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Les dessous du cas d’abus sexuels à la Jakarta Intercultural School

C’est une histoire comme la justice indonésienne en offre parfois.
Un double cas d’abus sexuels sur des écoliers de la plus prestigieuse institution scolaire de Jakarta, impliquant Indonésiens et expatriés. Une histoire dans laquelle le système judiciaire semble avoir manqué de justesse et qui pourrait recouvrir d’autres enjeux.

L’histoire débute dans les premiers mois de 2014. La mère d’un enfant de 6 ans scolarisé à la Jakarta International School (JIS, désormais Jakarta Intercultural School) porte plainte pour abus sexuels répétés sur son fils dans l’enceinte de l’école. Six employés de l’entreprise ISS, en charge de l’entretien de l’école, sont arrêtés. L’un d’entre eux meurt pendant sa garde à vue. La police parle de suicide. D’autres penchent pour la thèse de tortures policières qui seraient allées trop loin, dans le but d’extorquer des aveux. Les cinq autres avouent, puis se rétractent en évoquant ces mêmes tortures policières qu’ils auraient eux aussi subies. Ils sont tous condamnés à des peines de prison allant de sept à huit ans en décembre 2014. D’après la cour, la victime aurait contracté un herpès génital qui serait le résultat des abus sexuels menés par ces agents d’entretien. Ces conclusions scientifiques sont fermement contestées par Kevin Baird, microbiologiste à l’Université d’Oxford ayant participé au procès. Celui-ci parle du procès comme d’une tragique erreur judiciaire.

En juillet dernier, deux éducateurs de la JIS, le Canadien Neil Bantleman et l’Indonésien Ferdinand Tjiong, sont à leur tour arrêtés et accusés d’avoir abusé sexuellement et de manière récurrente trois enfants de cinq à six ans dans un bureau administratif de l’école. Une mère affirme aussi que les actes en question ont été filmés par la principale. Cette dernière, ressortissante américaine, sera pourtant rapidement mise hors de cause. Certains n’hésitent pas à expliquer que les efforts diplomatiques menés par l’ambassade des Etats-Unis y auraient fortement contribué.

Après quatre mois d’un procès à huis-clos, les deux enseignants ont été reconnus coupables et condamnés début avril à 10 ans de prison. Un verdict qui a ému la communauté internationale. Car le procès compte de nombreux éléments contestables. En l’absence de preuves physiques desdites agressions sexuelles, les procureurs ont très largement construit leur accusation sur les seuls témoignages des victimes. Les tout premiers témoignages de ces enfants, les plus fiables d’après des pédopsychiatres occidentaux, ne reconnaissaient d’ailleurs aucune agression sexuelle. Les enfants furent par la suite efficacement dirigés au cours de nombreux et potentiellement traumatisants entretiens, interrogatoires et autres tests médicaux vers la reconnaissance de leurs agresseurs supposés.

Le personnel consulaire canadien fut interdit d’assister au procès, au mépris de la Convention de Vienne dont l’Indonésie est pourtant signataire. Le manque de transparence des débats fut également troublant quand le juge ordonna à toutes les parties de ne pas s’exprimer dans les médias pendant toute la durée du procès. Les avocats de Bantleman et Tjiong ont aussi remis en cause certaines preuves, pointant notamment l’affirmation par une des victimes que Bantleman avait inséré une pierre magique dans son anus afin de stopper la douleur. Des résultats de tests médicaux effectués par des spécialistes à Singapour furent considérés par les juges comme irrecevables sous prétexte que des copies furent confiées au tribunal et non les originaux. Des lettres de soutien aux deux éducateurs furent bizarrement considérées par les juges comme preuves supplémentaires de leur culpabilité. Enfin, les juges ont estimé qu’un rapport sexuel par semaine (la moyenne admise par Neil Bantleman avec sa femme) était hautement insuffisant et que le Canadien devait dès lors assouvir ses besoins sexuels autrement, donc avec les enfants dont il avait la charge à l’école.

Les ambassades canadienne et américaine (membre fondateur de JIS) ont exprimé leurs doutes quant à l’impartialité du processus. L’ambassadeur américain
Robert O’Blake Jr. s’est dit « profondément déçu » et a soulevé « des questions sérieuses en ce qui concerne l’enquête et le manque de preuves crédibles contre les enseignants. » Dans le contexte de tassement économique actuel de l’Indonésie, et alors que le président Jokowi veut convaincre les investisseurs étrangers de choisir l’Archipel, l’exemple est pour le moins contre-productif. « La communauté internationale dans son ensemble suit ce cas de très près, a encore affirmé l’ambassade américaine. La conclusion de ce processus légal et ce que cela révèle de l’application de la loi en Indonésie aura un impact majeur sur la réputation du pays à l’étranger. »

Si comme cela y ressemble beaucoup, les deux éducateurs se retrouvent aujourd’hui pris au piège d’un cas inexistant et qui les dépasse, il est légitime de se demander à qui profite le crime ? Pour les avocats de la défense, une partie de la réponse ne fait aucun doute. « Les juges se doivent de considérer le procès civil pour 125 millions de dollars (intenté en parallèle au procès pénal) par la mère d’un des enfants comme un prétexte pour impliquer les enseignants dans ce procès criminel » ont-ils ainsi affirmé. Voilà ce qui pourrait donc se cacher derrière ces procès contestables. Une tentative concertée et vaguement déguisée pour fermer les campus de la JIS (environ 20 hectares répartis entre trois campus à Pondok Indah, Cilandak et Kebayoran Baru, quartiers très prisés des promoteurs immobiliers à Jakarta) pour des questions financières et de développement immobilier.

Ce faisant, Neil Bantleman et Ferdinand Tjiong ont fait appel de leur condamnation. Désormais dans l’œil du radar international, la justice indonésienne aurait certainement beaucoup à gagner en termes de crédibilité et de respectabilité en offrant un procès juste et équitable aux deux enseignants. Reste à savoir si les enquêteurs et les juges auront le même noble intérêt.

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