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Le scientifique Nicolas Baudin à Timor

Tournons une page de l’histoire de l’Archipel avec l’historien et écrivain Bernard Dorléans (1947-2011), ce mois ci…

(1800-1803). Pendant le tumulte européen engendré par les guerres de la période révolutionnaire, la France avait manifestement d’autres priorités que financer des voyages de découverte dans le monde. Le gouvernement et les instituions scientifiques ne prêtèrent guère attention à la mystérieuse disparition de la Pérouse jusqu’en 1798. C’est alors que l’Institut de France, nouvellement créé pour remplacer les anciennes académies supprimées par la Convention parvint à convaincre Bonaparte de reprendre ce programme scientifique avec l’appui de savants comme Fleurieu, Lacepède, Laplace, Bougainvillée, Cuvier et Jussieu. Nicolas Baudin, né dans l’Ile de Ré, avait fréquemment voyagé pendant les deux décennies précédentes, du Mozambique à Pondichéry, des Antilles à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, et était rescapé de plusieurs naufrages. Grâce à cette expérience, il fut choisi pour commander la nouvelle expédition navale. Nicolas Baudin était entré au service de Joseph II, l’empereur d’Autriche qui, en 1791, lui avait proposé d’assurer l’ouverture d’un comptoir commercial en Chine. Naufragé au large du Cap de Bonne-Espérance en 1795, il regagna la France par les Etats-Unis, peut-être las de toutes ces aventures. Baudin fut présenté au Premier Consul Bonaparte qui redéfinit le projet afin de retenir des objectifs réalistes, tout en maintenant la priorité sur les préoccupations anthropologiques du voyage, ce qui était un concept relativement moderne et nouveau pour l’époque, en dehors du voyage solitaire autour du monde entrepris trente ans plus tôt par l’ethnologue avant la lettre Pagés. Cuvier se plaisait à souligner l’européocentrisme des concepts et des illustrateurs qui
« ne donnaient des habitants que des portraits infidèles et représentaient non des hommes et femmes réels, mais des Blancs barbouillés de suie »

Si Baudin était un navigateur chevronné, il ne faisait malgré tout pas partie des cercles très fermés de la marine française. C’était lui aussi un solitaire, un homme sérieux et un peu raide appartenant à la société aristocratique défunte. Ses manières abruptes et fort peu diplomatiques antagonisaient beaucoup de personnes appelées à cohabiter et travailler avec lui intimement lors des longs voyages maritimes de l’époque. Le 19 octobre 1800, deux navires, le Géographe et le Naturaliste quittèrent le port du Havre avec une équipe de vingt-deux savants dont deux astronomes, deux ingénieurs géographes, un ingénieur du génie maritime, cinq zoologistes (dont François Péron, médecin et élève de Cuvier), trois botanistes et trois dessinateurs. Après une traversée de soixante-quinze jours, ils atteignirent l’île de France. Péron qui était à bord, se fait l’écho des dissensions nées de l’attitude du capitaine Baudin. Tous les passagers se plaignaient de son insistance à suivre de si près les côtes africaines et non de naviguer au plus court. A l’arrivée à l’île de France, quarante hommes d’équipage, plusieurs officiers et un certain nombre de membres de l’équipe civile scientifique étaient dans un tel état d’irritation et de fatigue qu’ils décidèrent d’abandonner le navire avant qu’il ne reprenne la seconde et interminable étape conduisant à traverser tout l’Océan Indien.
L’aide-timonier Charles-Alexandre Lesueur se révéla un excellent dessinateur et en collaboration avec François Péron et Nicolas Petit, il constitua d’admirables collections conservées au Musée d’histoire naturelle du Havre. Le 25 mai 1801, l’un des navires arriva en vue des côtes occidentales australiennes et l’équipe scientifique put commencer ses explorations et recherches. C’est l’équipe du Naturaliste qui établit la première carte précise de la région de Shark Bay, ce qui explique la persistance de toute une toponymie d’origine française dans cette région : péninsule Péron, baies Hamelin, Freycinet, etc. Le 21 septembre, les deux navires de l’expédition se réunirent à Kupang dans la partie occidentale de l’île de Timor où les naturalistes purent compléter leurs collections en oiseaux, insectes reptiles. Si les recherches avaient été fructueuses, notamment autour de la Swan River, l’état sanitaire de l’équipage était préoccupant avec une épidémie de dysenterie qui fit douze morts entre le 18 et le 26 novembre affectant aussi bien les membres de l’équipage que les membres de l’équipe scientifique. Leschenault, l’un des botanistes put se rétablir à terre et alla dans l’île de Java pour effectuer des recherches que personne n’avait entreprises en dépit de la présence d’une société savante à Batavia.

