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L’ISLAM NUSANTARA DANS LE DENI DE REALITE ?

Le terrible vent du terrorisme vient à nouveau de souffler sur l’Indonésie. En quelques jours et une série d’attentats, ce sont 28 personnes qui y ont succombé (dont 13 auteurs parmi lesquels des enfants) pour une soixantaine de blessés.

Cela a commencé par une émeute et prise d’otages mortelle dans une prison policière de Depok dans la banlieue de Jakarta. Ont suivi trois attaques quasi simultanées d’églises à Surabaya. Deux autres églises de la ville auraient aussi été ciblées mais les bombes n’y auraient pas été déclenchées. La veille, la police avait tué quatre suspects terroristes dans l’ouest de Java, et une famille certainement prête à passer à l’acte avait été décimée par l’explosion imprévue d’une bombe dans leur appartement de Sidoarjo, dans la banlieue de Surabaya. Le bureau central de la Police, toujours à Surabaya, a aussi été ciblé, comme enfin celui de Pekanbaru à Sumatra.

Pour la première fois en Indonésie, ces attaques ont impliqué des familles entières, et a priori connectées entre elles, incluant femmes et enfants.

L’Indonésie n’est pas étrangère au terrorisme, mais l’ampleur et la coordination de ces attaques ramènent le pays à ses heures sombres des attentats de Bali en 2002 et 2005 ou Jakarta en 2009. La dernière attaque d’ampleur avait été perpétrée à Jakarta en janvier 2016.

Le Président Jokowi n’a pas tardé à qualifier ces attaques d’actes lâches, indignes et barbares. Les responsables des plus importantes associations musulmanes du pays l’ont suivi.

Sur les réseaux sociaux du pays, le message « #KamiTidakTakut » (nous n’avons pas peur) a très vite été repris. C’est une déclaration pleine de courage et de noblesse. Mais la vérité est autre. Les Indonésiens peuvent avoir peur. Peur de la radicalisation rampante de leur société. Peur de l’impossibilité légale pour la police d’arrêter les apprentis jihadistes de retour ou déportés de Syrie et du Moyen-Orient avant qu’ils ne passent à l’acte. Peur de ces nouveaux modes de fonctionnement qui mettent maintenant femmes et enfants en première ligne des attaques. Peur de la discrimination religieuse grandissante. Peur de ces cellules dormantes jihadistes qui, d’après l’aveu même de la police, existent dans chacune des 34 provinces de l’archipel. Peur de la motivation de passage à l’acte que ces dernières attaques vont leur donner. Peur que l’affaiblissement de l’Etat Islamique dans son fief originel détourne la suite de la lutte vers l’Asie du Sud-Est, où l’Indonésie apparait comme un des terreaux les plus fertiles.

La peur n’évite pas le danger. Certes. Mais elle pourrait (devrait ?) engendrer une prise de conscience nationale qu’il faut absolument s’unir et se battre contre le radicalisme religieux.

Depuis les attentats, le respecté Din Syamsudin, responsable du puissant Conseil des Oulémas Indonésiens (MUI), ou Fadli Zon, porte-parole de l’Assemblée Nationale et sbire de Prabowo, ont tous les deux dans les médias contesté ou minimisé l’implication des perpétrateurs indonésiens, suggérant l’existence de puissances ou personnalités étrangères derrière les attaques.

Ces postures populistes et nationalistes s’inscrivent dans un déni de la réalité qui ne sert dangereusement que leurs propres intérêts.

De même, du président Jokowi aux responsables musulmans, toute l’intelligentsia modérée du pays s’est exprimée publiquement afin d’expliquer que les attentats n’ont rien à voir avec la religion. C’est encore une fois nier la réalité des faits. Toutes les familles impliquées dans les attaques ont agi au nom de l’islam. Et dans le cas des trois églises de Surabaya, elles ont même ciblé directement une autre religion.

L’Islam Nusantara, cet islam à l’indonésienne, et les musulmans indonésiens qui, doit-on le répéter, sont en très grande majorité des modérés tolérants, ne doivent pas faire l’économie d’une remise en question. Encore davantage que l’état. Celui-ci a été plutôt efficace dans son action anti-terroriste ces dernières années. Et s’il doit améliorer son arsenal législatif afin de pouvoir stopper les terroristes avant leur passage à l’acte, il ne doit en aucun cas surréagir au risque d’aller à l’encontre des droits individuels et de la liberté d’expression.

Les Indonésiens, de leur côté, doivent exprimer leur colère dans les urnes. La violence de l’islam politique a été exposée au grand jour au cours des dernières élections locales à Jakarta. Le Front de Defense de l’Islam (FPI) et ses soutiens politiques ont été jusqu’à réclamer la mort d’Ahok, gouverneur d’origine chinoise et chrétien. L’entreprise a fonctionné. Ahok est aujourd’hui en prison pour blasphème. C’est un précédent dangereux qui a ouvert la porte à l’impunité pour crimes racistes et religieux. Il est du devoir des citoyens indonésiens de ne pas oublier quels étaient les soutiens politiques de ces extrémistes musulmans et de leur barrer le chemin du pouvoir.

Les écoles, les médias et les autorités musulmanes ont tous un rôle à jouer dans la déradicalisation des esprits. Aujourd’hui en Indonésie, la discrimination religieuse a été normalisée. Elle est à la télévision, sur les réseaux sociaux, dans les prêches des mosquées, dans l’arrogance des groupes qui descendent sur les établissements ouverts pendant le ramadan. La violence religieuse est dans les campagnes politiques, dans la tolérance à la charia et même dans les produits commerciaux.

Les musulmans indonésiens doivent répondre à cette violence. En tant que religion majoritaire dans le pays, la responsabilité est collective. Renforcer les relations interreligieuses est un précepte inscrit dans le coran. On ne devient pas un meilleur musulman en dénigrant les droits des autres religions. L’Indonésie restera ainsi la proie de la propagande terroriste tant que les citoyens ne changeront pas les moyens d’exprimer leur foi.

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