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LES INDONESIENS OFFRENT A JOKOWI UN SECOND MANDAT

Les résultats non définitifs accordent au président sortant environ 55% des voix, contre 45% au candidat de l’opposition
Prabowo Subianto, qui tarde à reconnaitre sa défaite.
Joko Widodo a désormais cinq années de plus pour continuer à développer et moderniser une Indonésie apparue divisée pendant cette élection
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L’élection présidentielle du 17 avril dernier avait un goût de déjà-vu, opposant les deux mêmes candidats que celle de 2014. Elle a accouché d’un résultat similaire, Jokowi étant selon toutes les estimations crédité d’environ 55% des voix, un score légèrement supérieur à celui d’il y a cinq ans. Pour pousser la similitude un peu plus loin, Prabowo a, comme en 2014, refusé de concéder la défaite, arguant de nombreuses irrégularités qu’il n’a pour l’instant pas prouvées. Il s’est ainsi déclaré à plusieurs reprises le président élu, avec 62% des voix selon ses propres estimations.

Dans l’attente des résultats définitifs, courant mai, les deux candidats peuvent nourrir quelques regrets. Prabowo n’a pas réussi à faire mieux qu’il y a cinq ans, malgré l’émergence, la relative jeunesse et la campagne très active de son candidat à la vice-présidence Sandiaga Uno. Jokowi, de son côté, espérait un mandat plus clair quant à la validation de son premier quinquennat, et n’atteint ainsi pas les 60% obtenus par son prédécesseur Susilo Bambang Yudhoyono au moment de sa réélection en 2009, dans une course alors à trois têtes qui plus est. Ce dont les deux candidats peuvent être fiers en revanche, c’est la participation globale de 80%. Les Indonésiens continuent de faire de la démocratie une fête.

Une analyse géographique des résultats révèle une Indonésie clairement divisée. Prabowo arrive ainsi en tête dans les bastions musulmans conservateurs de Sumatra, Java-Ouest, Banten, le sud et le centre de Sulawesi. De l’autre côté, les musulmans libéraux et modérés de Java-Centre, Java-Est, de la majorité de Kalimantan ont voté massivement pour Jokowi. Tout comme les provinces de l’Est du pays et celles où l’islam n’est pas majoritaire (Bali, Sulawesi-Nord, Papua).

Dans les mois qui viennent, toutes les irrégularités supposées vont être jugées par la Cour constitutionnelle. Qu’il y ait eu des irrégularités est une évidence dans des élections générales qui impliquaient 193 millions d’électeurs à qui l’on demandait de choisir parmi 300 000 candidats, issus de 16 partis pour 20 528 sièges dans 34 provinces et plus de 17 000 îles. Mais il est fortement improbable que celles-ci envoient Prabowo au palais présidentiel alors que la marge entre les deux candidats est d’environ 15 millions de voix.

Les prochains mois vont aussi être occupés par la traditionnelle politique transactionnelle indonésienne. Et c’est probablement aussi pour cette raison que Prabowo joue sa carte jusqu’au bout, au-delà de sa croyance quelque peu délirante en sa destinée présidentielle. Bien qu’en tête des élections législatives, le PDI-P dont Jokowi est membre n’a remporté que 20% des suffrages d’après les estimations. Il va donc devoir bâtir une coalition à même de lui assurer la stabilité et le soutien du Parlement nécessaire pour mener sa politique.

Les postes ministériels et d’influence au Parlement vont donc être négociés avec les partis politiques, un jeu dans lequel le parti Gerindra de Prabowo, second et crédité de 13% des voix aux législatives, veut certainement avoir son mot à dire.

L’image d’homme du peuple de Jokowi lui a permis d’obtenir un deuxième mandat, soutenue en cela par ses succès économiques et sociaux. Sa vision est de continuer son agenda réformateur et constructeur d’infrastructures. Les succès économiques du premier mandat sont réels : réduction du déficit budgétaire et des subventions énergétiques, retour de l’Indonésie à une notation maximum pour l’investissement après deux décennies et première économie d’Asie du sud-est à un billion de dollars. Les Indonésiens semblent avoir été impressionnés par son développement des infrastructures et ses fortes dépenses dans les programmes sociaux comme les cartes de santé et d’éducation, qui accordent un accès à des services basiques aux Indonésiens en difficulté.

Afin de maintenir sa popularité, Jokowi va probablement continuer ses dépenses en infrastructures et en programmes sociaux. Il a aussi promis un développement du capital humain qui ne se fera pas sans une meilleure allocation des ressources liées à l’éducation. Ces dépenses devraient être soutenues par une politique agressive de collecte de l’impôt. Au niveau financier, la priorité restera une inflation maitrisée.

Beaucoup reste néanmoins à faire. Si la croissance a été soutenue, à hauteur de 5% sur le quinquennat, elle ne l’est pas suffisamment pour un pays de 260 millions de personnes, où beaucoup de jeunes ont des difficultés à trouver un emploi. Jokowi a promis pendant la campagne de créer 100 millions d’emplois en cinq ans. Cela ne sera possible qu’avec une amélioration majeure des capacités professionnelles des nouveaux entrants sur le marché du travail.

De même, si Jokowi a permis certaines améliorations bureaucratiques (collecte de l’impôt, obtention de permis), l’Indonésie reste victime de réglementations compliquées, parfois divergentes entre les administrations centrale et locales et d’une paperasserie étouffante, sans oublier la corruption toujours endémique.

Comme il y a cinq ans, le président a promis de faire de l’archipel un centre manufacturier de premier plan. Il a besoin pour cela des investissements étrangers. Mais face à cette bureaucratie sclérosée, à l’incertitude légale, au nationalisme économique et à une nécessaire refonte du droit du travail, les investisseurs ne se bousculent pas. Il faudra donc à Jokowi une ambition et une efficacité démultipliée pour accélérer la croissance économique du pays.

Sur le plan des droits de l’homme enfin, les minorités religieuses, ethniques et sexuelles ne devraient pas voir leurs situations s’améliorer de manière radicale. Le score de Prabowo a encore une fois montré que l’islam politique conservateur est désormais fortement ancré dans la société indonésienne. Jokowi est un homme pragmatique. Il sait qu’il devra s’accommoder de cette mouvance afin de pousser son agenda économique d’un autre côté. Son vice-président se chargera sans doute de le lui rappeler le cas échéant.
Si l’Indonésie pourrait devenir une économie à deux billions de dollars dans les cinq ans à venir, elle ne sera pas encore une société libérale. Les chantiers restent immenses.

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