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Le mauvais comique de répétition des parlementaires indonésiens

Alors qu’une nouvelle législature doit siéger à compter de ce mois d’octobre, en même temps que le début du second mandat présidentiel de Jokowi, les parlementaires indonésiens montrent un rare empressement à légiférer. Seuls problèmes : les changements visent à limiter la lutte contre la corruption et à renforcer le conservatisme religieux.

Le “jardin d’enfants de Senayan” a encore frappé. C’est dans ces termes que l’ancien président indonésien Abdurrahman Wahid, après son élection en 1999, avait désigné le DPR, le parlement national. Vingt ans ont passé depuis cette comparaison, et si on doit appréhender la réussite de la transformation démocratique de l’Indonésie à la qualité de ses législateurs, il est peu de dire que le travail est loin d’être achevé.
Cela fait au moins dix ans que les députés nationaux menacent régulièrement d’affaiblir le KPK, la Commission pour l’éradication de la corruption. Le 17 septembre dernier, ils ont finalement atteint leur but en faisant passer un amendement à la loi sur le KPK de 2002 qui devrait neutraliser son pouvoir de nuisance.

Cet amendement a été délibéré en secret par le parlement, sans contribution du KPK ou d’experts.

Il a été finalisé et promulgué en un temps record face à la grogne croissante de la société civile. Seuls 107 députés étaient présents pour voter cette révision, bien en-dessous des 281 requis pour un quorum, bien qu’un porte-parole ait expliqué que 289 législateurs avaient en réalité voté, certains par le biais d’applications de messagerie électronique.
Pourquoi cet amendement ? L’explication officielle semble être que le KPK est inefficace. Il ne coordonne pas suffisamment ses efforts avec les autres institutions. Il a même été indiqué que la corruption avait augmenté depuis la création du KPK. Il y a en réalité très peu de preuves pour suggérer que la performance du KPK n’a pas été exceptionnelle, notamment considérant l’environnement politique dans lequel il exerce. Malgré son manque de moyens (400 enquêteurs dans un pays de 260 millions d’habitants), il a généralement réussi à augmenter le nombre de ses enquêtes chaque année, et n’a perdu qu’un procès dans son histoire parmi les plus de 500 cas jugés. Il n’y a pas non plus de preuves tangibles que la corruption ait augmenté depuis sa création.
Ces fausses justifications sont surtout celles de parlementaires ayant peur d’être mis en cause par le KPK. Ils ont de quoi, puisqu’environ 25 membres de la législature actuelle sont ou ont été mis en examen par le KPK.

Les amendements adoptés attaquent l’institution au cœur de ce qui a fait son succès.

Jusqu’à maintenant, le KPK ne pouvait pas abandonner une enquête, afin d’éviter le versement de pots-de-vin. Désormais, un cas peut être abandonné si l’examen n’est pas terminé dans les deux ans. De même, le succès du KPK doit beaucoup à l’utilisation des écoutes. Si les amendements ne mettent pas fin à la possibilité de mise sur écoutes, ils requièrent désormais d’en faire la demande écrite à un comité de supervision qui sera nouvellement créé. Ce comité devra aussi donner son approbation pour des opérations de perquisition et de saisie. Et il jugera de l’éthique des employés et des leaders de l’institution selon ses propres critères. Tout dépend donc de la composition de ce comité, choisi par le président. Si Jokowi a promis de le composer de membres compétents, ce qui reste à vérifier, qu’en sera-t-il de son successeur ?
Les amendements récents représentent donc un désastre pour la lutte contre la corruption en Indonésie, et l’efficacité du KPK est fortement remise en cause à moyen terme.
Mais les parlementaires, en accord avec le gouvernement, n’en avaient manifestement pas assez. Ils se sont aussi mis d’accord sur la révision du code pénal. Pour être clair, celui-ci met désormais l’accent sur la lutte contre les comportements allant à l’encontre de la culture religieuse du pays, en d’autres termes ce qui va à l’encontre de la prétendue majorité conservatrice musulmane.
Ainsi la version finale du document inclut une loi qui rendrait illégales les relations sexuelles avec une personne autre que son/sa époux(se). Les contrevenants pourraient être condamnés à un an de prison. Sachant par exemple qu’une étude a montré que 40% des adolescents indonésiens avaient des relations sexuelles prémaritales, des millions de personnes pourraient ainsi être poursuivies.

Le conservatisme moral semble être la force sur laquelle repose ce code pénal.

Y sont aussi inclus une loi protégeant le président, le vice-président, le gouvernement ou les institutions d’état contre les insultes ; ou une loi pénalisant certains avortements de quatre ans de prison. Les couples non mariés vivant ensemble pourraient être emprisonnés pour six mois. Des peines de prison sont aussi prévues pour ceux s’adonnant à des actes obscènes, c’est-à-dire violant les normes de décence et de politesse. Le code introduit aussi des amendes pour certaines personnes promouvant la contraception, et six mois de prison pour une conversation non autorisée sur les moyens d’avortement. Par ailleurs, les autorités locales auraient une plus grande liberté pour introduire des peines contre les atteintes aux lois coutumières non couvertes par le code pénal, comme le port obligatoire du voile par exemple.
Devant les réactions outrées ou interloquées d’une partie de la société civile à la lecture de ces lois régressives et discriminatoires, le président Jokowi a demandé à ce que l’adoption de ce code pénal soit repoussée.

On peut néanmoins se demander pourquoi le président n’avait pas cru bon de réagir en amont. Si ce n’est à penser qu’en dehors de l’économie, des infrastructures et de la croissance, rien n’importe vraiment à Jokowi.

Il est probable que la Cour constitutionnelle doive juger in fine de bon nombre de ces changements.
Au même moment, des feux ravagent une partie du pays dans une énorme catastrophe sanitaire et environnementale, le président veut dépenser plus de 40 milliards de dollars dans une nouvelle capitale dont personne ne connaît les détails, et les problèmes en Papua sont tout sauf résolus. Mais gouvernement et parlementaires s’activent pour faire de la corruption une lutte édentée et du code pénal un outil de conservatisme religieux. Un nouveau quinquennat commence en Indonésie. Et certaines choses ne sont décidément pas près de changer.

Jean-Baptiste Chauvin

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