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Le président SBY, fossoyeur de la Reformasi ?

On peut reprocher aux étudiants indonésiens, comme à ceux du monde
entier, leur manque d’expérience. On peut toutefois difficilement remettre en cause la force et la perspicacité de leur engagement et leur rôle prépondérant dans les évolutions positives et historiques du pays. Ils étaient aux premières loges dans les pas de Soekarno dans la lutte pour l’indépendance ; ils étaient à nouveau ceux qui ont enclenché le mouvement entrainant la fin de l’Ordre Nouveau un peu plus de cinquante ans plus tard. Comment dès lors interpréter les manifestations étudiantes qui ont accueilli le président Yudhoyono en visite à Makassar le 19 octobre dernier, à la veille du premier anniversaire de son second et dernier mandat ?

Il n’est évidemment pas question d’affirmer que chacune des manifestations étudiantes qui secouent régulièrement l’Indonésie est un appel au sauvetage de la nation. Il n’en reste pas moins que les étudiants de Makassar avaient décidé en ce jour symbolique de montrer leur déception et leur colère face à l’ineptie présidentielle et
aux performances qu’ils jugent médiocres de son gouvernement.

Cette situation peut sembler paradoxale vue d’ailleurs. Les investisseurs étrangers se ruent actuellement sur la bourse de Jakarta,
louant la croissance ininterrompue du pays malgré la crise mondiale et sa stabilité politique. Il n’est pas inutile de rappeler que la croissance indonésienne en 2009 fut essentiellement le résultat de la faible
dépendance du pays aux exportations, la consommation intérieure des 240 millions d’Indonésiens ayant toujours été le moteur de la croissance, bien plus que de mesures prises par le gouvernement.
Une vérité encore accentuée en année électorale avec son cortège de dépenses pharaoniques. Les ressources naturelles incroyables du pays sont également source d’un intérêt majeur pour la zone Asie et son développement exponentiel, attirant naturellement les géants consommateurs d’énergie au premier rang desquels la Chine. Quant à la stabilité politique tant appréciée des étrangers, elle est davantage
considérée comme un statu quo politique vue de l’intérieur.

C’est cette permanence de tous les défauts du pays qui irritent tant les étudiants de Makassar, et avec eux le reste de la société civile comme l’ont démontré les manifestations marquant la première année du cabinet SBY-Boediono le 20 octobre dernier. En 2004, et encore plus lors de sa réélection en 2009, le président Yudhoyono a été plébiscité pour ses promesses de lutte contre la corruption. Six ans après son arrivée au pouvoir, rien n’a changé. Le KPK, seule institution respectable et respectée dans la lutte anti-corruption, voit ses dirigeants attaqués de toutes parts par toute une partie de la classe politique et par l’oligarchie « suhartienne » qui n’ont aucun intérêt à voir les choses évoluer. La police, historiquement considérée comme l’institution la plus corrompue du pays, est encore et toujours impliquée
dans de nouveaux scandales, au point où elle se permet d’affirmer posséder des preuves (finalement inexistantes) contre les dirigeants du KPK. En toute impunité.

Cela n’a pas empêché son chef, Bambang Hendarso Danuri, de finir son mandat dans la plus grande tranquillité et avec le soutien du président. Un président qui se permet désormais de nommer un nouveau chef
de la police, Timur Pradopo, lui-même en charge des forces de sécurité responsables de l’assassinat de quatre étudiants en 1998 et supposé co-fondateur du FPI, le Front des défenseurs de l’Islam, connu pour ses
méthodes radicales. Un signe tangible du manque de volonté du pouvoir de voir la situation évoluer.

Le début du second mandat du président Yudhoyono est également marqué par le non-respect des droits des minorités. En quelques mois, plusieurs cas de violences religieuses (contre des congrégations
chrétiennes dans plusieurs villes proches de Jakarta ; contre la « secte » Ahmadiyah, ethniques (entre gangs en plein coeur de la capitale et à Kalimantan) ou sexuelles (contre des associations gays et lesbiennes)
ont été répertoriés. Aucun de ces différents cas n’a vu de coupables arrêtés et jugés. Dans le même temps, l’ancien directeur de la publication du Playboy indonésien, une version locale du magazine sans nudité, se voit condamner à deux ans d’emprisonnement pour indécence. Dans la même veine, le chanteur Ariel est désormais emprisonné depuis plusieursmois sans jugement pour l’existence de vidéos intimes un temps disponibles sur Internet. Ces exemples ne sont pas exhaustifs.

Face à ces troubles récurrents, le président est étrangement inaudible,
comme empêtré dans sa légendaire indécision. Le bateau indonésien
n’a pas de capitaine. Cette indécision n’est pourtant pas nouvelle. Elle a accompagné son premier mandat, mais était atténuée par l’activisme et la réactivité de Jusuf Kalla, l’ancien vice-président. Des qualités qui
ne sont pas celles de son remplaçant Boediono, un économiste respecté mais très discret.

Dès lors, peut-on encore parler de « Reformasi » ? L’Indonésie a certes
embrassé le concept démocratique, mais ce processus a été entamé bien avant l’arrivée de Yudhoyono au pouvoir. Pour le reste, les maux qui affectaient l’Indonésie de Suharto existent toujours, et ceux qui
l’entretenaient, cette oligarchie composée d’hommes d’affaires essentiellement javanais et d’anciens généraux, sont toujours dans les arcanes du pouvoir. De nouveaux problèmes tels que le terrorisme ou la montée de l’intolérance sont même venus s’agréger à ceux déjà existants. En 2014, le président aura passé dix ans au pouvoir, une période bien assez longue pour laisser un héritage. Quel est celui qu’il veut léguer à son pays ? Dans l’état actuel des choses, il pourrait très bien être celui qui a définitivement enterré la « Reformasi ». Avec les risques de radicalisation que cela engendre. Il reste quatre ans à Susilo
Bambang Yudhoyono pour changer le cours de son histoire à la tête de l’Indonésie. C’est assez pour envisager des réformes. Mais c’est très court quand on n’a pas le courage politique de les mener.

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