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Le gouverneur rebelle

Les longues années de combat dans la jungle et la prison n’ont semble t-il pas marqué physiquement l’homme. Irwandi Yusuf est un petit homme avenant, cachant derrière ses lunettes des yeux rieurs et un peu fatigués. Mais il est tard quand le nouveau gouverneur d’Aceh nous accueille dans le lobby d’un grand hôtel du centre de Jakarta, où il est pour quelques jours afin de rencontrer des hauts dirigeants Indonésiens ainsi que quelques amis. S’exprimant dans un excellent anglais, il a accepté de revenir sur son parcours et sur les enjeux majeurs auxquels il va devoir faire face à la tête d’une des provinces au sol le plus riche d’Indonésie. Ce même sol dont la surface a été dévastée par le tsunami du 26 décembre 2004, faisant ici 160 000 morts. Mais le tsunami a eu une conséquence heureuse. Il a permis la fin d’un conflit de 30 ans entre l’Etat indonésien et le GAM, mouvement revendiquant l’indépendance d’Aceh. Le 15 août 2005, à Helsinki, le GAM renonçait en effet à son indépendance en échange de la création d’un « auto gouvernement local ».

C’est ce gouvernement que dirige désormais Irwandi Yusuf. Celui-ci se veut pragmatique : « Je pense toujours que l’indépendance serait la meilleure chose pour les Acehnais. Mais vous savez, en politique il faut savoir négocier. Ce qu’il y a de meilleur est ce qu’on peut obtenir de mieux à un moment précis ». Tout cela est affirmé avec le sourire. Le nouveau gouverneur n’a pas renié ses convictions, mais il a compris où se situaient les intérêts majeurs des habitants d’Aceh. Irwandi Yusuf a mis ses convictions au service de la cause indépendantiste pendant près de 30 ans. Cet ancien professeur d’université a combattu l’armée indonésienne dans la jungle, a été condamné à neuf ans d’emprisonnement pour trahison en 2003 avant de s’échapper quand le tsunami a détruit sa prison. « Vous savez j’ai quelques connaissances sur les tremblements de terre et les tsunamis, affirme-t-il dans un grand sourire. Quand j’ai senti que le sol tremblait très fort et très longtemps, j’ai compris qu’un tsunami allait arriver. J’ai donc préparé mes chaussures, mon téléphone portable, et quand la vague est effectivement arrivée j’ai été l’un des premiers à me réfugier sur les hauteurs ».

Irwandi Yusuf a ensuite pris une part majeure dans le règlement final du conflit. Mais jamais il n’a voulu briguer le poste de gouverneur. Selon lui « être gouverneur c’est comme être en prison, je vais perdre ma liberté ». Au moins jusqu’au terme de son mandat en 2012. C’est à la demande des chefs religieux et des commandants rebelles qu’il a accepté de se lancer dans cette nouvelle bataille. Avec un succès retentissant. Le nouveau gouverneur d’Aceh a été élu en décembre dernier dès le premier tour de vote, à la grande surprise de Jakarta et des observateurs internationaux. Le principal intéressé avait pourtant affiché sa grande confiance à la veille du scrutin. « J’étais effectivement très confiant parce qu’à la différence des observateurs, je connais les préoccupations des Acehnais, et je savais combien le GAM était bien implanté et avait comme influence ».

Reste maintenant la tâche la plus importante, la plus difficile également pour le nouveau dirigeant : rendre aux habitants de la province toute la confiance qu’ils lui ont accordée. Pour cela, Irwandi Yusuf veut « s’occuper en priorité de l’Acehnais moyen, celui qui a été le plus durement touché par toutes ces années de conflit. Je veux lui donner du travail, augmenter ainsi ses revenus, son bien-être, lui donner la possibilité de recevoir une éducation, donner des terres à ceux qui n’en ont pas ». Un programme de bonne volonté encore vague et qui mérite d’être confronté aux faits et à la réalité du terrain. Il sait également que l’ancien rebelle qu’il est sera particulièrement observé par Jakarta, avec qui il doit travailler désormais après l’avoir combattu si longtemps. « Mais j’ai été très bien accueilli par le Président et le Vice Président » tient-il à préciser. Les nouveaux combats auxquels Irwandi Yusuf va devoir faire face ne sont cependant pas seulement économiques. La corruption, fléau majeur de l’Indonésie, est répandue au-delà de toutes limites à Aceh. De nombreux cas ont été révélés concernant l’utilisation de l’aide étrangère suite au tsunami. « Pour l’instant, je prépare la guerre (contre la corruption) mais je n’ai pas encore lancé d’attaque ». Le vocabulaire guerrier n’a pas encore complètement disparu de la bouche de l’ancien combattant.

Un autre élément constitutif d’Aceh est la Charia, cette loi islamique très controversée qu’Aceh est la seule province indonésienne à appliquer, depuis 2001. Il semble que la Charia ait été importée à Aceh par des gens extérieurs à la province, essayant d’instaurer une espèce de voie arabe de l’islam dans la région la plus fervente du pays. Au cœur de la polémique, la police de la Charia, institution chargée de faire appliquer cette loi islamique, et dont le comportement, notamment à l’égard des femmes, est remis en cause jusqu’à Aceh elle-même. Sur ces problèmes, le nouveau gouverneur est clair : « La Charia n’a pas été autorisée, mais imposée par Jakarta qui pensait que c’était ce que les Acehnais souhaitaient. Nous avons vécu pendant des siècles avec des valeurs musulmanes, mais pas avec cette loi. En fait cette interprétation de la loi est contre l’islam lui-même. Nous ne demandons pas la Charia. Quant à la police de la Charia, elle m’ennuie. Ce dont nous avons besoin, c’est d’éducation, pas de brutalité et d’arbitraire ».

Les réponses d’Irwandi Yusuf sont directes. Quand on lui demande si son élection peut être perçue comme une revanche, il sourit encore : « le mot revanche ne fait pas partie du mémorandum de paix de 2005 ». Le rebelle a donc semble t-il véritablement tourné la page du conflit armé. « Les armes ont été utilisées, enchaîne t-il. Nous avons obtenu le maximum possible avec les armes. Il est temps de se lancer dans un autre combat, le combat politique ».
Le pragmatisme est de rigueur. A tel point qu’on se demande presque pourquoi cet homme cultivé et intelligent s’est battu pendant si longtemps. Pourquoi d’ailleurs ? « A l’indépendance de l’Indonésie en 1945, on a imposé à Aceh de faire partie de ce nouveau pays, sans le bon vouloir de la population. C’est la raison du combat ». Les armes ont été rendues. Irwandi Yusuf veut apporter la démocratie et le développement économique à sa province. La tâche est ardue. Les Acehnais lui ont confié un mandat de 5 ans pour tenter d’y parvenir. Ils attendent énormément de leurs nouveaux dirigeants après leur avoir accordé cette grande preuve de confiance. Le combat n’est effectivement pas encore terminé.

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