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Le pays de la terre de l’eau

Les Asmat du sud de la Papua se sont nommés le « peuple de l’arbre » car ils croient que l’homme original a été sculpté dans le bois. Dans un monde monotone constitué essentiellement d’eau et d’arbres, il est normal que les habitants cherchent leur origine dans ce qui leur apparaît le plus utile et le plus solide. Les Asmat se considèrent comme des arbres vivants, avec les pieds pour racines, les bras pour branches et le corps pour tronc. Les fruits sont rassemblés dans la tête.

Au carrefour entre accessibilité et acculturation, les Asmat, anciens coupeurs de tête, sont tristement célèbres. Michael Rockefeller, le fils du gouverneur de l’état de New York et l’une des plus grandes fortunes américaines, en fit les frais en 1961 lorsqu’après avoir fait naufrage en mer d’Arafura, il fut capturé en compagnie d’un ami près de la côte Casuarina. Emmené au village d’Otjsenep, il fut tué et mangé à la mode locale. Cela fit grand bruit à l’époque ! Aujourd’hui, complètement pacifiés, ils restent parmi les peuples les plus traditionnels de Papua. Habitant un univers aquatique entre la mangrove et la mer, leurs communautés s’éparpillent le long de la côte en gros villages et hameaux de bois de palétuvier et de palmes tressées.

Le long de la rivière Siretz, les habitants se déplacent en pirogue. Dans tout le pays Asmat, il en va de même, les fleuves remplacent les routes ailleurs. Les pirogues tiennent une grande place dans la vie communautaire, moyen indispensable de transport mais aussi assimilé au wuramon, le canot esprit. La proue est souvent décorée de motifs figurant oiseaux mythiques, casoars ou ancêtres divinisés. Ces wuramon symbolisent la virilité de celui qui l’a construit de ses mains, au même titre que les bisjs, totems géants érigés autrefois dans les villages du sud au bord de la mer d’Arafura. Ces pirogues sont importantes pour la célébration du passage de l’adolescence à l’âge adulte et la cérémonie de la seconde naissance.

Ats, proche de l’embouchure de la Siretz. Les longues pirogues suivent le cours du fleuve, la jungle sur les rives, telle un écran de verdure, étouffe les cris des nombreux cacatoès qui se chamaillent à la cime des arbres. Il y a quarante ans, les pagayeurs debout sur leurs frêles embarcations partaient à la chasse aux têtes. Les villages du sud sont tous construits à la confluence de deux rivières ou sur un coude de rivière pour avoir un champ de vision plus large et éviter de se faire attaquer par surprise. Les missions chrétiennes installées à Agats ont pacifié les peuples au prix de mille péripéties mais plus au nord, proche du Brazza et de la rivière Kolff, il est parfois dangereux aujourd’hui de s’aventurer sur des territoires marqués d’une couleur blanche sur les cartes, « Relief data incomplete ».

Dans la grande jehu, maison communautaire d’Ats, les anciens du clan rafraichissent des boucliers de guerre, les jamasj. Ils sont taillés dans le contrefort extérieur et aérien des racines des artocarpus géants de la forêt, ce qui explique parfois leur forme courbée. Un travail qui prend plusieurs jours avec des motifs décoratifs variés. L’esprit de l’ancêtre habite le bouclier et très souvent reçoit le nom de l’un d’eux. Aussi, quand le guerrier transporte le bouclier, il couple sa force à celle de l’ancêtre et devient invincible, protégé des flèches et des ruses de l’ennemi. Les motifs varient suivant l’origine des habitants de cette immense terre Asmat, qui couvre la superficie de plusieurs départements français. Dessins d’animaux stylisés comme le renard volant, des poissons, le casoar ou encore le crocodile. L’homme lui, porte toujours le bipanew, ornement de nez en coquillage, symbole des chasseurs de têtes.

Aujourd’hui, les crocodiles ne sont plus légion dans les rivières ou embouchures, décimés dans les années quatre-vingt par les chasseurs de peaux. Restent quelque beaux spécimens qui se cachent dans les mangroves et qui, chaque année, font des victimes dans les populations locales. La côte Casuarina pouvait (et peu encore) s’enorgueillir de posséder les plus grands et gros sauriens de la planète, mesurant jusqu’à 7 mètres pour un poids en tonne. Il est alors facile d’imaginer le culte rendu par les autochtones à un tel animal.

Suivre un sculpteur de pirogue pendant la réalisation d’un chef d’œuvre artistique né de sa propre imagination, partager la préparation d’une fête des bisj poles, témoigner de cette relation étrange parfois avec leurs voisins, tout cela illustre parfaitement le quotidien des Asmat. Sur la mer d’Arafura, en équilibre sur leurs pirogues, luttant contre les vagues comme des échassiers debout sur une brindille, les Asmat d’aujourd’hui incarnent parfaitement la position fragile de leur culture luttant contre sa disparition proche. Dans ces moments, hors du temps, ils semblent pourtant à l’abri de toute influence extérieure mais la pression démographique des nouveaux venus indonésiens semble annoncer leur mise en parenthèses.

Je ne peux que me réjouir à chacun de mes passages à Agats (la capitale régionale) lorsque je visite le fabuleux musée dédié à leur culture et aux territoires limitrophes, savourer pour un moment l’extraordinaire qualité des objets, statues, totems, boucliers, lances que ce peuple a su créer avec une belle imagination. Très certainement, l’un des arts les moins connus de la zone pacifique. Alors, juste pour le coup d’œil, prenez un avion de Bali sur Timika, un speed boat sur Agats et allez discuter avec Eric Sarcol, le curateur du musée qui sera intarissable sur l’art local et pourra vous entretenir aussi sur les pratiques cannibales dans les années soixante. Et si vous êtes en France, procurez-vous le film « Le ciel et la boue » réalisé en 1959 par le Français Pierre-Dominique Gaisseau, une expédition considérée par beaucoup comme la plus grande aventure du vingtième siècle. En pleine période de cannibalisme, l’équipe a traversé l’île du sud au nord. Il y est question du peuple asmat et de beaucoup d’aventures au pays de la terre de l’eau.

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