Après avoir nié toute implication dans un premier temps, l’armée indonésienne a dû se résoudre à reconnaitre que onze membres de ses forces d’élite, les Kopassus, étaient les auteurs de ce coup de force féroce. Ils auraient agi pour venger l’un des leurs qui aurait été lui-même abattu quelques jours auparavant dans un bar de Yogyakarta par les quatre membres tués à leur tour. Ceux-ci étaient emprisonnés en attente de leur jugement.
Les deux premières questions sont liées. Il semble en effet difficile d’imaginer le commando militaire pénétrer aussi aisément dans une prison d’Etat sans avoir bénéficié de complicité a l’intérieur. De nombreuses rumeurs indiquent que la police aurait été informée du raid et aurait fermé les yeux devant sa mise en application. Le renvoi du chef de la police de Yogyakarta, le brigadier général Sabar Rahardjo, va très certainement dans ce sens.
La question de la justice mérite également d’être posée. Les quatre hommes assassinés étaient emprisonnés à Cebongan dans l’attente de leur jugement pour le meurtre d’un membre des Kopassus. Le raid meurtrier mené par un groupe de soldats montre clairement que ceux-ci ont privilégié la loi du plus fort à la justice. C’est une tendance lourde dans un pays ou les jugements des tribunaux semblent souvent aller dans le sens des riches et des puissants. Sans confiance dans le système judiciaire de leur pays, des Indonésiens préfèrent prendre la loi entre leurs propres mains et se faire justice eux-mêmes. Mais qu’une institution nationale comme l’armée applique elle-même des recettes d’un Etat de non-droit interpelle encore davantage et donne un signal très négatif sur l’état démocratique (ou la déliquescence de celui-ci en l’occurrence) d’un pays.
Ce sentiment est encore renforcé par les réactions de l’Etat-major. Celui-ci, par la voix de Hardiono Saroso, commandant militaire de Yogyakarta depuis écarté et ancien supérieur hiérarchique des onze militaires impliqués dans l’opération punitive, cherche à faire passer ces tueurs pour des héros nationaux, vantant leur esprit de corps et leur apportant tout son soutien. Cet épisode rappelle à mauvais escient les heures les plus sombres des Kopassus, quand ce corps d’élite semait la terreur pour le compte de Suharto et s’est à de nombreuses reprises égaré dans des atteintes aux Droits de l’Homme jamais punies.
Mais après les commentaires de leur hiérarchie et du ministre de la Défense, il est permis de douter de la légitimité du procès des onze soldats d’élite et de toute sanction qui leur sera éventuellement infligée. En entreprenant une véritable campagne visant à faire passer des tueurs pour des héros, l’armée justifie et promeut la violence comme un recours normal à la résolution des conflits. Elle discrédite une justice indonésienne qui n’en a pas besoin et se place au-dessus des lois en complicité avec les institutions censées les faire appliquer.