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Le racisme, essence ordinaire en Indonésie

Comme tous les ans dans la période qui précède leur fête nationale, les Indonésiens sont invités à montrer publiquement leur amour pour le drapeau en l’exposant partout. Comme tous les ans cela conduit aussi à des accès de racisme envers ceux qui n’ont pas le nationalisme indonésien chevillé au corps, en premier lieu les papous. 2019 n’a pas fait exception.

Le 17 août dernier, fête nationale célébrant les 74 ans de l’indépendance indonésienne, plusieurs organisations de masse se sont rassemblées devant un dortoir où résident des étudiants originaires de Papua dans la ville de Surabaya (Java-Est). Accusés de ne pas prendre part aux festivités et d’avoir jeté un drapeau indonésien dans les égouts (une allégation qu’ils nient), les étudiants ont été victimes d’injures racistes les qualifiant de « singes», « chiens», « animaux» et « porcs ». Dans la foulée, les forces de sécurité indonésiennes ont empêché l’accès au dortoir, y lançant des gaz lacrymogènes et arrêtant les étudiants y résidant. Ils ont été relâchés quelques heures plus tard.

Les réactions à cet énième incident dont les ressortissants des provinces de Papua sont victimes ne se sont pas fait attendre, avec des manifestations parfois violentes dans plusieurs localités de ces provinces les plus à l’est de l’Indonésie. Les émeutes se sont prolongées pendant plusieurs jours, et la réponse du gouvernement indonésien n’a été que sécuritaire, avec l’envoi de 300 troupes supplémentaires dans une région déjà fortement militarisée par l’Etat.

Le problème papou n’a rien de nouveau en Indonésie. En décembre dernier encore, une attaque par des combattants indépendantistes avait tué 17 personnes et entraîné une réaction militaire de grande ampleur qui avait provoqué la fuite de 35000 civils quand l’armée indonésienne avait cherché à poursuivre les rebelles jusque dans les montagnes de la région. Le problème date en réalité des années 1960. Jusqu’en 1961, la région était une colonie hollandaise avant que l’Indonésie ne prenne la suite. Elle est devenue officiellement une partie de l’archipel en 1969 après un référendum pendant lequel seules 1000 personnes furent autorisées à voter, et sous pression. Une rébellion armée par les indigènes de l’Armée de libération nationale de la Papouasie occidentale a depuis lors mené la lutte. La région est la plus pauvre d’Indonésie, malgré ses immenses ressources naturelles, et de nombreuses atteintes aux droits de l’Homme y ont été observées.

Comme les étudiants de Surabaya, de nombreux papous ont été victimes de la discrimination raciale de la part de la majorité javanaise. En 2014, un activiste politique originaire de la région, Filep Karma, écrivait un ouvrage au titre sans équivoque : « Comme si nous étions à moitié animal : le racisme de l’Indonésie en terres papoues ». Dans son livre, il fait part de son expérience personnelle en tant qu’étudiant originaire de Papua à Solo, ou les papous étaient souvent appelés « singes », et des crimes contre l’humanité exercés contre la population locale sur son propre sol.

Récemment, une équipe composée de membres d’ONG, d’églises papoues et de l’administration locale de Nduga ont présenté les résultats de leur enquête sur les conflits entre l’armée indonésienne et les groupes armés papous dans ce district de Papua. Ils ont découvert qu’au moins 182 personnes, principalement des femmes et des enfants, sont mortes, certaines aux mains des forces de sécurité indonésiennes. Beaucoup d’autres sont mortes de faim ou de maladies après avoir fui leurs villages en proie au conflit.

Si une telle tragédie avait eu lieu sur Java, cela aurait provoqué de nombreuses réactions, à commencer par celle du président Jokowi. Mais les morts de Nduga se sont déroulées dans le silence le plus complet. Comme beaucoup d’autres depuis plusieurs décennies. Dans les yeux des élites de Jakarta, les victimes en Papua sont sans valeur. Pas d’outrage, pas d’attention, pas de solution de paix.

Pour la majorité des non papous, il n’y a rien d’anormal à cela. Sous le prétexte du nationalisme, ils pensent que les papous n’ont pas droit à l’outrage. Jokowi, encore plus que ses prédécesseurs, a certes transféré beaucoup d’argent et complété plusieurs gros projets d’infrastructure dans la région. Mais ce qui n’a pas été accordé, c’est le respect et la reconnaissance de leur égalité devant les autres Indonésiens. En tant que citoyens indonésiens, ils ont aussi le droit de protester quand ils pensent être traités de manière injuste. Un tel manquement ne peut s’appeler que racisme.

Comme les Hollandais l’ont fait pendant leur longue période de domination sur l’archipel, comme beaucoup d’autres colonisateurs l’ont aussi fait ailleurs dans le monde, beaucoup d’Indonésiens doivent admettre que le traitement infligé aux papous l’est en raison de leur couleur de peau, et parce qu’ils sont ainsi considérés comme inférieurs.

Les habitants de Papua méritent la paix et la prospérité sur leurs terres riches, et sans éradication du racisme à leur égard, il n’y aura jamais de résolution pacifique. Le racisme de l’occupant hollandais fut en son temps un élément fondateur du nationalisme bourgeonnant indonésien. L’Indonésie doit s’en souvenir. Si le racisme contre les papous cimente leur lutte pour l’indépendance contre l’occupation indonésienne sur leurs terres, une erreur aura été commise.
La mémoire de l’Indonésie ne doit pas être sélective.


Jean-Baptiste Chauvin

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