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Les entreprises d’Etat au cœur de l’économie indonésienne

La récente et immense coupure d’électricité dont ont été victimes Jakarta et d’autres provinces de Java, (affectant plus de vingt millions de personnes pendant plus de vingt-quatre heures pour certains) l’a rappelé à tous : l’économie indonésienne repose beaucoup sur les entreprises d’Etat. Elles sont au centre du développement actuel, et au centre de certains des problèmes affectant l’archipel.

L’opérateur national d’électricité PLN a reconnu que c’est un défaut technique qui a causé la massive coupure de courant du 4 août dernier. Un problème similaire avait déjà eu lieu en août 2005, affectant alors l’ensemble de Java et Bali. Alors que la demande d’électricité augmente, le réseau de transmission de PLN semble ne pas avoir pu suivre. Le problème est que PLN souffre de l’interventionnisme trop important du gouvernement dans l’établissement de ses tarifs, l’empêchant d’effectuer les investissements nécessaires sur son réseau. L’autre problème est qu’en tant qu’opérateur en situation de monopole, PLN n’est pas géré aussi efficacement qu’il devrait l’être, comme en témoigne par exemple le procès actuel de son ancien président pour corruption.
PLN n’est pas la seule entreprise d’état dont certaines des failles ont été exposées récemment. D’autres cas de corruption ont aussi touché l’ancien président de la compagnie aérienne nationale Garuda Indonesia, un ancien directeur du producteur d’acier Krakatau Steel ou le directeur financier de l’opérateur aéroportuaire Angkasa Pura II.
Par ailleurs, le géant de l’énergie Pertamina combat actuellement une marée noire provoquée par ses opérations offshores dans l’ouest de Java. Cela devrait durer au moins six mois. Garuda Indonesia, après avoir été sommée par le ministère des finances de réévaluer ses résultats financiers pour 2018, a révélé des pertes de 175 millions de dollars, en grand contraste avec les 5 millions de profits annoncés préalablement. Krakatau Steel a vu ses pertes annuelles augmenter de 1000% à 64 millions de dollars, et ses revenus baisser de 13%. 2000 de ses employés devraient ainsi être redirigés vers des filiales. La banque Mandiri a aussi été sous le feu des projecteurs après une mésaventure avec les soldes de comptes de certains de ses clients.
Pour un président ayant basé le développement économique du pays, et notamment celui des infrastructures, sur la solidité des entreprises d’Etat, ces récentes nouvelles peuvent paraître inquiétantes. Mais Jokowi doit beaucoup de la réussite de son premier mandat à ces entreprises. Un projet emblématique comme le métro de Jakarta, qui a été inauguré juste avant l’élection présidentielle, a fait beaucoup pour l’image de manager compétent de Jokowi.
Les entreprises d’Etat indonésiennes ont une présence historique. Pendant la période d’indépendance, le gouvernement avait nationalisé 700 entreprises hollandaises qui sont devenues des symboles de la souveraineté nationale. Quand l’année dernière la holding minière Inalum acquiert une participation majoritaire dans la mine d’or et de cuivre opérée par l’américain Freeport en Papua, la rhétorique présidentielle reste proche, mettant en avant la nécessaire souveraineté sur les ressources naturelles du pays. Les discours étaient équivalents en 2017 quand la concession de Total, dans le détroit de Mahakam à Kalimantan, ne fut pas renouvelée, au profit de Pertamina.
Le rôle des entreprises d’Etat comme agents de développement combiné à leur symbolisme signifie que leur énorme présence dans l’économie n’a historiquement provoqué que peu d’opposition. Malgré ce contexte politique, les critiques sur l’inefficacité de certaines d’entre elles et leur rôle dominant dans l’économie nationale ont augmenté. Une étude de l’Université d’Indonésie a montré que sur les 114 entreprises d’état, 80% des profits venaient de 20 d’entre elles, cotées en bourse. De plus, les données gouvernementales montrent que leur part dans la capitalisation boursière indonésienne est de 26%, faisant dire à certains que leur taille repousse l’investissement privé.
Pour rendre les entreprises d’Etat plus efficaces, Jokowi a commencé créer des holdings d’Etat. Celles-ci ont pour objectif de coordonner leurs filiales, d’améliorer le management de leurs opérations et de leurs finances. Trois ont déjà été créées : Pertamina pour le pétrole et le gaz ; PTPN pour les plantations et Inalum pour l’industrie minière. D’autres doivent suivre dès cette année dans l’aviation, la construction, les services financiers ou l’assurance.
Si cette initiative pourrait effectivement permettre de réaliser des économies d’échelle, de réduire les coûts et d’éviter une concurrence entre entreprises d’Etat, elle ne devrait pas rassurer les investisseurs privés.
Une récente étude de l’OCDE montre que la présence des entreprises d’Etat en Indonésie est plus étendue que n’importe où ailleurs au monde, à l’exception de la Chine. Alors que Jokowi doit continuer le développement nécessaire des infrastructures, il n’a jusqu’à maintenant pas réussi à sécuriser l’implication du secteur privé dans cet effort. Seul 1/5e des investissements en provient, bien moins que nécessaire, laissant les entreprises d’Etat prendre en charge la très grande majorité des coûts.
Cette situation représente un problème en accordant aux entreprises impliquées un énorme pouvoir, et des connections très proches avec les sphères du pouvoir politique (ce qui les rend parfois intouchables), au-delà des risques financiers que cela peut faire peser sur le gouvernement. Ce problème est très lié à la répartition des richesses dans le pays, où l’économie est contrôlée par une petite poignée d’individus et de familles.
En cultivant l’opacité de leurs opérations, en plus de leur influence politique, les entreprises d’Etat ferment de fait la porte au secteur privé. Alors que les compagnies étrangères sont invitées à travailler avec les entreprises indonésiennes sur de gros projets d’infrastructure, peu de garanties financières sont données, ce qui décourage invariablement les investisseurs potentiels.
Dès lors, les entreprises d’Etat sont devenues aussi contre-productives qu’indispensables à l’énorme challenge des infrastructures, avec des conséquences néfastes sur le développement socio-économique du pays. Jokowi doit donc parvenir à réduire leur influence dans le développement du pays afin de favoriser l’émergence et la croissance du secteur privé.

Jean-Baptiste Chauvin

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