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Le goût et la couleur de la démocratie à l’indonésienne

Un de mes amis m’a raconté cette anecdote au sujet des dernières élections du gouverneur de Bali qui viennent d’avoir lieu le 15 mai dernier :
« Question à mon chauffeur Made : pour qui tu votes mercredi ?
Made (sans hésiter) : pour X.
Moi : pourquoi ?
Made : il a donné 100 millions à mon village.
 »
L’argent en politique, en Indonésie comme partout ailleurs dans le monde, c’est bien sûr le nerf de la guerre. Les règlements sur la façon dont les candidats obtiennent des fonds, comment ils les utilisent, sont donc une des clés essentielles au bon déroulement d’élections équitables dans n’importe quelle démocratie. Une équité qui doit prévaloir entre les différents partis et aussi parmi les électeurs. Sans ces règles claires, les anciens partis bien établis auraient un avantage déloyal sur la façon de trouver des financements et d’influencer les citoyens. Et sans une surveillance efficace de ces fonds de campagne, les partis peuvent obtenir de l’argent en provenance de sources illégales, ce qui compromettra leur politique décisionnaire en cas de victoire, puisqu’ils seront obligés de « renvoyer l’ascenseur » à leurs bienfaiteurs. Ou bien, ils pourront dépenser cet argent de façon hors-la-loi, en achetant les votes par exemple.

Outre que la loi indonésienne en la matière présente de nombreuses failles, son application est également loin d’être idéale. Les dernières élections majeures, les législatives de 2009 n’ont donné lieu qu’à une supervision symbolique du bon déroulement de la campagne et du scrutin. Un simple rapport, sans les justificatifs de leur financement, fourni par les candidats à la Commission générale des élections (KPU), était largement suffisant pour leur entrée en lice (cf. Inside Indonesia n°97 – juil-sept 2009). Une commission qui s’est d’ailleurs bien gardée d’effectuer de quelconques vérifications et qui a été accusée de nombreuses fois dans des décomptes frauduleux. En aurait-elle les moyens de toute façon ? La démocratie indonésienne fonctionne ainsi et l’achat des votes, un secret de polichinelle dans l’Archipel, reste un tabou que peu osent aborder ouvertement. Ces affaires font donc rarement la Une des journaux, sauf quand certains, bravant les menaces, se décident à témoigner. Eh oui, nous savons bien que certaines organisations mafieuses revêtues des beaux habits d’organisations sociales apportent leur soutien persuasif à certains candidats, comme ce fut le cas lors de ce scrutin balinais. Sans oublier la distribution de denrées de première nécessité avec un prospectus « Votez X » au fond du sac à Bangli, Jembrana et Buleleng (Bali Post du 14/05) dans l’indifférence de la Commission de surveillance des élections (Panwaslu) ou encore l’envoi de lettres anonymes (surat kaleng) diffamant un candidat à Tabanan (BeritaBali du 14/05).

C’est donc dans ce contexte que ce sont déroulées les dernières élections du gouverneur de Bali et, à l’heure où nous mettons sous presse, nous ne savons pas encore lequel des tickets Pastika-Sudikerta et Puspayoga-Sukrawan l’a emporté. Comme à leur habitude, les autorités n’ont pas lésiné sur la communication pour que ces élections se déroulent honnêtement. Il est vrai que Bali est constamment sous les projecteurs et s’il y a un endroit où il faut parader sa bonne conduite démocratique devant des yeux étrangers, c’est bien ici. Et afin que cette « pesta demokrasi » se déroule au mieux, au moins en apparence, les Balinais ont été bombardés de spots télé sur la bonne façon de se tenir lorsqu’on est un citoyen responsable et démocratique. C’est ainsi qu’ils ont appris à être « jurlis », la contraction de « jujur » et « idealis », c’est-à-dire honnêtes et fidèles à leurs idées, dans un spot diffusé sur une chaîne locale qui justement, a été montrée du doigt pour ses reportages biaisés sur la campagne. Mais faisant fi de tous ces faits inquiétants, les représentants des pays démocratiques continuent d’y aller de leurs encouragements sans discernement. Présente en Indonésie récemment pour des meetings avec l’ASEAN, la députée portugaise Ana Gomes, qui est membre du Comité des Affaires étrangères du Parlement européen, s’est déclarée une « fan du processus démocratique indonésien », dans une interview publiée dans l’édition en anglais du magazine Tempo (22/05), qui ne s’est bien sûr pas gêné de reprendre cette phrase admirative et peu nuancée en titre.

Un autre spot télé de sensibilisation dénonçait, cette fois en balinais, l’achat des votes. Même si c’est tentant, pas question d’accepter les 300 000 roupies du kades (chef de village), qui roule pour tel candidat, montrent les images du clip. « Exerce ton droit de vote en toute conscience, c’est pour notre terre de Bali  », lance un autre villageois qui passe dans le warung au même moment. Le chef de village fait la gueule. Il fait partie du « tim sukses » ou équipe de campagne, d’un des candidats. Un mot prestigieux pour désigner un ordinaire trafic d’influence en forme de lobbying particulièrement déloyal qui est payé dans les 30 millions de roupies à l’« intéressé ». Devant cette liste de manquements qui ont entaché le scrutin, le comité pour l’intégrité et la détermination de la société balinaise (LSMBI) a affirmé prosaïquement à BeritaBali (21/05), quelques jours après le vote : « Nous estimons être encore loin des vœux de la population en ce qui concerne le bon déroulement du processus démocratique en Indonésie et, tout particulièrement à Bali, dans la réalisation d’élections régionales honnêtes et équitables. »

