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Les sans-caste… à la balinaise

Ce sont les touristes qui viennent pour la première fois à Bali. Choisissons-en un et appelons-le Jean. Quand il débarque à Ngurah Rai, il est épuisé par le long voyage et son estomac joue au yo-yo à cause des turbulences au-dessus de l’Océan Indien. Pâle comme un linge, il débouche sur la longue file d’attente devant les fonctionnaires de l’immigration. Résigné, il met ses pieds enflés en rang et se maudit aussitôt d’avoir choisi la file qui avance le moins vite. Arrivé enfin devant le guichet, le préposé le sermonne de ne pas s’être procuré son visa, distribué à quelques pas de là.

De mauvaise grâce, mais néanmoins discipliné, Jean s’y rend pour acquérir son permis d’entrer sur le territoire indonésien. Comme il ne dispose pas des 25 USD exigés pour tout visa de tourisme, il règle avec un billet de 50 Euros et reçoit en retour une poignée de billets en monnaie locale. Obligé de faire une nouvelle fois la queue pour avoir son passeport dûment tamponné, il dispose d’un assez long moment pour contrôler l’exactitude du change.

Les services de l’immigration ne s’opposent pas à sa venue dans le pays et Jean peut s’estimer heureux d’avoir passé la première étape de son parcours d’obstacle en moins de deux heures. La tête dans le cul par le décalage horaire, il débouche dans la salle de l’arrivée des bagages. Le tapis convoyeur est arrêté depuis longtemps et les sacs de voyage, sacs à dos, valises, coffres, cantines, malles, mallettes, caisses, paquets et planches de surf sont jalousement gardés par un nombre ahurissant de porteurs.

Bien qu’il s’agisse d’employés d’aéroport tout ce qu’il y a d’officiel, cette armée en uniforme s’adonne à des combines d’escroc : les chariots à bagages sont planqués au fin fond de la salle et l’arrivant devient la proie de ces « serviteurs » au comportement agressif, qui n’hésitent pas à réclamer 100 000 rupiahs pour avoir porté deux baluchons pendant quelques dizaines de mètres. Le cas échéant, ils dirigent le touriste aux officines des money-changers, également en surnombre et qui pratiquent des taux déplorables. Dans cette atmosphère polluée de combines odieuses, Jean décide de ramasser lui- même son barda qu’il doit encore passer dans le scanneur obligatoire avant le prochain obstacle : la douane ! Bien qu’il choisisse la file « rien à déclarer », il est sommé d’ouvrir sa valoche, certainement pour le punir de ne pas avoir fait appel à un porteur. Inutile de préciser que ceci n’arrange pas son humeur. La mine sévère, le douanier étale les affaires intimes devant l’œil goguenard des co-voyageurs. La trousse de toilette avec crèmes dépilatoires et lotions capillaires subit une fouille en règle, tout comme la pharmacie de voyage.

Suivant les conseils du Routard, Jean s’est muni d’antibiotiques variés, d’un traitement antipaludéen, d’une pompe à venin et d’une foule d’autres articles devant assurer sa survie dans ce milieu hostile que sont les tropiques : anti-allergènes, anti-ulcéreux, antiviraux, anti-vomitifs, antiseptiques, antifongiques, anti-moustiques et anti-cafards. Le gabelou finit par se lasser et indique d’une main condescendante que tout semble en règle et que le propriétaire de cette pharmacopée peut remballer tout son fourbi. De mauvaise grâce, Jean s’exécute en essayant d’ignorer le sourire narquois du fonctionnaire scrupuleux.

Il est enfin autorisé à quitter les bâtiments de l’aéroport et peut prendre contact avec le climat équatorial. Suffoquant sous la chaleur humide et encombré de son fourbi, il se fraie un chemin à travers la foule amassée devant la sortie. La densité de cette cohue ne facilite pas ses efforts pour repérer le chauffeur que son hôtel avait promis d’envoyer.

Après de vains allers-retours en quête de sa navette gratuite, Jean doit se rabattre sur les taxis d’aéroport aux tarifs salés. Le cerveau vide et le corps en nage, il s’affale sur la banquette brûlante de son tacot et subit durant le trajet le papotage incessant du conducteur qui souhaite exercer son anglais. Peu importe, il est à Bali, ce dont il a rêvé chaque jour depuis qu’il a réservé son séjour. Il se dit qu’après une bonne nuit dans la fraîcheur d’une chambre climatisée, il appréciera mieux les charmes de l’Ile des Dieux.

En évoquant le mot « réservation », une idée désagréable lui vient à l’esprit : si l’hôtel ne lui a pas dépêché une voiture, est-ce que sa chambre a été retenue, au moins ? Jean, le Sans-Caste, deviendra-t-il aussi un sans-logis ? Réponse le mois prochain.

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