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Les forcats du volcan

J’ai connu, depuis mon premier voyage sur le Kawah Ijen en 1985, de grands héros. Rambo, l’homme qui portait jusqu’à 112 kg et qui, un beau jour de 2005, à l’âge de 40 ans, est parti emporté par une maladie foudroyante. Bambang, lui aussi disparu du jour au lendemain, les bronches brulées. Madrusin, le frère de Budi, 100 kg à chaque voyage. Le tout jeune Casanova, sobriquet unique de ce Javanais marié à une Balinaise, qui avait connu les bars de Kuta et Sanur, et qui est revenu au pays par nécessité. Lui aussi, il porte 100 kg à chaque trajet. Et il y a tous les autres, les sans noms, venus chercher un peu d’argent pour la famille et qui ne resteront que quelques mois peut-être ou bien pour toujours.

Budi se sent vieillir, il me le dit à chacun de mes passages. Je connais bien sa famille pour avoir parfois dormi chez lui. J’y ai amené quelques clients, des amoureux des volcans. Sa femme qui autrefois le regardait comme un surhomme et un bon parti s’émeut aujourd’hui avec tendresse de le voir un peu plus fatigué chaque jour. Ses épaules sont meurtries et les visites à l’infirmerie du village sont de plus en plus fréquentes. Même si les soins sont gratuits pour les employés de la mine, Budi sent qu’il est temps pour lui de changer de vie. Mais il ne sait comment faire. Comment se libérer de quelque chose qu’il aime par dessus tout ? Oublier les liens tissés avec ses compagnons de peine, c’est toute une vie d’homme que Budi a passé dans le ventre du volcan.

Là est tout le dilemme. Lorsqu’un porteur, après tant d’années de travaux exténuants, doit s’arrêter, cela signifie avant tout que la fin est proche. L’oisiveté sera la règle à la maison. Ils se sentent en quelque sorte inutiles. Difficile à accepter pour un homme d’action, pour quelqu’un qui a fait plus de trois fois le tour de la Terre à l’équateur, à pied et charger comme une mule ! C’est pour toutes ces raisons que j’aime Budiono, le héros du cratère vert. J’ai un respect immense envers ces inconnus aux mains et aux pieds puissants, qui souffrent en silence, ne se plaignent jamais de leur sort. Leur sourire n’est jamais feint à l’approche de l’étranger ou du touriste venu « se balader » et admirer ce site hors du commun. Merci Budiono pour tout ce que tu m’as appris, pour ton extrême gentillesse, ta tolérance.

Et je ne pourrais terminer cet article sans énoncer quelques faits sur ces montagnes de feu, ces monstres sacrés des îles de la Sonde, un archipel situé à la frontière convergente de plusieurs plaques tectoniques qui s’enfoncent les unes sous les autres à la vitesse de 10 cm par an. Cette zone contient la plupart des géants de la planète, comme le Merapi près de Jogjakarta et ses nuées ardentes dévastatrices, le Krakatau (on y reviendra) et son éruption titanesque de 1883, le plateau du Tengger ( avec Bromo et Semeru, en éruption permanente depuis trois siècles ), certainement l’un des plus beaux panoramas de cette Asie « matin du monde » pour paraphraser Neru sur Bali. Et tous les autres…

Enfin, un peu de volcanisme pour mieux connaitre le Kawah Ijen et le trésor minéral qu’il contient. Altitude, 2386 m. Le lac d’acide au fond du cratère mesure 960 m par 600 m pour une profondeur de 330 m. Température à la surface du lac, actuellement 38 degrés, au fond du lac, 260 degrés. C’est la plus grande réserve d’acide chlorhydrique et sulfurique de la planète avec environ 37 millions de mètre cube. Au fond de son cratère, un dôme d’extrusion toujours très actif est recouvert d’un lac alimenté par les eaux de pluie. Les gaz volcaniques se dissolvent, réchauffent le lac et font apparaitre des sels et des acides terriblement agressifs. La composition du lac est la suivante : 1 300 000 tonnes de sulfate d’aluminium, 600 000 tonnes d’acide chlorhydrique, 550 000 tonnes d’acide sulfurique, 200 000 tonnes d’aluminium, 170 000 tonnes de sulfate de fer et 30 000 tonnes de soufre pur à 99%.

Cette richesse fabuleuse, personne ne peut l’exploiter car le volcan se réveille parfois et projette de l’acide à 600/1000 m de hauteur, aspergeant tous les environs d’un déluge corrosif. Depuis 1968, une mine à ciel ouvert a été créée avec un ingénieux système de tuyaux qui permet de canaliser le soufre liquide à 115 degrés qui cristallise en masse jaune citron au contact de l’air. 12 à 15 tonnes de soufre apparaissent ainsi chaque jour au fond du cratère, faisant du Kawah Ijen une véritable usine à soufre et un champion mondial dans sa catégorie. On se rappellera pour la phrase de fin que ce soufre sert principalement à blanchir le sucre de canne que nous utilisons au quotidien dans nos cuisines.

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