieusement, à la fois tous ensemble, et totalement individuellement, et nous avions chacun nos raisons. Parmi les règles établies au sein de l’ashram : le respect du silence, l’absence de contacts quel qu’ils soient avec les autres méditants, l’interdiction de lire, d’écrire, de prendre des photos, d’écouter de la musique et bien entendu de sortir de l’ashram… Oubliés les urgences, le travail, les obligations sociales. Libérés du flot continu de la société, volontairement enfermés dans cette prison en plein air, nous avions enfin le temps nécessaire pour aller voir en nous ce qui clochait et essayer de trouver la paix, encadrés par une petite équipe sympathique à qui l’on avait le droit de glisser quelques mots quand ça n’allait pas, et par notre gourou, Anna, qui veillait sur nous silencieusement lors de nos séances de méditation.
Pendant dix jours, le gong a sonné à quatre heures du matin. Dans la nuit, l’un des encadrants traversait l’ashram et frappait son gong pour nous réveiller. Au moment de la seconde tournée de gong, à 4h30, telles des ombres, nous rejoignions le hall de méditation et nous nous installions à la place qui nous avait été attribuée le premier jour. S’en suivait deux premières heures de méditation. Avant les huit qui allaient suivre ! Les séances commençaient et finissaient par les indications et les chants enregistrés de S.N. Goenka, celui qui propagea la méditation Vipassana à travers le monde, décédé en 2013, afin de nous guider dans la pratique. « Jour 1 », « Jour 2 », « Jour 3 », la routine était pratiquement chaque jour la même. Quand nous ne méditions pas, nous étions au réfectoire, dans le jardin à l’ombre d’un arbre, recroquevillé sur notre lit au frais du dortoir. Et le gong continuait de sonner… De 4h du matin jusqu’au soir, 21h. Si bien que l’extravertie que je suis a commencé à compter les jours, les heures, les minutes, les sessions de méditation, les breaks, les douches… qui me séparaient de la sortie ou le meilleur moyen de péter un boulon et de repartir avant la fin du séjour avec mon balluchon. « Tu tiendras deux jours ! » Je luttais contre mes envies d’escapades…
Au bout du 4ème jour, j’ai compris que la solution était de se concentrer sur l’instant présent, d’y être totalement, sans penser à ce qui allait se passer après. Le « Jour 10 » finirait bien par arriver, dans tous les cas. Une fois décidée à vraiment profiter du temps qu’il m’était donné au sein de l‘ashram, l’affaire n’était pas terminée. La méditation, c’est rester immobile pendant que l’on essaye de maintenir son esprit en place. Autant dire une vraie gymnastique à l’envers, que ni votre corps ni votre mental n’ont l’intention d’appliquer. Des crampes surviennent et avec elles, l’irrésistible envie de gigoter ! Et dans la tête, des dizaines de pensées, souvenirs, peurs, inquiétudes, font surface. En gros, l’esprit qui n’a pas l’habitude de faire ce qu’on lui dit fait tout pour nous décontenancer. Le « Jour 3 », pendant une séance de méditation, « ma mère est morte ». Je n’ai eu aucun coup de fil, aucun courrier, mais mon esprit n’avait pas besoin de ça pour m’informer que ma mère était décédée à l’hôpital, d’un accident de voiture survenu en allant au travail. C’était sorti de nulle part sinon de moi-même. Pourtant, j’étais inconsolable et orpheline pendant toute une journée. Par la suite, j’apprendrais bien entendu que ma mère se portait comme un charme.
Le « Jour 7 », l’angoisse de ma « mère morte » est revenue. Mais cette fois, je ne l’ai pas laissé m’envahir. La seule solution pour revenir au calme, était de se souvenir que tout est impermanent (anicca) et que tout passe. Même les peurs les plus irrationnelles. Malgré la douleur et les pensées, notre boulot de méditant Vipassana est donc d’orienter notre attention sur le souffle, l’air qui passe par nos narines et de se mettre en tête que cet instant effrayant va passer. Très vite, je pensais en effet à autre chose. Le souffle est un élément extrêmement important dans la pratique de Vipassana. Se concentrer sur son souffle, c’est un moyen de dompter, d’aiguiser son esprit. Les trois premiers jours, c’est ce que nous apprenons à faire. Une fois notre esprit assez aiguisé pour ne pas perdre son objet de vue, il est alors possible de se concentrer sur les différentes parties de notre corps et d’en ressentir toutes les sensations. Des fourmillements, des picotements, des pincements, des suintements et bien entendu toujours ces foutues crampes qui apparaissent et disparaissent à chaque instant. Grâce à l’observation de celles-ci, j’avais alors fini par comprendre, qu’en effet, rien n’est permanent. Et si rien n’est permanent… A quoi sert-il de s’en faire ?
