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Le jardin botanique de l’Allemand perdu

Comment peut-on, en tant que particulier, avoir l’idée et l’envie de créer un jardin botanique à Bali ? L’île en elle-même, n’est-elle pas un seul grand jardin ? Stefan Reisner secoue la tête : « Au contraire, quand nous étions encore gérants d’hôtel, on nous demandait souvent où – pour l’amour de Brahmâ – l’on pouvait admirer de la vraie nature tropicale ». C’est une question tout à fait justifiée. Avec ses rizières et autres plantations, le paysage de Bali a complètement perdu son caractère originel, sans parler des innombrables constructions qui dénaturent l’île chaque jour d’avantage. L’Allemand continue : « La vente de notre hôtel a fourni le capital de départ. et le jardinage a toujours été mon passe-temps favori. Puis, Faizah a trouvé ce terrain qui offrait, avec son relief et sa proximité du centre-ville, un site idéal et pratique ».

Le terrain est propriété du temple voisin qui n’en avait pas l’utilité. Un loyer sur 20 ans et la perspective de création d’emplois persuadèrent la commune de le donner en location. Les travaux furent démarrés en février 2005. Il faut imaginer six hectares de broussailles tropicales où jamais encore une main d’homme n’était intervenue. Des pentes raides, couvertes d’un enchevêtrement végétal qui ressemble ici, dans la fertilité du climat humide, 400 m au-dessus du niveau de la mer, à une vraie jungle. Ensuite, il fallut rendre accessible l’ensemble des 60 000 m2. Pendant des mois, une soixantaine de manœuvres durent déblayer tout le terrain et élaguer partout, défoncer le sol par-ci, l’aplanir par-là. Il fallut creuser des vallées, niveler des terrasses, excaver des escaliers et jeter des ponts. Du système d’irrigation du subak local (coopérative des riziculteurs), l’eau fut détournée dans un ravin. Un torrent était né ! Le Berlinois l’exprime ainsi : « Nous avons véritablement déplacé des montagnes ! ». Puis, des milliers de pousses apportées de toute l’Indonésie et d’autres pays de l’Asie équatoriale, furent plantées.
On ne peut que très vaguement soupçonner la kyrielle d’obstacles à surmonter. Sûrement a-t-il fallu affronter maints tracas administratifs et triompher d’une législation très restrictive quant à l’importation des végétaux, surtout pour les spécimens figurant sur la liste CITES qui répertorie les espèces menacées. Certainement y-a-t-il eu des frictions avec les instances officielles, du banjar villageois jusqu’à la bureaucratie à Jakarta. Mais l’ancien correspondant du magazine « Stern » n’aime pas évoquer les fantômes du passé : « C’est déjà des neiges d’antan !». Une discrétion qui ressemble à la modestie que Reisner voudrait adopter chaque fois qu’il se retrouve face à la nature. Ainsi se créa un condensé de flore tropicale. Depuis juin 2006 on peut voir ici, ce qui est devenu si rare à Bali : de la nature pure !

Précisément, une véritable forêt vierge équatoriale qui représente la végétation originelle de Bali. Plusieurs itinéraires mènent vers les différentes sections du jardin, aménagées thématiquement. Selon ses préférences, le visiteur se promène à travers des bambouseraies et des cacaoyères, hume les arômes épicés du jardin islamique, ou suit les méandres du « Alang-alang-Trail » jusqu’au « Palm Hill », en passant devant fougères, broméliacées et autres plantes odoriférantes. Il peut explorer le labyrinthe nommé « The Maze », se reposer aux abords idylliques de la « Mare aux Nénuphars » ou rêver à l’ombre d’un superbe banian dans la « Cour de Méditation ». D’autres attractions sont les « 3 Maisons d’Orchidées », les « Pitcher Plants » carnivores et la rafflesia géante.

L’estomac du visiteur n’a pas été oublié : un warung a été aménagé entre les planches en teck d’un joglo tricentenaire. Le promeneur épuisé peut y retrouver ses forces avec des plats d’une qualité excellente : des tortellinis faits maison prouvent qu’un gourmet règne ici, et la saveur de la ratatouille accompagnant son couscous indique un francophile. Bien sûr, il y a aussi quelques critiques : un jardin botanique doit offrir d’avantage, surtout au niveau éducatif. Reisner comprend cela tout à fait : « La dénomination de jardin botanique est certainement encore exagérée. Notre affichage explicatif est insuffisant. Nous en sommes conscients et nous travaillons sans cesse à réduire les insuffisances ».
Cependant, classer, indexer, cataloguer et relever l’ensemble des plantes représente une tâche énorme qui ne peut être achevée du jour au lendemain, surtout pas avec l’actuel personnel de 20 employés, l’extrême minimum pour que tout fonctionne dans le jardin. Beaucoup de travaux restent à accomplir : dans la forêt tropicale deux ponts restent à construire, l’étang aux nénuphars doit être rendu mieux accessible, et il manque une aire de jeux pour les enfants. Avec ses 66 ans, Reisner a appris à relativiser : « Il s’agit ici d’un projet à long terme qui doit grandir avec les années. Bien que nous soyons à peine à 2 km de la grand-rue d’Ubud, peu de visiteurs viennent nous voir. Même si nous comptabilisons un accroissement des entrées de mois en mois, elles ne suffisent pas encore pour couvrir nos frais ».

Si une progression des entrées est tout à fait envisageable, les salaires, l’électricité consommée à grande échelle due aux pompes d’eau gourmandes en énergie, et les impôts et taxes diverses demeureront des dépenses incompressibles. C’est pourquoi Stefan Reisner cherche et trouve des revenus complémentaires. Près de l’entrée, un amphithéâtre se propose idéalement pour des réunions de toutes sortes : il y organise concerts et mariages. Dans le jardin poussent des plantes médicinales : des extraits séchés de fleurs de Rosella (reins, fièvre, muqueuses) et de Mahkota Dewa (certains cancers) sont mis en vente.
L’avenir montrera si ça suffit pour la survie. Ou si Reisner se ruinera avec sa passion pour l’architecture des paysages comme jadis le prince Pückler. Ce Prussien fit faillite deux fois en créant les parcs de Branitz et de Muskau. On ne le souhaite pas au Prussien d’Ubud. Au contraire, il serait souhaitable que l’aide vienne de toutes parts. Du côté des visiteurs, qui peuvent découvrir ici un univers autrement intéressant que la trop courue forêt des singes. Et du côté des responsables locaux auxquels tombera un cadeau entre les mains : à la fin de la location, le jardin deviendra propriété de la commune qui devra assurer sa continuité. Mais d’ici là s’écouleront encore 17 années.
Stefan Reisner fêtera alors son 83e anniversaire !

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