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Les tambours de la république

Les dates de l’élection présidentielle sont à peine fixées (aux 9 juillet et 21 septembre 2009) et c’est seulement mi-août que leurs numéros ont été attribués aux quatre derniers des 38 partis politiques en lice pour les législatives du 9 avril. Mais sous prétexte de soutenir le courage des citoyens en ce mois de jeûne, ces derniers ont déjà hissé pavillon, et pas uniquement aux alentours de leurs états-majors. La capitale est pavoisée pour la « fête de la démocratie » aux couleurs des partis, tout au moins les plus anciens ou les plus riches : jaune pour le Golkar du vice-président Yusuf Kalla, rouge pour le PDI-P (Parti Démocratique Indonésien – de Lutte) de l’ancienne présidente Megawati, bleu pour le Parti Démocrate du président actuel, etc.

Des dizaines d’entreprises familiales
Pasar Senen, comme à chaque élection, les petites mains ont déjà commencé à coudre, couper, copier et coller les accessoires de campagne. « C’est un peu tôt pour les montres et stylos », explique Rais. Les commandes ne sont pas attendues avant la fin des vacances de Lebaran, le 3 octobre. Mais pour ce qui est des banderoles, vêtements, badges et pins, les vendeurs ont des stocks, en tout cas pour les partis les plus anciens. Originaire de Java-Est, Rais est étudiant en littérature javanaise à l’université de la Nahdlatul Ulama, le mouvement qui a donné naissance au Parti du Réveil National (PKB) de l’ancien président Gus Dur, mais assure de sa neutralité politique. En tout cas, en ce qui concerne son commerce, dont il espère de beaux bénéfices en cette année exceptionnelle.

Même opinion chez Pak Edy. Ce marchand de « sablon » (un mot hollandais qui signifie « pochoir », et aussi  « copie », voire « plagiat » en indonésien) a plus de 150 articles en catalogue et s’est risqué à louer une boutique au rez-de-chaussée, près d’une des portes du marché, au lieu de rester dans les étages comme les années précédentes. « Bien sûr, c’est plus cher, près de 40 millions par an auxquels il faut ajouter la facture d’électricité, 300 000 rupiah par mois. Mais on est plus en vue ici », raisonne-t-il. Edy a appris le métier sur le tas et, en cas de « coup de bourre », fait appel à la famille et aux proches qui « connaissent déjà le métier ». Ils peuvent fabriquer 1 000 spanduk (banderoles) en 3 jours. En une semaine, il fait aussi 1 000 T-shirts à 15 000 roupies la pièce, le double si c’est du coton « pour les gens de l’Est, Papouasie ou Nusa Tenggara, qui recherchent la qualité ». Il vient de commencer les boîtes d’allumettes et les briquets, car « ça se vend mieux avec le numéro du candidat ou du parti ».

Pak Haji lance une nouvelle mode
Au marché de Tanah Abang, le mois du Ramadhan est le mois des fabricants de bedug (tambours qui servent à appeler à la prière et sont souvent utilisés en procession), dont les échoppes fleurissent sur les trottoirs. Les plus beaux bedug sont en bois mais comme l’essentiel est que cela résonne, on peut en fabriquer avec des tonneaux de peinture ou de parfum. Le grand modèle coûte 800 000 roupies et le petit 200 000.Les prix ont augmenté de 25% cette année, inflation et élections aidant, comme l’expliquent deux jeunes qui essaient des modèles un peu particuliers : ils portent les couleurs et les logos des partis politiques. C’est leur père, Pak Haji Omar, qui en a eu l’idée et ils ont immédiatement commencé la fabrication début septembre. Pak Haji, qui prend le frais devant sa maison, nous accueille d’un retentissant « Comment ça va ? », en français dans le texte. Omar est un vrai Haji, il a fait neuf fois le pèlerinage à la Mecque et depuis huit ans, dit-il, il a définitivement rompu avec quelques regrettables habitudes de jeunesse – il est clean. Il a le sourire un peu las et, au coin des yeux, les petites rides des gens qui ont bien vécu, beaucoup travaillé et beaucoup fait la fête ; et aussi un vague air de Charles Bronson pour ce qui est des oreilles. Il est originaire de Palembang mais là-bas, « il n’y avait aucune chance de business, alors nous avons fait notre hégire à Jakarta », rigole-t-il. Lui et cinq de ses huit frères et sœurs se sont installés en capitale, mais auparavant, à la fin des années 70, Omar a travaillé durant six ans en Arabie Saoudite, dans une entreprise grenobloise de peinture. « Oui, les Français sont des furieux (galak), mais je suis plus furieux qu’eux et au moins, ils ne sont pas radins ». C’est là qu’il a appris à survivre en français, puisqu’il était « impossible de leur parler en arabe, ni même en anglais ».

La maison près de la fontaine
A son retour à Jakarta, il s’est marié et a acheté deux maisons dans ce quartier de Tanah Abang, qui est sans doute le plus impressionnant des marchés traditionnels de la capitale, où il a commencé par vendre des chèvres. Le marché de la viande étant trop incertain, Omar s’est peu à peu spécialisé dans les peaux. Chaque année, au moment du Ramadhan, il fabrique des bedug. Pourquoi les peindre aux couleurs des partis ? « Une inspiration soudaine », s’esclaffe Pak Haji Omar, qui élude soigneusement les questions sur ses préférences politiques (« je suis 100% business »). Il faut dire qu’Omar a d’autres soucis que les élections, ces temps-ci. Le quartier de Tanah Abang est en pleine « restructuration », les centres commerciaux y poussent comme des champignons. Il ne reste que quelques petites maisons, dont celle d’Omar, dorénavant coincée entre usine et supermarché, comme dit la chanson. Beaucoup de propriétaires ont vendu à trop bas prix, et n’ont pas pu se reloger dans les environs, grommelle Omar, qui ne veut pas entendre parler de 15 malheureux millions par mètre carré, sans aucune aide au relogement à espérer. Il se cramponne donc, car il veut « pouvoir acheter deux maisons avec la vente de celle-ci ». Et il assure qu’il ira « voter, parce que c’est ce que font les bons citoyens, n’est-ce pas ? ». En attendant, il a bon espoir pour une grosse commande de bedug « spécial élections » la semaine prochaine

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