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Les Kopassus à Cebongan : l’Indonésie ou la loi du plus fort

Après avoir nié toute implication dans un premier temps, l’armée indonésienne a dû se résoudre à reconnaitre que onze membres de ses forces d’élite, les Kopassus, étaient les auteurs de ce coup de force féroce. Ils auraient agi pour venger l’un des leurs qui aurait été lui-même abattu quelques jours auparavant dans un bar de Yogyakarta par les quatre membres tués à leur tour. Ceux-ci étaient emprisonnés en attente de leur jugement.
En attendant leur procès devant un tribunal militaire les onze soldats d’élite ont été emprisonnés et leur supérieur hiérarchique débarqué, mais de nombreuses questions ont été posées et demeurent pour l’instant sans réponse. Parmi celles-ci, comment est-il possible de pénétrer dans un lieu de haute sécurité tel que doit l’être une prison sans en être empêché par la police et les forces de sécurité ? Ces représailles étaient-elles planifiées et ses auteurs ont-ils bénéficié de complicité ? Ou existe-t-il encore une justice digne de ce nom en Indonésie ?
Les deux premières questions sont liées. Il semble en effet difficile d’imaginer le commando militaire pénétrer aussi aisément dans une prison d’Etat sans avoir bénéficié de complicité a l’intérieur. De nombreuses rumeurs indiquent que la police aurait été informée du raid et aurait fermé les yeux devant sa mise en application. Le renvoi du chef de la police de Yogyakarta, le brigadier général Sabar Rahardjo, va très certainement dans ce sens.
On sait les relations difficiles et conflictuelles entre la police et l’armée en Indonésie depuis leur séparation effective en 1998. Les conflits les opposant sont récurrents et les raisons opaques, même si celles-ci semblent très éloignées des intérêts supérieurs du pays. Si la police s’est rendue complice de ces meurtres par négligence, dans une enceinte dont elle a la responsabilité sécuritaire directe, cet épisode montrerait que la police, pour des raisons encore inconnues, serait encline à ne pas poursuivre sa mission principale, à savoir assurer la sécurité de chaque citoyen sur le territoire national.
La question de la justice mérite également d’être posée. Les quatre hommes assassinés étaient emprisonnés à Cebongan dans l’attente de leur jugement pour le meurtre d’un membre des Kopassus. Le raid meurtrier mené par un groupe de soldats montre clairement que ceux-ci ont privilégié la loi du plus fort à la justice. C’est une tendance lourde dans un pays ou les jugements des tribunaux semblent souvent aller dans le sens des riches et des puissants. Sans confiance dans le système judiciaire de leur pays, des Indonésiens préfèrent prendre la loi entre leurs propres mains et se faire justice eux-mêmes. Mais qu’une institution nationale comme l’armée applique elle-même des recettes d’un Etat de non-droit interpelle encore davantage et donne un signal très négatif sur l’état démocratique (ou la déliquescence de celui-ci en l’occurrence) d’un pays.
Ce sentiment est encore renforcé par les réactions de l’Etat-major. Celui-ci, par la voix de Hardiono Saroso, commandant militaire de Yogyakarta depuis écarté et ancien supérieur hiérarchique des onze militaires impliqués dans l’opération punitive, cherche à faire passer ces tueurs pour des héros nationaux, vantant leur esprit de corps et leur apportant tout son soutien. Cet épisode rappelle à mauvais escient les heures les plus sombres des Kopassus, quand ce corps d’élite semait la terreur pour le compte de Suharto et s’est à de nombreuses reprises égaré dans des atteintes aux Droits de l’Homme jamais punies.
De la même manière, les commentaires du ministre de la Défense indonésien affirmant qu’aucune violation des Droits de l’Homme n’avait eu lieu dans cette histoire apparaissent comme un pas dans la mauvaise direction. Plutôt que de se substituer à la justice en dessinant ses propres conclusions, celui-ci devrait au contraire pousser à l’application d’un processus légal clair et exemplaire. Il est dès lors légitime de se poser la question de la justice pour ces militaires criminels. Il semble acquis qu’ils seront jugés par un tribunal militaire. L’armée, consciente d’être face à une situation complexe qui pourrait nuire gravement à son image, a entrepris une opération de communication visant à rassurer sur l’objectivité du procès à venir et a prévu de l’ouvrir au public.
Mais après les commentaires de leur hiérarchie et du ministre de la Défense, il est permis de douter de la légitimité du procès des onze soldats d’élite et de toute sanction qui leur sera éventuellement infligée. En entreprenant une véritable campagne visant à faire passer des tueurs pour des héros, l’armée justifie et promeut la violence comme un recours normal à la résolution des conflits. Elle discrédite une justice indonésienne qui n’en a pas besoin et se place au-dessus des lois en complicité avec les institutions censées les faire appliquer.
L’Indonésie donne l’impression de s’enfoncer lentement mais sûrement dans une crise de ses institutions. L’éducation démocratique de son peuple est actuellement un processus incertain. Celui-ci devrait être aidé, promu et encouragé par les élites politiques, législatives et judiciaires. Or celles-ci donnent davantage l’image de vouloir profiter d’une situation chaotique à des fins personnelles ou corporatistes plutôt que de rechercher des solutions nationales et populaires.

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