A chaque fois que je pense à l’île de Bornéo, sa forêt primaire, l’une des plus vastes de la planète, ses peuples dayaks qui ont laissé une trace indélébile dans la mémoire des voyageurs du siècle dernier, je pense plus particulièrement aux Punans, petit groupe dayak de chasseurs-cueilleurs dont la forêt était et reste encore de nos jours leur habitat de prédilection. Ils sont à juste titre considérés comme le groupe ethnique le plus paisible et le plus pacifique de notre bonne vieille terre. Par petits groupes, ils subsistent dans les jungles entre Sarawak et Kalimantan, vers le Haut-Mahakam et la région des fleuves Kayan et Rajang.
Un groupe très clairsemé que ces clans de Punans, neuf mille survivent encore et les 4/5èmes sont devenus semi-nomades. Seuls quelques groupuscules vont et viennent encore de chaque côté de la frontière pour échapper à la pression grandissante des entreprises multinationales du bois qui débitent cette forêt primaire de Bornéo, l’une des plus grande réserves de la biosphère, pour les besoins d’une société mondiale de plus en plus gourmande. Les bois précieux rapportent des milliards de dollars et, sur les sols laissés déserts, sera planté entre autres le fameux palmier à huile, cette denrée très demandée des pays en voie de développement.
La grande forêt n’est plus qu’une peau de chagrin
Côté indonésien, au Kalimantan, de nombreux groupes subsistent aujourd’hui. Lors de mes remontées d’expéditions dans les années 90, de la rivière Kayan, au départ de Tanjung Selor vers Long Punjungan et Long Sungai Bawang, ou de la rivière Sesayap, au depart de Malinau vers Long Bawan, j’ai retrouvé plusieurs groupes vivant en autarcie dans la forêt, en dehors du monde. Derniers chasseurs-cueilleurs d’Asie du Sud-est, ils sont encore une centaine à résister à l’intégration dans des villages gouvernementaux. Pendant des siècles, les arbres et les plantes de la forêt leur ont servi d’outils, d’abris et de pharmacopée, les esprits des arbres sont leur raison de vivre. Par groupes de deux ou trois familles, ils vont et viennent dans la forêt et refusent encore aujourd’hui de construire des abris permanents ou de cultiver du riz comme bon nombre de leurs congénères assimilés. Ils n’ont d’ailleurs toujours pas de carte d’identité.
Along Pejeng est peut-être le dernier dans la communauté des Punans à vivre en nomade à la frontière du Sarawak et de Kalimantan. Le dernier grand sage de la forêt est vieux maintenant. Il me racontait, en 2008, dans ce petit coin de jungle très dense de Lidung Payau, son désespoir de voir sa liberté et celle de son clan disparaitre « comme le bois qui se consume dans le feu. » Les espèces animales périssent et de nouvelles maladies ont éliminé depuis une décennie plusieurs membres de sa famille, jusqu’à son fils mort empoisonné en buvant l’eau d’une rivière contaminée par les chercheurs d’or qui utilisent le mercure pour extraire le précieux métal.
La forêt se meurt !
A plus d’un titre, Along Pejeng le Punan, se rapproche de Teu Rochak, le Sararakeit de Sibeirut (cf. La Gazette de Bali n°59 – avril 2010). La forêt est leur domaine, leur propriété, elle apporte subsistance et calme. Aujourd’hui, si l’on pointe le doigt sur une planisphère afin de localiser les dernières grandes zones vertes de la planète et leurs habitants d’origine, y compris et surtout la forêt primaire, on se rend compte qu’ils sont tous en danger de disparition totale devant l’avancée humaine. La place de l’homme nature, cet homme libre, est de plus en plus réduite. Il n’a plus aucun droit à l’existence aujourd’hui. Et franchement, comme Along Pejeng, le Punan de Bornéo, je me demande moi aussi où nous nous dirigeons ?