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Ma p’tite entreprise humanitaire

Chiara montre fièrement les photos du petit Prio Utomo et raconte qu’elle l’a vu marcher pour la première fois il y a seulement quelques semaines. Les larmes lui viennent aux yeux, sa voix tremble, puis elle se ressaisit. Grâce à elle, l’enfant atteint du spina-bifida a cessé de ramper sur le sol pour se déplacer. C’est une victoire sur le sort, c’est aussi une victoire pour Chiara qui s’est investie au-delà de toute limite pour aider Prio et sa famille. « Si seulement les gens pouvaient faire comme moi, changer une petite chose », affirme-t-elle en séchant ses yeux.

En montant dans un avion pour Bali en 1996, Chiara ne se doute pas un seul instant que sa vie va se transformer pour toujours. Alors secrétaire dans un cabinet d’affaires de la petite ville de Lodrino, la jeune femme n’a encore jamais voyagé en Asie et n’a aucune idée du choc qui l’attend. Elle fait équipe avec une amie pour ce qui n’est à priori qu’un séjour « soleil et discothèques » et rappelle que sa première impression a été plutôt mauvaise car elle a trouvé Bali « très sale, pour une Suissesse ! ».

C’est tout d’abord les Indonésiens et leurs sourires qui la font changer d’avis. « Avant, j’étais une femme très sérieuse, très matérialiste, mais Bali m’a changé, j’ai du soleil dedans maintenant », précise-t-elle. Avec le temps, elle se dit cependant déçue par les gens d’ici, incombant la faute aux nouvelles générations qu’elle juge « plus attachées à l’argent ». Elle reconnaît également qu’elle s’est laissée tromper par le séduisant sourire des locaux et qu’elle n’a pas su en évaluer l’exacte nature dès ses premiers passages ici. Chiara séjourne à Bali six mois par an depuis plus de sept ans.

« Ici, on peut vivre simplement », ajoute-t-elle quand même. Elle reconnaît qu’avec le temps elle a su faire la part des choses mais sa voix est teintée d’amertume lorsqu’elle s’exprime. « Il y a trop de magasins, Bali est devenu une île de commerce, de travail et d’argent », déplore-t-elle. « Avant, c’était la liberté, personne ne vous disait non ici », se souvient-elle puis ajoute : « L’harmonie d’avant est perdue, maintenant je m’ennuie ». La jeune femme affirme qu’à chaque fois qu’elle vient à Bali, elle jure que c’est « la dernière fois ».

Pourtant, l’année prochaine, une nouvelle opération de Prio est prévue et Chiara sera là bien sûr. Le spina-bifida est une maladie congénitale de la colonne vertébrale, parfois accompagnée d’hydrocéphalie, qui ne peut être traitée avec succès que lors de la grossesse ou au pire juste après la naissance. Les opérations subies par ce garçon de neuf ans ne sont que des opérations de confort, il est trop tard pour le guérir, explique cette jeune femme célibataire qui ne se disait « pas trop attirée par les enfants » avant la rencontre avec Prio.

Chiara se remémore lorsque le père de Prio, un modeste marchand ambulant de krupuk qu’elle connaît à peine, la conduit à Denpasar pour lui présenter sa femme et ses enfants. Alors qu’elle échange amabilités avec l’épouse de son nouvel ami, elle voit avec surprise un enfant sortir en rampant d’une pièce voisine. Faute d’argent pour faire un diagnostic médical, les parents sont ignorants de la maladie et ne peuvent répondre aux questions de Chiara sur le mal qui frappe Prio. Celle-ci leur propose derechef de payer la consultation chez un spécialiste.

Une fois rentrée en Suisse, bouleversée au plus profond d’elle-même, Chiara ne songe plus qu’à trouver un moyen de soulager la souffrance du petit et va réorganiser toute sa vie autour de cet objectif. Il faut une opération. La jeune femme lance un appel à la solidarité dans plusieurs journaux helvètes et très vite commence à collecter des fonds. Des artistes la contactent, un médecin propose une opération gratis. Cette éventualité est écartée car il serait trop coûteux de faire venir Prio et ses parents en Europe.

Budget en poche, Chiara repart pour l’Indonésie afin de trouver un chirurgien compétent. C’est finalement à Solo (Java centre) que Chiara et les parents décideront de confier le sort de Prio au docteur Ismail pour la première opération, puis pour la deuxième. Chiara précise l’importance d’avoir un bon physiothérapeute pour le suivi post-opératoire de cette maladie. Elle laisse des fonds à la famille qui peut ainsi payer les frais médicaux annexes, scolariser les deux enfants et achète une mobylette au père qui va désormais pouvoir sillonner les kampung pour vendre ses krupuk.

Chiara a déjà réuni trente millions de roupies et continue, chaque fois qu’elle rentre en Suisse, de lancer des appels à la générosité. Elle travaille désormais comme serveuse saisonnière dans un restaurant et est retournée vivre chez ses parents. Elle rend compte consciencieusement de ces activités dans les journaux qui la soutiennent. Elle a pensé rejoindre une ONG mais son manque de qualifications l’en a empêchée. Afin d’y remédier, Chiara a suivi une formation de puéricultrice et aimerais maintenant « faire quelque chose pour les orphelins et les enfants des rues ».

Marraine d’une petite fille au Vietnam, Chiara envoie aussi des fonds à d’autres enfants en détresse et déplore que l’Indonésie ne soit pas considérée comme une priorité des organisations humanitaires « car il y a beaucoup à faire ici ». Elle regrette enfin la jalousie sociale manifestée par les voisins, qui a rendu la vie impossible à la famille aidée, au point qu’un déménagement s’impose. Un élément supplémentaire qui accroît la peine de Chiara. Il y a « quelque chose de cassé » dans son histoire d’amour avec Bali. A l’heure d’un premier bilan, elle a quand même un conseil à donner aux touristes qui viennent ici : « Essayez d’approcher la réalité du pays derrière le monde des vacances ».

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