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Les odyssées de deux princes de Macassar en France

Rares sont les Français qui visitèrent Macassar au XVIIème siècle ; les plus connus sont Pierre Berthelot, Alexandre de Rhodes, Joseph Tissanier et Daniel Tavernier, le frère de Jean-Baptiste. Pierre Berthelot arriva à Macassar en 1622 comme matelot à bord de la patache l’Hermitage, l’un des bateaux de la flotte de Beaulieu et y était resté trois ans au service du comptoir portugais. Il alla à Goa et mourut en martyr à Atjeh en 1638. Le jésuite Alexandre de Rhodes à son retour de Chine avait passé huit mois à Macassar. Le Père Tissandier y fit une escale en 1661. Les Huguenots proscrits en France après la révocation de l’édit de Nantes étaient les seuls étrangers à leur nation à qui les Hollandais permettaient d’avoir une activité dans leur zone d’influence et, depuis la défaite de Macassar en 1666, ni les Français, ni les Anglais, ni les Danois n’étaient autorisés à y entretenir un comptoir commercial.

Il n’en reste pas moins que la famille royale de Macassar avait pour tradition d’envoyer de jeunes princes compléter leur éducation auprès de cours ou familles nobles étrangères, comme pages à l’âge de cinq ou six ans et ceci jusqu’à leur adolescence. Deux de ces garçons étaient les fils de Daen Ma-Alee, un prince de Macassar qui avait vécu en exil à la cour de Siam. Mais comme musulman, Daen Ma-Alee avait été accusé de conspiration contre le roi de Siam et tué lors des combats acharnés évoqués dans le chapitre précédent, ce septembre 1686. Parmi les survivants, il y avait les deux fils du prince, Daeng Rourou qui avait quinze ans et Daeng Troulolo qui avait treize ans. Le chef du comptoir français au royaume de Siam a décidé de les envoyer tous deux en France. Embarqués fin novembre 1686 sur le Coche, ils arrivèrent à Brest le 5 août 1687, mais arrivèrent à Paris le 10 septembre. Louis XIV ne se sentit pas seulement le devoir de pourvoir à leur subsistance mais aussi de prendre soin de leur éducation du fait de leur rang social.

Les deux jeunes musulmans furent tout d’abord baptisés dans la religion chrétienne et furent honorés du nom de Louis comme le roi de France. Ils furent inscrits au collège des jésuites à Louis-le-Grand pour apprendre la langue française avant d’être admis dans le fameux collège de Clermont. Plus tard encore, ils furent admis dans l’une des plus prestigieuses institutions françaises, le collège des Gardes-Marines de Brest qui en 1682 deviendra l’ancêtre de notre Ecole navale, la plus haute école de la marine militaire française. L’école était divisée en trois compagnies, chacune comprenant trois cents à trois cent cinquante gardes. En 1690, tout juste 206 élèves furent admis car le recrutement était particulièrement sélectif. Pour être admis, les élèves devaient avoir au moins dix-huit ans et de toute évidence appartenir à l’élite aristocratique du pays. C’était une pépinière d’officiers triés sur le volet et pourvus de la meilleure formation nautique et militaire. Le fait que Daeng Rourou puisse être reçu dans cette institution prouve l’attention accordée par le roi de France à ces deux princes étrangers. Les élèves officiers passaient non seulement comme fort turbulents mais également fort imbus d’eux-mêmes, ce qui devrait bien convenir à un Macassar de sang princier. Ils regardaient les autres officiers, même nobles et même supérieurs en grade à eux-mêmes mais sortis du rang, comme quantité négligeable.

On ne peut qu’être frappé par la rapide promotion du jeune Daeng Rourou admis comme Garde-Marine après seulement deux ans de collège. Il était déjà à 19 ans, Enseigne de vaisseau, ce qui équivaut au grade de Lieutenant dans l’armée de terre ; et à 20 ans il était Lieutenant de vaisseau, ce qui équivaut au grade de Capitaine. Or, pour avancer dans cette carrière, il fallait être à la fois fort brillant, mais également fortuné. Aussi la pension sur le Trésor payée à Daeng Rourou devait être indispensable. En dépit de son avancement rapide, en 1706, Louis-Pierre de Macassar se plaignait dans une lettre adressée à M. de Pontchartrain, le ministre de la marine de Louis XIV de ne pas avoir été embarqué à l’occasion de la prochaine campagne navale militaire.

Enfin, le 3 janvier 1707, le prince de Macassar put embarquer et servir sur le vaisseau Jason, un navire armé de 54 canons avec pour mission de chasser les corsaires hollandais de Vlissingen qui infestaient les parages de Belle-Ile et de l’île de Croix. Ce navire appartenait à l’escadre de l’amiral Duquesne. Peu après Daeng Rourou fut nommé pour servir à bord du Grand, destiné à faire partie de l’escadre de l’amiral Ducasse. Le 19 octobre 1707, cette escadre se rendait à La Havane pour aider les Espagnols contre les Anglais. Le 19 mai 1708, Daeng Rourou se donna la mort. Peut-être une affaire d’honneur ou de dettes de jeu ?

Pour ce qui concerne le frère cadet, Daeng Troulolo, alias Louis Dauphin de Macassar, le dictionnaire de Moerir se fait l’écho d’une étrange histoire : « L’un des deux frères fut tué au service du roi ; celui qui restait ayant appris la mort de son cousin, partit de France pour aller prendre possession du trône de ses pères et le roi le fit conduire sur ses vaisseaux. Il avait paru fort zélé pour la religion catholique et même avant de partir de Paris, il fit faire un tableau où il semblait s’offrir à la Sainte Vierge, et institua un ordre dit « de l’étoile » dont les chevaliers devaient porter un cordon blanc, qu’il mit sous la protection de Notre-Dame. Ce tableau fut placé dans la cathédrale, mais quelques années après on le fit ôter, ayant appris que ce prince avait embrassé la religion de ses pères, poussé à cela par le dogme de la pluralité des femmes. »

Quoi qu’il en soit, sa promotion fut plus lente que celle de son frère. Il fut diplômé de l’Ecole des Gardes-Marines le 18 mai 1699 mais attendit treize ans avant d’être nommé à l’âge de 38 ans Enseigne de vaisseau, un grade qu’il garda toute sa vie. Il servit sur le vaisseau l’Indien. Quand il mourut à Brest le 30 novembre 1736, à l’âge de 62 ans, « il fut transporté dans l’église de Carmes de cette ville pour y être inhumé en présence de plusieurs officiers de marine ». Il fut enterré dans l’église « Louis de Brest ». Sa sépulture fut détruite lors d’un bombardement pendant la seconde guerre mondiale.

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