Un récent rapport de l’Institut pour l’Analyse Politique des Conflits (IPAC) explique que la position distante des Indonésiens quant au sort réservé aux Ouïghours musulmans de la province autonome du Xinjiang tient à leur volonté de non-ingérence dans les affaires intérieures chinoises et à leur réserve par rapport à ce qui est perçu comme de la propagande occidentale antichinoise.
L’Indonésie, pays comptant la plus grande population musulmane au monde, s’est dans les grandes largeurs abstenue de tout soutien envers le million et demi, ou plus, de Ouïghours musulmans détenus dans des camps d’internement de la province autonome chinoise du Xinjiang et dont les médias occidentaux se sont largement fait l’écho ces derniers mois.
Le rapport de l’IPAC, intitulé ‘Expliquer le silence de l’Indonésie sur la question ouïghoure’, explique que les Indonésiens croient aux explications chinoises que les détentions massives sans démarche judiciaire sont nécessaires pour la sécurité et doutent de la véracité des rapports des organisations pour les droits de l’homme ainsi que des représentants de la diaspora ouïghoure venus à Jakarta pour demander de l’aide.
La répression systématique des Ouïghours musulmans du Xinjiang n’a en effet causé que peu d’émotion en Indonésie. « Le gouvernement indonésien de manière générale voit la répression ouïghoure comme une réponse légitime au séparatisme, et il n’interfèrera pas davantage dans les affaires domestiques chinoises qu’il n’accepterait les suggestions chinoises sur la manière dont il devrait agir avec la Papua », peut-on lire dans ce rapport, faisant référence au conflit au long cours dans la province de l’est de l’archipel pour lequel Jakarta a été à maintes reprises accusée de génocide.
« Le fait que la Chine soit le premier partenaire commercial de l’Indonésie et son second principal investisseur ajoute à cette réticence à s’exprimer, mais les considérations économiques ne sont pas le facteur majeur ici » y est-il encore écrit.
Jusqu’à un million et demi de Ouïghours et d’autres minorités ethniques musulmanes accusées d’abriter des « positions religieuses fortes » et des idées « politiquement incorrectes » sont détenus dans des camps depuis avril 2017. La Chine s’est retrouvée sous le feu des critiques, et des appels aux sanctions contre les responsables de ces camps ont été émis par les Etats-Unis et d’autres puissances occidentales. Le monde musulman, à quelques rares exceptions près, est resté silencieux.
Alors que Pékin avait à l’origine nié l’existence de ces camps d’enfermement, la Chine a depuis changé ses explications et les décrit comme des internats destinés à fournir une éducation professionnelle aux Ouïghours, à décourager la radicalisation et à aider le pays à se protéger contre le terrorisme. Plusieurs reportages, cependant, ont montré que ceux détenus dans ces camps l’étaient contre leur volonté, et victimes d’endoctrinement politique, de traitements violents de la part de leurs superviseurs, de malnutrition et d’hygiène défaillante dans des installations surpeuplées.
En Indonésie pourtant, les explications chinoises semblent être acceptées, même par les grandes associations musulmanes. « Les plus grandes organisations musulmanes du pays prennent les informations sur les nombreuses violations des droits de l’homme avec scepticisme, choisissant de les dépeindre comme de la propagande américaine liée à la lutte de pouvoir américano-chinoise actuelle. Leurs leaders ont aussi accepté des invitations à visiter le Xinjiang et la plupart semble prendre les assurances chinoises quant au respect des libertés religieuses pour argent comptant », décrit le rapport. « Les centaines d’Indonésiens musulmans étudiants en Chine y ont aussi très largement une expérience positive, contribuant à cette réticence à reconnaître de sérieuses restrictions sur les pratiques religieuses ».
Les deux grandes organisations islamiques Nahdlatul Ulama (NU) et Muhammadiyah ont chacune bénéficié de visites guidées organisées par la Chine, et en sont revenues convaincues.
Le secrétaire de Muhammadiyah Agung Danarto a même promu ces infrastructures. « Les camps sont superbes. Les étudiants y reçoivent des formations enrichissantes. Ils y reçoivent des enseignements sur l’agriculture, la restauration, la cuisine et la réparation automobile » est-il cité.
Le ministère indonésien des affaires étrangères, quant à lui, doit faire face à « tant de questions nécessitant de l’attention dans sa relation bilatérale avec la Chine, de la Mer de Chine méridionale à la correspondance entre les nouvelles routes de la soie chinoises et les axes de développement nationaux indonésiens, que la question ouïghoure n’y trouve quasiment aucune place ».
Le porte-parole du ministère indonésien des affaires étrangères Arrmanatha Nasir a nié l’absence de réaction de l’Indonésie, affirmant que le ministère avait convoqué l’ambassadeur chinois en décembre dernier pour avoir des explications sur les allégations de violations des droits de l’homme au Xinjiang, en complément des visites effectuées sur place.
Dans l’entourage du président Joko Widodo, on explique aussi la réticence à s’engager plus ouvertement et plus vocalement par la volonté de ne pas offrir d’ouverture politique aux islamistes et radicaux locaux appartenant à l’opposition.
Le rapport de l’IPAC explique que les officiels à Jakarta « ont exprimé clairement qu’ils accueilleraient des suggestions de politiques constructives qui pourraient aider les Ouïghours sans provoquer la Chine ».
« Il est difficile néanmoins de percevoir quelque véritable point d’intervention quand la Chine est convaincue que sa campagne du “frapper fort” a empêché la violence au Xinjiang, et que son offensive de charme auprès des musulmans indonésiens a remarquablement bien
fonctionné », met-il en garde en conclusion.
Jean-Baptiste Chauvin