Ce fut donc avec une équipe réduite que Baudin et Hamelin quittèrent Timor le 13 décembre 1801 pour reprendre leurs explorations au bord des côtes de l’Australie ; le Géographe arriva à Sydney qui était une petite agglomération d’à peine 2400 habitants parmi lesquels un bon tiers était des repris de justice assignés à des travaux d’intérêt public. L’un des deux navires de l’expédition française, le Naturaliste retourna sans difficulté particulière en France où il put débarquer au Havre le 7 juin 1803 une riche cargaison de cent cinquante caisses de collections d’histoire naturelle.

Pendant ce temps, le 6 mars 1803, le Géographe retourna à Kupang pour une seconde campagne de recherches. Lors de cette seconde campagne à Timor, les Français furent invités aux funérailles de Nabaleba, le roi de Solor et Rajah d’Amassi. Ce dernier n’avait pas encore été enterré bien que son décès remonta à plusieurs mois avant l’inhumation. Les modalités officielles de cette cérémonie devaient comporter beaucoup de faste et une très grande pompe. Non seulement tous les sujets du prince devaient assister aux cérémonies, mais également tous les rois alliés de ce prince ainsi que les représentants hollandais et les métis de la ville de Kupang. Tous ces invités devaient être nourris pendant près d’une semaine. De nombreux buffles, porcs et poulets furent sacrifiés lors de cette occasion exceptionnelle. De surcroît, tous les invités devaient recevoir, en fonction de leur importance et de leur rang social, un plateau d’or. Il n’est pas surprenant que le coût prohibitif de telles cérémonies entraînait quelque délai dans leur mise en œuvre. Le corps du défunt était donc conservé parfois pendant quatre ou cinq ans dans une demeure royale avant d’être définitivement inhumé. Pendant cette longue attente, les épouses du défunt se devaient de garder, tour à tour, la maison et le cercueil qui demeurait couvert d’un linceul et entouré de torches constamment allumées. Le cercueil était soigneusement sculpté dans un tronc d’arbre et hermétiquement fermé avec un couvercle collé avec de la pâte faite de résine provenant de palmiers à sucre et mélangée à la chaux vive. Grâce à cette précaution, et malgré la chaleur, la putréfaction du cadavre ne dégageait pas d’odeur insupportable. Après ces cérémonies, le Géographe quitta enfin Timor pour poursuivre ses explorations en Chine mais le 16 septembre 1803, le capitaine Baudin mourut après une escale à Canton. Le navire avait tout de même réuni une estimable collection remplissant quarante caisses de collections d’histoire naturelle et ménageries complètes comprenant des kangourous, des panthères, des lions, des singes et des oiseaux ; certains de ces animaux devaient être offerts à la ménagerie personnelle de l’épouse de l’Empereur et les autres au Musée de Zoologie. Le 26 janvier 1804, le Géographe abordait le port de Lorient après une fructueuse campagne qui avait duré quarante-deux mois et comporté un périple de cent quinze mille kilomètres. Les résultats de cette exploration et de ces travaux étaient immenses et laissaient loin derrière Cook et Bank. C’est la France qui a le plus contribué à la découverte de l’Australie, un mérite qui ne lui a jamais été reconnu. La moisson d’informations scientifiques était d’une telle richesse qu’elle fut à l’origine des toutes premières discussions scientifiques opposant l’école
« évolutionniste » à laquelle appartenaient Cuvier et les tenants du « fixisme » comme Lamarck. Cette discussion se prolongera tout au long du XIXème siècle avec les théories de Russell Wallace sur l’évolution des espèces et du monde. Grâce à Péron, des observations complémentaires dans le domaine de l’ethnologie et de l’anthropologie richement illustrées par des artistes comme Alexandre Lesueur et Nicolas Petit, furent rapportées en France. Ces collections sont toujours aujourd’hui au Musée du Havre.

Extrait de « Les Français et l’Indonésie », Bernard Dorléans, éd. Kailash

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