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Le peintre devenu grenouille

Un jour en me promenant sur la Jalan Tirta Tawar, aux alentours d’Ubud, je fus surprise par une pluie torrentielle. Je décidai de m’abriter dans un warung arborant un grand panneau en forme de grenouille, un certain Abe Do. L’intérieur était d’un vert lumineux, et le mobilier était peint à la main. Il y avait aussi des toiles magnifiques, et les œuvres qui m’étonnèrent le plus étaient celles qui représentaient des poissons. Leur beauté était tellement saisissante que je ne pus m’empêcher de demander au patron, qui en était l’auteur, comment il avait fait. « J’ai un secret », me répondit-il d’un air amusé. J’insistai tellement qu’il finit par me conter son histoire.

Il était une fois, un peintre du nom de Nyoman qui vivait à Ubud. Il aimait toutes les créatures, mais celles du monde aquatique le fascinaient en particulier. Personne ne le comprenait, car les poissons, les amphibiens et les reptiles sont des êtres froids et inexpressifs. Pourtant, même quand Nyoman peignait des oiseaux ou des fleurs, on trouvait toujours dans ses toiles un ruisseau ou une goutte d’eau, et l’on pouvait y apercevoir au moins un petit poisson.

Un soir, Nyoman regardait la rivière qui coulait au pied de sa maison. Il remarqua avec quelle facilité les poissons nageaient, et ne put s’empêcher de les envier. « Comme j’aimerais avoir cette liberté et cette aisance, moi qui ne sais pas nager ! » dit-il à haute voix. Soudain une grande carpe dorée surgit des profondeurs noires. « Cher Nyoman, tu es un homme bon et un peintre talentueux. Pour te remercier, je te propose de te transformer en grenouille pour une journée ». Nyoman se réjouit, et sans hésitation accepta. Soudain, il se transforma en un beau batracien. Il avait de longues pattes et nageait avec grâce dans l’onde cristalline. Quel bonheur ce fut pour lui de se laisser porter par le courant, et de se cacher sous les immenses nénuphars ! Il plongea dans les profondeurs obscures de la rivière, et profita du silence qui régnait dans ce monde aquatique pour observer le petit peuple de l’eau. À la tombée de la nuit, il aperçut un vers luisant se dandiner à la surface. Grimpant sur un lotus pourpre il le goba, mais à son tour la convoitise d’une grue il attira ! Dévoré en quelques coups de bec, il soupira de ne pas avoir pu peindre toutes les merveilles de ce monde mystérieux.

Heureusement, Nyoman se réveilla, et lentement prit conscience d’être redevenu humain. Etendu sur son lit, il s’interrogea : avait-il rêvé tout cela ? Il reprit sa vie normale, son warung et son art, peignant des poissons, des rivières et des lotus plus que jamais. Ses œuvres avaient toujours été remarquables, mais désormais elles étaient d’une telle vérité que l’on disait que si l’une de ses toiles tombait un jour à l’eau, les poissons qui y étaient représentés se mettraient aussitôt à nager.

D’après un conte japonais « Kogi, le prêtre changé en poisson »
Illustration : collage, crayons de couleur et vernis à ongles.

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