N’oublions pas non plus la fraude électorale basique comme à Bengkulan où un électeur, avec la complicité des responsables du bureau de vote, a mis pas moins de 100 bulletins dans l’urne (BeritaBali du 17/05). Certes, la démocratie indonésienne n’a pas l’apanage de la tricherie, souvenons-nous des faux électeurs de Jean Tiberi à la mairie du 5ème arrondissement de Paris…Toutefois, lorsque elle est érigée en système tacite et dûment dissimulé, des questions se posent. L’Indonésie ne serait-elle donc qu’une démocratie « Canada Dry » ? Pour reprendre cette formule célèbre issue d’une pub des années 70-80, elle n’aurait de la démocratie que le goût et la couleur ? L’organisme anti-corruption ICW (Indonesian Corruption Watch) répond à cette question dans un rapport récent. Il prévoit en substance une aggravation de la corruption politique en 2013 dans la perspective du vote pour la présidence de 2014. A cause de l’application partielle de lois mal faites, « il est à prévoir que tous les partis vont chercher leur financement de façon illicite, y compris en siphonnant les budgets du gouvernement  », affirme ce rapport d’ICW. L’apathie des votants serait donc liée à ces dossiers récurrents de l’argent sale utilisé dans les élections. Selon ICW, le seul « facteur décisif  » dans les élections indonésiennes aujourd’hui réside dans « l’achat des votes directement avec de l’argent liquide. » De quoi calmer la cohorte de laudateurs internationaux qui ne tarissent jamais d’éloges sur les accomplissements démocratiques de l’Indonésie ? Rien n’est moins sûr tant l’Archipel a valeur de symbole. Un symbole qui vaut sans doute bien qu’on ferme les yeux sur certains de ses défauts, fussent-ils au final plus nombreux que ses qualités.

Ces prisonniers étrangers, ils nous donnent du boulot !

Trouvée sur BeritaBali, l’auto-proclamée « agence de presse balinaise », un article compte-rendu d’une interview du chef de la prison de Kerobokan Gusti Ngurah Wiratna sur les détenus d’origine étrangère de son célèbre établissement. Le papier est titré « Narapidana Asing Bikin Repot Petugas Lapas  », qu’on peut traduire par « Les condamnés étrangers donnent du boulot aux personnels de la prison » et qui résume parfaitement et en une phrase la teneur particulière de cette interview du directeur du centre de détention le plus international d’Indonésie. « Wiratna prend comme exemple de détenu qui donne souvent du boulot, la reine de la marijuana Schapelle Leigh Corby, condamnée à
20 ans et d’origine australienne
 », commence l’article. Notons que l’appellation « reine de la marijuana » est une affirmation non discutable puisqu’elle est sans guillemets dans la dépêche. Entre tous les détenus étrangers, Wiratna explique : « c’est Corby qui est un peu difficile à gérer, elle est revêche, veut du spécial et n’aime pas se mélanger avec les autres prisonnières. Souvent aussi, elle ne veut pas assister aux différents événements de la prison avec des excuses variées. »

Une autre détenue connue – l’interview fait donc le tour des « célébrités » du fait divers international enfermées à Bali – « qui donne du boulot du côté des employés du centre », c’est Lindsay Sandiford, « une citoyenne anglaise qui vient d’être condamnée à mort par le tribunal de Denpasar. » Wiratna raconte qu’avec elle, « nous avons besoin d’accorder une attention toute spéciale car elle est en forte dépression depuis qu’elle se sait condamnée à mort. C’est souvent qu’elle ne veut pas manger et qu’elle reste morose dans sa cellule. Pour Lindsay, nous accordons une attention extra afin qu’elle ne commette pas d’acte que nous ne souhaitons pas, comme de se suicider. »

Et puis, il y a ceux qui donnent encore plus de boulot ! Comme Myuran Sukumaran, ce membre des « Bali Nine » australiens « connu pour son fort caractère ». « Myuran a déjà été pris de fureur en cognant les murs de la prison qui sont en bois. Le chef de la sécurité, à cette époque, était déjà prêt à en découdre, mais je lui ai rappelé de ne pas se comporter de façon déplacée et d’avoir recours à la force contre un détenu. En plus, avec un détenu étranger, c’est nous qui allons avoir des histoires après », poursuit-il. Heureusement, certains sont « plus coopératifs et ne se comportent pas n’importe comment dans la prison ». C’est le cas d’un autre « Bali Nine », Matthew James Norman. « Le Matthew, il est déjà comme l’un de nous (Indonésien),
il emploie notre langue et il aime bien manger de la nourriture indonésienne comme le nasi goreng. En bref, ce Matthew, il est bien », considère Wiratna.

Il y a aussi quelque chose qui le chiffonne un peu avec les détenus étrangers, c’est quand ils affirment qu’ils ne croient pas en dieu ou qu’ils n’ont pas de religion. Et d’affirmer : « Ce n’est pas que j’accorde trop de considération à la foi, mais quand il y a des remises de peine spéciales pour les dates religieuses importantes, hein, j’en fais quoi ? Je les remets à quelles occasions ces remises de peine ? »

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