Chaque soir, nous nous retrouvions dans le hall pour écouter un discours enregistré du maître S.N. Goenka. Il parlait avec calme, humour et bienveillance, il était sans aucun doute heureux. C’était mon moment préféré de la journée car nous mettions enfin des mots sur ce que l’on ressentait au fil des jours et de nos méditations. J’ai compris que la méditation Vipassana, c’est arriver à prendre de la distance sur ce qui nous arrive, accepter les choses telles qu’elles sont et si possible, faire en sorte qu’elles s’arrangent sans se laisser emporter par la colère ou l’énervement, la tristesse ou l’impatience, toutes ces choses qui nous rendent malheureux et blessent notre entourage… Or, prendre cette distance, c’est exactement ce que nous faisons en nous asseyant dix heures par jours, dix jours d’affilé, sans bouger, sans réagir. Pendant nos méditations, nous acceptions nos faiblesses, nous tolérions ce qui était (même la mouche qui naviguait sur notre visage), ce qui n’était plus, avec patience et calme, en refusant de céder à l’impulsivité. Nous étions équanimes.
Le dernier jour, nous avons enfin eu le droit de nous parler… L’extravertie que j’étais avait vécu ce renoncement à la parole comme une libération. J’avais enfin eu du temps pour moi et moi seule. Si certains ont explosé comme des Cocottes-minute et se sont mis à débiter des flots de paroles sans s’arrêter, j’ai continué à profiter de mon monde de silence pendant encore un peu de temps, de peur qu’on puisse troubler l’équilibre instauré. Et puis, j’ai commencé à écouter… Et à parler. Très vite, nous ne pouvions plus nous arrêter d’échanger à propos de notre vie et de notre expérience à l’ashram, du bienfait et du bonheur que nous éprouvions après ces dix jours hors du commun. Ces étrangères, sur lesquelles j’avais collé une étiquette pendant mon séjour, étaient désormais mes sœurs, et les étiquettes envolées. Mes jugements négatifs avaient laissés la place à de la bienveillance et de la sympathie inconditionnelles pour chacune d’entre-elles, quel que soit leur âge, leur nationalité, leur origine sociale. Si je ne connaissais pas toutes les raisons qui avaient poussé les autres méditants à rejoindre l’ashram, en voyant leur visages à la sortie, je crois que chacun d’entre nous avait finalement trouvé ce qu’il était venu chercher, l’objet d’une quête universelle : faire la paix avec soi-même et avec les autres.
Site Internet: www.dhamma.org
FB : Bali Vipassana Meditation
La méditation Vipassana
C’est quoi ?
Une méthode de méditation découverte en Inde par le Bouddha Gautama il y a plus de 2500 ans. Après avoir été propagée dans tout le pays et aux alentours, elle disparut de sa terre d’origine mais s’est maintenue en Birmanie. En 1955, S.N Goenka, un riche industriel birman commença à étudier cette méthode. Quatorze ans plus tard, en 1969, il retourna en Inde où il l’enseigna. Depuis, des milliers de personnes ont découvert et pratiquent au quotidien la méditation Vipassana.
Pour qui ?
Pour tous. La méditation Vipassana est une technique dénuée de tout sectarisme et enseignée à ceux qui le désirent gratuitement sans distinction de genre, de nationalité ou même de religion.
Pour quoi ?
Elle est considérée comme un « remède universel » à la souffrance tant physique que mentale qui touche l’ensemble des êtres humains au cours de leur vie. Grâce à elle, ceux qui l’appliquent au quotidien éradiquent leurs impuretés mentales (colère, jalousie, tristesse, envie…). Débarrassés de celles-ci, ceux qui la pratiquent peuvent alors voir les choses telles qu’elles sont réellement et profiter ainsi d’une vie plus consciente, plus lucide, apprendre à se maîtriser et trouvent la paix intérieure.
Comment ?
Tout passe, rien ne dure. C’est à partir de ce principe (anicca) qu’il est possible de comprendre comment fonctionne la méditation Vipassana. En prenant un temps pour observer nos sensations physiques, agréables et désagréables, il est possible de remarquer que chacune d’entre elle nait, avant de disparaitre. Exemple : Vous êtes assis depuis 15 minutes, votre genou droit devient très douloureux. Deux solutions, observer cette douleur et attendre qu’elle passe ou réagir en dépliant votre jambe. Or, selon la méditation Vipassana, ce sont nos réactions face à nos sensations liées aux 6 sens (les 5 que l’on connait déjà + le mental) qui sont responsables de notre souffrance. La méditation nous apprend à garder notre calme en toutes circonstances. Ce qui est vrai dans notre corps, l’est dans notre vie de tous les jours. Vous entendez (sens de l’ouïe) des insultes à votre égard, cela ne vous est pas agréable. Encore une fois, deux solutions : vous réagissez et laissez exploser votre colère en déversant à votre tour un flot d’injures ou bien décidez de ne pas réagir, d’observer votre agresseur dans sa colère jusqu’à ce qu’il s’épuise lui-même et restez calme et paisible face à la détresse qui est la sienne. Vous ne pouvez pas changer le monde, la seule chose que vous pouvez changer, c’est vous. Ainsi, apprendre à accepter les situations de la vie quelle qu’elles soient sans y réagir avec violence, passion, colère… C’est développer l’équanimité, la tranquillité, la paix intérieure et peu à peu se débarrasser de nos impuretés.