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Mangrove balinaise sous plastique

Qu’on ne s’y trompe pas, la mangrove de Bali recouverte de plastique n’est pas la dernière œuvre de Christo. Il s’agit plutôt d’une terrifiante constatation lorsqu’on a l’opportunité de visiter ce milieu naturel difficilement accessible, qui s’étend entre Sanur et Benoa, et de voir les tonnes de déchets qui l’ont envahi. Typiquement, une mangrove est une forêt regroupant un ensemble d’arbres et d’arbustes, plus d’une trentaine d’espèces différentes au total, qui se développe dans des zones côtières boueuses accessibles aux marées. Celle de Bali, qui souffre d’importantes dégradations, bénéficie depuis une quinzaine d’années des soins de spécialistes internationaux et de budgets alloués par le Japon et le gouvernement indonésien. Près de 250 hectares ont été réhabilités sur les 1370 que compte Bali. L’essentiel de cette réhabilitation concerne la reconversion de bassins d’alevinage abandonnés, dont on peut encore voir certains vestiges en circulant sur le by pass.

Les efforts conjugués du MIC et de la Mangrove Society peuvent donc s’enorgueillir de résultats probants. D’autant que replanter les arbres de la mangrove ne représente pas de difficultés particulières. En théorie, « les pousses s’allongent d’un mètre par an durant les cinq premières années », explique Yuni Wiratini, experte en éducation environnementale et secrétaire du MIC. Les bienfaits d’un tel écosystème sont nombreux sur le reste de l’environnement. « La mangrove protége la côte de l’abrasion causée par les vagues dans un sens et empêche les sols érodés de se répandre dans la mer dans l’autre », explique pour sa part Daniel Chieppa, président de la Mangrove Society. Et puis, « comme n’importe quelle autre forêt, la mangrove transforme le CO2 en oxygène », ajoute ce Français installé depuis 18 ans à Bali.

Tout irait donc pour le mieux si la mangrove de Bali ne devait faire face à un danger qui s’est accru au-delà de toute limite depuis ces dernières années: la pollution. Résultat d’une urbanisation hors contrôle et d’un manque total de réflexion sur le traitement des déchets, ce flot ininterrompu de détritus est drainé vers la mangrove par les canaux de Denpasar et… les marées. « Vous nettoyez une portion le matin, à la marée suivante, tout est à refaire », explique pour sa part Dewi Satyawati, responsable de la gestion du site pour le MIC. Ces sacs en plastique s’accrochent aux racines aériennes typiques des arbres de mangrove et les étouffent, retardant leur croissance au mieux, les tuant au pire… A cet apport constant d’ordures s’ajoute de nombreuses nappes de carburants divers, encore une fois amenées par les marées, comme le note une brochure du centre, et qui sont fatales aux jeunes pousses.

« La mangrove fonctionne comme un filtre qui retient la pollution, et en plus, ce filtre est difficile à nettoyer », explique Daniel Chieppa. Si des opérations symboliques, menées par des bénévoles ou des employés, sont régulièrement lancées pour nettoyer la mangrove, on devine facilement la frustration de ces écologistes lorsque tout est à refaire le lendemain. Sans parler de la difficulté des opérations, car évoluer dans la boue et l’intrication des branches et racines des arbres de mangrove n’est pas une mince affaire. « C’est pourquoi un travail en amont est nécessaire », affirme pour sa part Komang Tri, responsable de la communication pour le compte du ministère, et des campagnes de sensibilisation aux déchets plastiques commencent à voir le jour, notamment dans les écoles.

Un autre projet a démarré à Pemogan, dans la banlieue sud de Denpasar. Cette localité est traversée par un important canal qui va se jeter dans la mangrove et constitue donc une source de pollution majeure. Partant du constat que les camions de ramassage des ordures ne pouvaient pas entrer dans les gang, le ministère a constitué une flotte de petits chariots afin de pouvoir faire la collecte et dissuader ainsi les gens de jeter leurs poubelles dans le canal. Il reste néanmoins un problème culturel. Pour les Balinais, la mangrove ne revêt aucun intérêt particulier, difficile à pénétrer, elle n’a d’attrait que pour les pêcheurs et autres chasseurs de biawak, ce grand lézard de mangrove. Il est à noter que jusqu’à maintenant, aucune des espèces animales qui l’habitent n’est en danger d’extinction. Toutefois, à plus long terme, des espèces marines vont immanquablement souffrir de la dégradation de la mangrove puisque celle-ci sert de garde-manger dans la chaîne alimentaire des espèces côtières.

Si la réhabilitation de la mangrove a été un succès, on comprend désormais que l’urbanisation sauvage du sud de Bali risque de tout compromettre. A priori zone non constructible, la mangrove a également vu la partie de son territoire gérée par le gouvernement local balinais se réduire comme peau de chagrin. L’énorme centre commercial Bali Galleria, construit à la fin années 90 sur la mangrove à Simpang Siyur, en est l’exemple le plus scandaleux. Selon les acteurs impliqués sur le terrain, l’avenir de la mangrove doit désormais passer par un remaniement des organismes qui s’en occupent. Jusqu’à maintenant, le MIC a été suspendu au bon vouloir budgétaire des Japonais et du gouvernement indonésien en fonction des objectifs fixés. C’est pourquoi, avec la Mangrove Society, il est question de créer une fondation indépendante qui pourrait bénéficier de mannes financières plus importantes.

En attendant, on peut toujours devenir membre pour une contribution annuelle de 250000 rp pour les particuliers et d’un million pour les entreprises. Les activités organisées par le MIC et la Mangrove Society s’adressent aux passionnés de nature. Des conférences animées par des spécialistes internationaux se tiennent tous les mois sur des sujets aussi divers que le corail, les espèces de papillons, le papier recyclé, etc. Ils organisent bien sûr des éco-tours, qui vont de l’observation des oiseaux à des séances de nettoyage et de replantage, et publient un bulletin régulier sur leur action. Mais la bataille est loin d’être gagnée. Comme le fait remarquer Dewi Satyawati en aparté : « Si ça ne tenait qu’à moi, j’interdirais toutes ces fabriques de sacs en plastique ! ».

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