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Le plus grand Kecak capturé live par l’aventurier Douchan Gersi

L’explorateur, cinéaste, acteur et écrivain belge Douchan Gersi est résident à Bali depuis une douzaine d’années. Cette année, il a projeté au restaurant Baobab, et depuis le mois dernier au restaurant BOW, certains de ses films et docus, jalons d’une filmographie entamée dans les années 60. L’occasion de voir le mois dernier le montage définitif d’un film réalisé en 2004 intitulé « Les 1001 danseurs du Kecak Dance » sur la plus grande performance jamais organisée de cette danse balinaise (re)créée par le peintre allemand Walter Spies et qui fait désormais partie du patrimoine de l’île. Retour sur l’aventure de ce film et aussi sur la vie d’aventure de ce charismatique personnage ô combien romanesque, aussi à l’aise dans les jungles reculées que dans les salons mondains…

Le vrai Indiana Jones, c’est lui. Et c’est Steven Spielberg qui le dit, dans la série télé « The Real-Life Indiana Jones  », diffusée sur CBS. Difficile donc de cerner en une page un personnage « larger than life », comme disent les Anglo-Saxons, et qui a bourlingué toute sa vie dans toutes les contrées du monde, glanant sur la route de nombreux prix pour son travail de documentation et des amitiés indéfectibles parmi les grands de ce monde, du gratin du showbiz aux leaders mondiaux et autres têtes couronnées. Véritable personnage de roman lui-même, sa vie est un film et les studios d’Hollywood lui ont déjà plusieurs fois proposé d’acheter les droits de son histoire personnelle. Et ses jeunes années, moins connues, valent à elles seules d’être contées.

Né à Bratislava en 1947 d’un père hongrois et d’une mère slovaque qui ont fui en voiture le régime communiste sous une fausse identité avec lui encore nourrisson caché dans la roue de secours, l’explorateur Douchan Gersi a montré toute sa vie un désir de revanche sur les infortunes de son enfance. Ainsi qu’une promesse faite à son père sur son lit de mort quand il n’avait que 12 ans, celle de ne jamais perdre son temps. Après moult péripéties qui les emmènera jusqu’au Venezuela sans même débarquer du bateau, le couple et leur bébé finiront par s’installer dans une contrée isolée du Congo belge. Destin cruel des réfugiés apatrides, la famille a dû changer plusieurs fois de noms et a fini par quitter cette terre d’Afrique en proie aux violences de la guerre d’indépendance pour finalement s’installer à Bruxelles. A l’époque, le jeune Douchan, qui parle couramment le Swahili et d’autres dialectes africains, n’est par contre pas bien à l’aise en français et pataugent dans ses études gréco-latines sous les moqueries de ses petits camarades de classe. On l’orientera vite vers un lycée technique dont il n’a que faire. « Mon enfance a été brisée par la mort de mon père. Je pense à tous ceux qui sont morts pour qu’on survive. J’ai toujours été habité de toutes ces forces des autres », se remémore-t-il aujourd’hui avec émotion dans sa maison de Kerobokan au désordre gigantesque.

A 16 ans, il obtient sa première revanche sur le sort et cette langue française qui lui échappait, il reçoit un prix pour des poèmes, un recueil est publié. Il prend des cours de diction sous la direction de Claude Etienne (Théâtre du Rideau de Bruxelles) et fait son chemin dans l’apprentissage du métier d’acteur avant de s’essayer aux conférences en raison de ses talents de conteur. Il fait ainsi la connaissance du poète, dessinateur et réalisateur Samivel, qui le prend sous sa coupe comme assistant pour le film « Soleils en Provence » qui propose en 1965 un panorama de tous les personnages célèbres qui résident dans cette région du sud de la France. Ce film gagnera un prix pour l’image que Samivel partage publiquement avec Douchan. La carrière de ce dernier va alors démarrer et les propositions affluent. « Je n’ai jamais su dire non », explique-t-il. Tous les sociétaires de Connaissance du Monde veulent désormais travailler avec lui, affirme-t-il. A 20 ans, le documentariste Gabriel Lingé l’emmène aux Philippines pour essayer de retrouver ces fameux soldats japonais qu’on dit ignorants de la fin de la 2ème Guerre mondiale. C’est un échec, mais Douchan reste sur place car il veut lui trouver la tribu des Ayapao, des coupeurs de têtes que personne n’a encore réussi à localiser. Il les trouvera et recevra les félicitations du dictateur Marcos. S’ensuivra alors une autre expédition avec Gabriel Lingé chez les Maoris puis une vie entière d’aventures de Bornéo au Sahara, de l’Amazonie à Cuba, de l’Inde à Hawaï, de l’Ethiopie aux Andes, de l’Irak au Mustang. Voir sur Internet bibliographie et filmographie exhaustives…

