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L’INDONESIE, PARANGON PROCLAME DE VERTU ET SOCIETE LIBERTICIDE

Ahok - bali gazette

Sous couvert de moralité religieuse et de sauvegarde de la culture nationale, l’Indonésie s’est dotée de lois portant une grave atteinte aux libertés individuelles, particulièrement celles des minorités, et à la liberté d’expression. Et rien dans les développements récents ne laisse penser à une évolution autre dans un futur proche.

Il y a la loi contre le blasphème, la mère de toutes. En vigueur depuis les années 60, sa victime la plus emblématique reste sans conteste l’ancien gouverneur de Jakarta Basuki Tjahaja Purnama, dit Ahok, qui vient juste de finir de purger une peine de deux ans pour avoir osé dire que ses adversaires politiques détournaient un verset du Coran pour inciter à ne pas voter pour lui.

Plus récemment, il y a eu la loi antipornographie de 2008, tellement large et vague qu’elle a même permis la mise en examen d’un de ses principaux soutiens, l’(in)fameux Rizieq Shihab, leader du Front de Défense de l’Islam (FPI), pour des photos suggestives envoyées à une femme qui n’était pas la sienne. Celui-ci n’a trouvé plus courageux que de fuir vers la pieuse Arabie Saoudite pour éviter un procès. La même année était votée la loi sur l’information et les transactions électroniques (ITE), là aussi si vague qu’elle conduit à des abus manifestes. Chacun peut désormais virtuellement être poursuivi pour n’importe quel message posté sur internet si celui-ci déplaît ou offense qui que ce soit.

Cette dernière loi a fait un retour marquant dans l’actualité ces dernières semaines avec la condamnation à 18 mois de prison du rockeur et pseudo homme politique Ahmad Dhani pour discours haineux. La tête d’affiche du groupe légendaire Dewa 19 avait posté en 2017 trois tweets accusant Ahok de diffamer la religion et mettant en cause la santé mentale de ses supporters.

On peut évidemment haïr Ahmad Dhani, ses prises de position radicales et dénuées de sens, ses clips de soutien au candidat présidentiel Prabowo habillé d’un uniforme nazi ou ses propositions politiques ineptes, mais on ne peut se réjouir de sa condamnation pour avoir exprimé son opinion sur Twitter. Cette décision de justice est une aussi mauvaise nouvelle que celle rendue contre l’ancien gouverneur de Jakarta. Elle est aussi injuste. Comme Ahok, le chanteur apparait ici comme un prisonnier de conscience, une victime d’un système de justice indigne de confiance et qui remet en cause les fondements de l’Indonésie en tant que démocratie.

La condamnation d’Ahmad Dhani a au moins eu le mérite d’ouvrir le débat public sur l’injuste application de la loi ITE, ce qui soit dit en passant n’avait pas été le cas quand des femmes ou des minorités en avaient été les victimes. Sandiaga Uno, candidat à la vice-présidence du pays et dont Ahmad Dhani est un soutien, a promis une refonte de cette loi en cas d’élection. Mesure opportuniste s’il en est, mais le président Jokowi ferait bien aussi d’accorder autant d’importance aux libertés individuelles de tous ses concitoyens qu’au développement des infrastructures.

Ahmad Dhani – Bali gazette

Toujours dans l’actualité, les parlementaires indonésiens planchent actuellement sur une loi qui, entre autres, condamnerait « les influences étrangères négatives » dans la musique, en plus bien évidemment des habituels contenus blasphématoires ou pornographiques. Encore une définition vague et très large qui provoque une levée de boucliers chez des centaines d’artistes qui y voient une atteinte à leur liberté d’expression.

La cible exacte de cette loi, qui sort de nulle part, demeure floue, bien qu’il y ait régulièrement des plaintes contre la prétendue immoralité des stars étrangères. En décembre dernier, une publicité TV dans laquelle apparaissaient les membres du girl band de K-Pop Blackpink avait ainsi été retirée après que la commission de diffusion explique qu’elle méprisait la décence et les normes morales. Les filles du groupe y apparaissaient en mini jupes et robes courtes. En 2012 déjà Lady Gaga avait été obligée d’annuler un concert à Jakarta après que des intégristes musulmans eurent menacé de l’empêcher physiquement de mettre le pied sur le sol indonésien. Une coalition d’artistes a lancé une pétition contre cette loi, affirmant notamment qu’elle va manifestement à l’encontre de la constitution indonésienne de 1945 qui défend la liberté d’expression dans un état démocratique.

C’est donc avec soulagement que l’on a entendu parler très récemment d’une autre loi en discussion actuellement, celle sur l’élimination des violences sexuelles. Avec cette proposition de loi, le gouvernement définit des formes de violences sexuelles non encore couvertes par la législation, comme le harcèlement sexuel, l’exploitation sexuelle ou la prostitution forcée. La loi a pour objectif de rendre le système de justice criminelle plus favorable aux femmes qui signalent ces crimes.

On pouvait légitimement penser que cette loi ferait l’unanimité, notamment dans le contexte du mouvement #MeToo et des suites de l’affaire Harvey Weinstein qui ont mis l’accent sur toutes sortes de violences faites aux femmes. C’était sans compter sur des groupes conservateurs religieux qui affirment que cette proposition de loi viole les valeurs de l’islam, met trop d’emphase sur les droits des femmes et promeut les relations sexuelles hors mariage.

Soutenue par une campagne agressive sur les réseaux sociaux, une pétition en ligne contre la loi a recueilli plus de 150.000 signatures en deux semaines. Les critiques de cette loi contre les violences sexuelles la rejettent parce qu’elle suggèrerait que toute activité sexuelle consensuelle, dont l’homosexualité, est acceptable puisqu’elle ne spécifie pas que les activités sexuelles ne peuvent avoir lieu que dans la cadre du mariage.

Bien qu’en développement depuis 2014 sous la houlette de la Commission nationale pour l’élimination des violences contre les femmes (Komnas Perempuan), la loi risque désormais de ne pas être ratifiée avant les élections législatives d’avril, ce qui ferait reprendre le processus de discussion depuis le début quand un nouveau parlement siègera.

Sous l’influence croissante des polices de la vertu morale et religieuse (en l’occurrence l’islam majoritaire), l’Indonésie bafoue chaque jour un peu davantage les libertés individuelles et le libre arbitre. Les victimes sont souvent les mêmes : les minorités religieuses et sexuelles, l’étranger et les femmes. On aimerait tellement qu’autant d’attention et d’efforts soient portés par les parangons de la morale à la corruption et à l’éducation.

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