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LES CHANTS DU RETOUR

Ça commence par un truc qu’on dit comme ça après une petite frustration du quotidien, comme une coupure d’Internet, un coup de chaud dans un embouteillage ou une matinée perdue pour un materei à 6000rp : « C’est plus possible, faut partir d’ici ! » Une idée en l’air à laquelle on ne croit pas une seconde, mais que le seul fait de ruminer donne du courage pour affronter toutes ces petites choses simples que l’Indonésie sait si bien rendre compliquées.

Et puis on rentre chez soi, on prend une douche, on se commande un Go-Jek, et maintenant que l’Internet est revenu, on se détend devant un épisode de Games of Throne. Finalement, on va se coucher en se disant qu’on est quand même bien à Bali. Faudrait quand même pas cracher dans la soupe ni tout remettre en question sur un coup de tête. Non, pour ça, il va falloir attendre quelque chose de plus consistant : renégocier un loyer avec un proprio aussi raisonnable que doué avec les chiffres, s’accommoder d’un énième règlement venu d’ailleurs mais ne menant nulle part, si ce n’est dans le mur, ou faire face à un problème de santé pour lequel le diagnostic immuable de masuk angin ne semble jamais faire mouche.

A Bali, où tout peut basculer très vite et où rares sont ceux pouvant se targuer d’une réelle stabilité, on est particulièrement exposée aux accidents de la vie. Un revers de la médaille que la plupart acceptent plutôt bien, étant pour beaucoup venus tenter l’aventure balinaise afin d’échapper à une certaine routine quotidienne. Mais un beau jour, ces situations deviennent le point de départ d’une réflexion dans laquelle on retrouve souvent des mots tel que plateau de fromages, vin rouge, repas de famille, cours de violoncelle, vacances au ski, école gratuite, sécurité sociale… Et des années après avoir quitté son pays pour sortir de sa zone de confort, on se laisse griser à l’idée de la retrouver. C’est d’autant plus vrai pour ceux qui entretemps ont fondé une famille. Pour d’autres, aujourd’hui, on quitte Bali comme on quitte aussi Paris, à savoir à cause du coût de la vie, de la circulation et de l’ambiance.

Quelles que soient les raisons ou le niveau d’enthousiasme pour ce départ, pour tous ceux qui choisissent de rentrer, le constat sera sans doute le même : on redevient un Français parmi les autres en moins de temps qu’il n’en faut pour perdre son bronzage. Après tant de temps à avoir été un étranger, plus rien ne vous distingue de vos congénères. Vous rentrez dans le rang. Plus rien ne vous rappelle Bali, plus personne ne vous parle de Bali. Les rares fois où vous avez l’occasion de dire que vous y avez vécu, on vous répond : « Ah oui, ma belle-sœur y est allée l’année dernière. »

Et puis un matin, en vous réveillant dans le silence assourdissant d’une chambre sans clim ni ventilo, où tout semble d’une absolue normalité, il y a ces quelques secondes de vertige pendant lesquelles vous vous demanderez si tout cela n’a pas été qu’un rêve, une parenthèse enchantée. Un chapitre viendra alors de se terminer.

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