Alors qu’il travaille actuellement à son autobiographie intitulée « Au gré du hasard  », une formule qui résume parfaitement sa vie selon lui, il nous rappelle qu’il est venu s’installer à Bali pour enfin se sédentariser. Basé à Los Angeles pendant une vingtaine d’années, c’est donc ici qu’il a fini par poser ses valises en famille, après avoir longtemps cherché. Pourquoi à Bali ? Parce que c’est une île où on trouve des écoles internationales répond-il candidement. Il y avait vécu quelques mois en 1975 après une expédition à Bornéo. Accompagné de son ami Marlon Brando, ils ont travaillé à Ubud sur le script du film sur Gauguin que l’acteur hollywoodien voulait réaliser et qui ne verra jamais le jour. Brando souhaitait que Douchan incarne le fameux peintre français exilé à Tahiti dans son film.

En 2004, alors qu’il n’est sur l’île que depuis peu, Douchan est contacté par le Français Jan qui, avec plusieurs amis balinais, est sur le point d’accomplir un projet fou : organiser à GWK la plus grande représentation de Kecak jamais réalisée à Bali avec 1001 participants. « Il voulait que je fasse le film le lendemain ! J’ai été mis en contact avec d’autres caméramans, nous étions six en tout et nous sommes arrivés sur place vers 14h00, le temps d’imaginer comment cela allait se passer et d’installer des micros un peu au hasard pour la prise de son », explique-t-il. Le film n’est pas un docu, il n’y a pas de narration. Il s’agit de capturer en direct-live l’intégralité des 45 minutes de la représentation. Les cassettes des caméras durent une heure, il n’y aura donc pas droit à l’erreur et Douchan prévient tout le monde de bien démarrer en même temps afin de faciliter le montage ultérieur. Malheureusement, la consigne ne sera pas respectée et certains devront même recharger leur batterie en route. « J’ai passé ensuite neuf mois à retrouver la synchro. Et puis le son n’était pas propre sur certaines séquences. On entendait des gens parler…  », explique-t-il.

Le film connaîtra alors l’oubli. Deux représentations publiques auront lieu seulement, dont une à Made’s Warung avec la bande-son imparfaite. « C’était un travail bénévole, pas question d’argent, d’être payé. Tout le monde a donné de son temps et de son talent. Les 1001 danseurs et nous, derrière les caméras. Une belle aventure… Et puis, le film ne pouvait pas être vendu, à cause du son. Heureusement, notre ami Timodeus Valkenburg, qui possède un super studio d’enregistrement ici, a réussi à nettoyer le son, sur les six bandes de 45 minutes. Alors aujourd’hui, on va peut-être pouvoir le diffuser. En télé peut-être. », explique le cinéaste. La version remontée a été diffusée le 6 août dernier au restaurant BOW, dirigé par Jan, devant un public de connaisseurs qui ont applaudi la réalisation. Presque toute la force de cette performance unique dans l’histoire de Bali a été capturée dans ce document extraordinaire qui reste en témoignage pour la postérité.

Douchan, lui, est bien sûr passé à autre chose. Notamment à sa biographie, mais pas seulement. Il s’est essayé aux films de fiction par le passé et concède qu’il recommencerait bien un projet de ce type. « Le docu, c’est fini pour moi. Les coupeurs de têtes, il n’y en a plus. Je ne vais pas faire des films sur la pollution ou des trucs comme ça. J’ai sept scripts de fiction sous le coude », explique-t-il. L’exploration, c’est fini ? Vraiment ? Pour être franc, Douchan repartirait bien pour une dernière expédition. L’ultime en quelque sorte. Celle qui le conduirait à la recherche du Mokèlé-mbèmbé, ce dernier dinosaure, analogue au monstre du Loch Ness, des marécages du lac Télé, au Congo. Animal de légende que les Pygmées affirment avoir vu depuis des générations et qui ressemblerait à un sauropode selon les spécialistes de la question. Noblesse oblige donc, il faudra rien moins que le dernier dinosaure pour motiver le dernier explorateur à reprendre la route de l’aventure !

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