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Les journalistes, une espèce en danger en Indonésie

Le 21 janvier dernier, un journaliste américain a été arrêté et emprisonné à Kalimantan après y avoir séjourné avec un visa business. Une réaction qui semble disproportionnée de la part des autorités indonésiennes. Les cas d’entrave se multiplient, et affectent aussi les activistes et les universitaires.

Philip Jacobson, rédacteur de 30 ans pour le média scientifique et environnemental Mongabay, a été une première fois arrêté et interrogé le 17 décembre dernier après avoir assisté à une audience entre le parlement de la province de Kalimantan-Centre et l’Alliance des peuples indigènes de l’archipel (AMAN), la plus grande association de soutien aux droits des peuples indigènes en Indonésie. Ce jour-là, après quatre heures d’interrogatoire, son passeport lui a été confisqué et ordre lui a été donné de rester dans la ville de Palangkaraya pendant l’enquête des autorités de l’immigration indonésienne.

Plus d’un mois plus tard, le 21 janvier, il a été formellement arrêté et emprisonné. Il est soupçonné d’avoir enfreint la loi sur l’immigration de 2011 et risque jusqu’à cinq ans de prison. Les autorités indonésiennes lui reprocheraient d’avoir voyagé jusqu’à Kalimantan avec un visa business et non un visa de journaliste.

Comme souligné par le “Jakarta Foreign Correspondents Club”, « alors qu’il est évidemment important d’exhorter tous les journalistes étrangers visitant l’Indonésie de s’assurer qu’ils respectent les règles de l’immigration, un journaliste prenant simplement part à des rendez-vous ou étant juste présent pendant un évènement d’actualité ne devrait pas être victime d’action punitive ou de détention »

La réponse indonésienne semble en effet quelque peu disproportionnée. Ainsi Andreas Harsono, chercheur à “Human Rights Watch” en Indonésie, rappelle que « le journalisme n’est pas un crime » et que Philip Jacobson devrait être libéré. « Cette affaire est d’ordre administratif, et en aucun cas criminel. Dans de nombreux cas similaires, les journalistes furent simplement déportés et l’affaire close. L’autorité de l’immigration se montre ici excessive dans son choix de poursuivre Jacobson en justice » a-t-il ajouté. « Le traitement qui lui est réservé est un signe inquiétant d’un gouvernement qui s’attaque à des activités qui sont essentielles pour la santé de la démocratie indonésienne ».

Le gouvernement indonésien semble effectivement mal s’accommoder de la liberté de la presse, une tendance malheureusement grandissante à l’échelle mondiale et quasi généralisée en Asie du sud-est. Ainsi les provinces indonésiennes de la Papouasie restent interdites aux journalistes étrangers, malgré les promesses contraires du président Jokowi au cours de son premier mandat. Pendant de récents événements sanglants y ayant opposé l’armée indonésienne aux indépendantistes et civils papous, des journalistes indonésiens ont aussi été menacés, décrédibilisés et l’accès à internet rendu impossible pendant plusieurs jours. L’entreprise de désinformation et de propagande des autorités indonésiennes a battu son plein dans les médias et sur les réseaux sociaux.

L’Alliance indonésienne des journalistes indépendants (AJI) s’est aussi fait l’écho de cette recrudescence de la violence contre les journalistes dans le pays, recensant 53 cas d’abus contre les journalistes en 2019, dont cinq cas criminels.

En tant que journaliste pour Mongabay, Philip Jacobson a notamment contribué à des articles ayant exposé un géant industriel du papier qui avait illégalement créé une société écran pour secrètement pouvoir continuer des activités de déforestation. Il a aussi rédigé un article analysant le bilan environnemental de Jokowi.

Les journalistes ne sont pas les seuls à avoir récemment fait les frais des difficultés liées aux visas en Indonésie. L’année dernière, deux universitaires australiens réputés pour leurs travaux sur l’archipel ont été refoulés au moment de leur entrée sur le territoire à quelques semaines d’intervalle. Les deux hommes voyageaient pour leurs recherches mais n’avaient qu’un visa de tourisme, au lieu du visa spécifique de recherche. Bien que représentant une faute claire par rapport aux règles, plusieurs sources universitaires ont expliqué qu’il était commun pour les chercheurs du monde entier d’entrer en Indonésie avec un visa de tourisme parce que le processus pour obtenir un visa de recherche peut prendre six mois et est très onéreux. L’immigration a reconnu que d’autres universitaires ont aussi dû faire face au même refus d’entrée sur le territoire indonésien ces derniers mois, dans ce qui s’apparente à une sorte de répression ciblée. 

Les activistes pro-démocratie ou anti-corruption ont aussi longtemps été les cibles du pouvoir en Indonésie. L’exemple le plus marquant reste celui de Munir, empoisonné pendant un vol de la compagnie nationale en direction d’Amsterdam. Les défenseurs de l’environnement semblent depuis être devenus l’ennemi numéro un. Il en est un qui a été mis en avant il y a quelques semaines après avoir reçu un prix environnemental international pour son activisme judiciaire contre les plantations d’huile de palme accusées d’autoriser les feux sur leurs concessions. Bambang Hero Saharjo est un expert en analyse des feux de forêt et il a témoigné dans pas moins de 500 procès contre les feux volontaires dans des plantations de palmiers à huile. Cette expertise et ce combat pour le droit des Indonésiens à un environnement sain lui ont valu menaces et procès de la part d’entreprises puissantes, connectées et influentes devant lesquelles il n’a jamais renoncé.

Le peu d’appétence de Jokowi pour tout ce qui n’est pas économique est bien connu. Ainsi les droits de l’Homme, le respect des minorités ou la liberté de la presse n’ont jamais semblé faire partie des priorités du président indonésien. Pourtant, alors que le pays tente désespérément d’attirer les investissements directs étrangers dont il a besoin pour financer ses projets d’infrastructures, il lui serait certainement utile de ne pas donner l’image à l’international d’une Indonésie hostile à tous les regards étrangers ou curieux. Le journalisme n’est pas un crime. La démocratie n’existe que par des contre-pouvoirs.

Jean-Baptiste Chauvin

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