Les collections de dix-neuf gros volumes appartenant à « La Géographie universelle » d’Elysée Reclus sont toujours très recherchées plus d’un siècle après leur publication non seulement en raison de leur exhaustivité sur les connaissances que l’on pouvait avoir sur le monde à cette époque, mais aussi pour les minutieuses descriptions de paysages et les superbes illustrations accompagnant les textes. En effet, cette collection a constitué une référence pour des dizaines de milliers de Français à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. L’Insulinde y est traitée en 320 pages dans le chapitre III du volume XIV, un ouvrage de plus de mille pages consacré à l’océan et aux terres océaniennes.
A l’époque, les grandes îles de Sumatra et Bornéo ne sont pas encore totalement explorées, la province d’Atjeh ou l’île de Bali sont loin d’être conquises, les petites îles de l’archipel des Moluques sont mieux connues et décrites en détail, par contre, la grande île de Nouvelle-Guinée inexplorée n’est pas traitée dans le chapitre III consacré à l’Insulinde, mais dans un chapitre à part, le chapitre VI faisant état d’une répartition territoriale fixée lors du traité de 1885 entre la Hollande, l’Angleterre et l’Allemagne. Pour en revenir à l’Insulinde, les paysages décrits à la fin du XIXème siècle n’ont plus rien de commun avec ceux d’aujourd’hui. On s’inquiète encore à Java des ravages au sein de la population commis par les tigres et les panthères. Les connaissances et commentaires sur les Bataks de Sumatra ou les Dayaks de Bornéo sont peu encourageants, et les jugements stéréotypés sur la population javanaise reflètent la mentalité européenne d’une époque assurée de son œuvre civilisatrice. Nous en reproduisons ci-après quelques passages révélateurs de l’état des connaissances et des mentalités.
Les Bataks de Sumatra
Les prisonniers de guerre, considérés comme coupables de « rébellion contre le vainqueur », sont ceux que la coutume épargnait le moins. En outre, la plupart des guerres sont très sanglantes : la jurisprudence batta ne permettant pas d’asservir une commune ou de lui enlever sa terre, on ne peut se venger d’elle que par des meurtres nombreux, et les guirlandes de têtes coupées que l’on voit dans les maisons du radjah témoignent du zèle que mettent les guerriers à cette œuvre d’extermination. En plusieurs districts, ces batailles de village à village retardent l’accroissement de la population batta, réduite d’un autre côté par la pratique des avortements, qui parait être générale. Les mariages sont assez tardifs, à cause du prix des femmes, car d’ordinaire, c’est le mari qui achète son épouse ; mais il y a une autre forme d’union, d’origine matriarcale, l’achat du mari par la femme. Simple propriété mobilière, le conjoint acheté peut être saisi pour dette et se lègue en héritage… »
Extrait de « Les Français et l’Indonésie »
Bernard Dorléans, éd. Kailash
La suite le mois prochain…