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Le peintre Raden Saleh reçu à Paris par le roi Louis-Philippe

Ce chapitre est un résumé de l’article du professeur Pierre Labrousse, publié dans la revue Archipel en 1997.

Raden Saleh naquit en 1811 à Semarang et étudia avec A. Payen, un peintre belge, jusque vers l’année 1826. Trois années plus tard, il arrivait en Hollande et fut accueilli par les inspecteurs de colonies, qui lui obtinrent une bourse pour poursuivre ses études en Europe, y compris à Paris. Il y arriva
en 1845, doté de hautes recommandations pour d’importantes personnalités hollandaises résidant à Paris comme le vieil ambassadeur des Pays-Bas en France, le baron Fagel, le baron Sirtema of Grovestins, le baron Van der Capellen qui avait assumé les importantes fonctions du gouverneur général des Indes néerlandaises, le baron de Vexela, qui était le général ayant combattu la rébellion du prince Diponegoro à Java.

Toutes ces hautes personnalités étaient, il va sans dire, introduites et admises dans le cercle des intimes de la famille royale de Louis-Philippe
d’Orléans, sans parler du Duc Ernst II, de la maison princière de Saxe-Cobourg-Gotha (1818-1893), qui était à la fois un ami et un mécène de
Raden Saleh et avait épousé Alexandrina Von Baden. Son demi-frère était prince de Bade, son oncle était roi de Belgique depuis 1831, quant à son frère Albert, il était devenu mari de la reine Victoria en 1840 ; pour finir ses deux cousins August et Victoria avaient respectivement épousé deux des enfants de Louis-Philippe, Clémentine et le Duc de Nemours.

Il n’est donc pas surprenant que lors de la présentation de Raden Saleh par le baron de Vexela, à la haute société parisienne, l’artiste indonésien ait été non seulement accueilli comme un peintre de grand talent, mais également comme un véritable prince de Java. De surcroît, la mode orientaliste était très en vogue en France à la suite de la présentation des peintures d’Horace Vernet illustrant les batailles pour la conquête de l’Algérie, sans oublier les peintures d‘Eugène Delacroix et de Corot. Tous ces peintres étaient des maîtres pour Raden Saleh et ce dernier cherchait vivement à les rencontrer. Les écrivains emboîtaient le pas aux peintres dans leur goût pour l’orientalisme : Honoré de Balzac publiait son Voyage de Paris à Java en 1836 en s’attardant sur la description de l’Upas, un arbre au pouvoir maléfique exhalant un poison mortel ; cet arbre imaginaire fut même peint
et présenté lors d’une exposition à Paris en 1840 par Jeanron. Ces thèmes à la mode se retrouvaient dans les tons populaires d’Eugène Sue comme « Le juif errant » où il était encore question d’empoisonnement mystérieux et d’étranglement par des Malais impliquant le Prince Djalma… Cet engouement général pour l’orientalisme venait donc très opportunément soutenir la réputation de Raden Saleh quand il quitta Anvers et arriva à Paris le 23 janvier 1845.

On peut en juger par les comptes-rendus flatteurs écrits à Paris le 23 dans la Revue de l’orient et immédiatement traduits, repris et immédiatement publiés à Batavia par la revue Tijdsgrift Voor Nederlandsch-Indië. Bien entendu, l’ex-gouverneur Vand der Capellen, qui résidait à Paris, promit à Raden Saleh de l’introduire à la haute société parisienne aussitôt que l’artiste aurait accompli quelque progrès dans sa connaissance de la langue française. Raden Saleh désirait par-dessus tout rencontrer le grand maître Horace Vernet qui venait juste de livrer au public La prise de la Smalah d’Abd-el-Kader. Cette peinture avait connu un énorme succès, autant par son sujet que par les dimensions de la toile qui mesurait vingt et un mètres
de long sur cinq de haut. Mais ce projet de rencontre dut être reporté car Horace Vernet, qui jouait en quelque sorte le rôle de correspondant aux armées et de reporter, venait d’être invité par l’armée française pour un voyage officiel en Algérie.

Entre-temps, Raden Saleh obtint une invitation officielle pour être introduit à Auguste Saxe-Cobourg-Kathery et son épouse, Clémentine, la fille du roi Louis-Philippe. Plus tard, en avril ou mai, il eut même l’opportunité de parler
directement à la reine et ses enfants. Raden Saleh était enchanté de cette atmosphère, mais était aussi frappé par la liberté des moeurs. Il avait baptisé Paris « la cité des palais ». « …Paris est un jardin au centre de l’univers, plein de fleurs et de fruits parfumés et savoureux… Chacun veut en planter plus que les autres, mais dans les jardins, il y a aussi des serpents dissimulés au milieu des fleurs et des fruits et qui veillent là où sont les chemins étroits et sinueux. Oh Allah… Oh mon Dieu… Qu’ils soient jeunes, vieux, femmes ou hommes, fasse le ciel qu’ils ne soient pas dévoyés vers la
luxure de ce monde. »

Pour ce qui le concerne, Raden Saleh travaillait avec ardeur et grâce aux fonds reçus de la part du gouvernement hollandais, il fut en mesure de louer un petit studio-atelier au 31, avenue des Veuves, désormais appelée avenue Montaigne, près des Champs-Elysées. Puis il eut enfin la chance de rencontrer Horace Vernet dans son atelier à Versailles. En 1845, il commença à peindre une large toile, Chasse au cerf, destinée au roi de Hollande, ainsi qu’une Chasse au tigre qui fut achetée en 1846 par le roi Louis-Philippe à un prix relativement élevé sur les conseils de sa fille Clémentine qui soutenait le peintre. En 1847, la Chasse au cerf dans l’île de Java était prête pour être exposée et fut acceptée pour l’exposition annuelle se tenant au Louvre. Grâce au talent du peintre mais aussi à la vogue orientaliste de l’époque, cette toile relativement large (239 centimètres x 246
centimètres) reçut un accueil très favorable du public et fut également acquise par le roi Louis-Philippe pour un montant de trois mille francs.

En 1847, Raden Saleh entreprit la peinture d’une nouvelle grande toile pour le Grand duc Ernst II de Saxe Cobourg-Gotha et commença aussi Le buffle africain attaqué par les lions en vue de l’exposition du printemps 1848. Si Raden Saleh paraissait extrêmement actif sur le plan de la peinture, il commença à laisser paraître des signes de lassitude en rapport avec sa vie
parisienne, d’autant plus que l’effet de nouveauté était passé, il attirait moins l’attention sur lui. Il se sentait un peu triste et seul et désirait retourner à Java pour revoir sa famille et son pays. De plus, sa peinture des buffles attaqués par les lions ne put être réalisée dans de bonnes conditions
en raison des émeutes et troubles politiques qui affectèrent Paris au mois de février 1848 et conduisant à l’exile du roi Louis-Philippe, qui compte tenu des circonstances ne fut pas en mesure d’acquérir cette nouvelle toile.
Les Français avaient alors d’autres problèmes plus immédiats et la peinture passa quasiment inaperçue.

Pour finir, Raden Saleh l’envoya au roi Willem III de Hollande qui la plaça en résidence, avant que cette toile ne rejoigne le Rijksmuseum à Amsterdam. La
peinture retourna à Paris une dernière fois à l’occasion de l’exposition coloniale en 1931, mais elle fut malheureusement détruite dans l’incendie du pavillon des Pays-Bas. Raden Saleh quitta Paris pendant l’été 1848, et après un séjour d’un an et demi en Saxe, il rentra à Java d’où il ne chercha pas à maintenir et cultiver ses relations parisiennes. C’est seulement vingt ans plus tard, en 1869, qu’il contacta le consul général de France à Batavia, Duchesne de Bellecourt, pour offrir deux de ses nouveaux tableaux à Napoléon III en témoignage de gratitude « pour l’aimable accueil que la grande nation française lui avait réservé vingt ans plus tôt. » Les peintures furent acceptées par Napoléon III et expédiées en France en Mars 1870 sur le navire le Capitole appartenant à la compagnie des Messageries maritimes. Ces toiles arrivèrent au mois de juin 1870 à Paris et furent exposées au palais des Tuileries, mais quelques jours plus tard, la guerre était déclarée entre la France et la Prusse, et les peintures furent détruites dans l’incendie qui ravagea le palais des Tuileries pendant la Commune de Paris en 1870.

Pour finir, Raden Saleh revint une ultime fois à Paris en juillet 1875 pour savoir où étaient ses deux tableaux et c’est là qu’il reçut la confirmation que ses toiles avaient été détruites. Raden Saleh avait assez peu de chance avec
les révolutions françaises. En guise d’épilogue, un tableau de Raden Saleh a été vendu aux enchères à l’hôtel Drouot le 30 avril 1999 pour la somme de 660 000 francs.

Extrait de « Les Français et l’Indonésie », Bernard Dorléans, éd. Kailash histoire

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