Accueil Portraits

Le dirlo met les voiles

Il se dit « charmé » par la culture hindouiste de Bali et regrette de ne pas avoir eu plus de temps libre pendant cette année scolaire pour découvrir l’île et sa culture si riche. Il est vrai que son travail à l’Ecole française lui a pris presque toutes ses journées. Bien que de passage, Philippe Dehollain, s’est investi à fond dans son travail. Une habitude pour ce marin à la silhouette de jeune homme qui ne fait jamais rien a moitié. Il en est ainsi depuis qu’il s’est dit « pourquoi pas moi ! » en refermant la couverture de « Vagabond des mers du Sud » de Bernard Moitessier. Philippe a alors 18 ans et fait des projets de bourlingage avec ses camarades. Originaire de Soissons, posée en milieu rural, la famille de Philippe a les pieds dans la terre. Le navigateur en herbe se demande bien comment il va réaliser son rêve alors que la maison familiale est à plus de 400 km de la côte…

Evoquer ces vieux souvenirs le fait sourire aujourd’hui après vingt ans passés sur les mers du globe et il repense aux lectures fondatrices. « Seul autour du monde sur un voilier de 11 mètres » de Joshua Slocum, le récit du premier tour du monde en solitaire sur un petit bateau de plaisance à la fin du 19ème siècle. C’est l’époque des études supérieures, de la fac à Paris. Philippe ronge son frein et n’a toujours pas navigué. L’initiation ne va pourtant pas tarder, lors d’un séjour en Bretagne, il va monter à bord d’une baleinière et c’est la révélation : « C’est ça que j’ai envie de faire ! » Subjugué par la force des éléments et la beauté de la mer, Philippe découvre surtout ce qui est essentiel à tout marin : le plaisir de manœuvrer. Poulies, taquet, manille, sextant, boussole, timon, l’homme de Picardie va apprendre à barrer. Il n’a pas d’argent mais se dit qu’on peut progresser en devenant d’abord équipier.

C’est aussi en équipe qu’il a travaillé à l’Ecole française de Bali comme il tient à le souligner. Pendant son passage, un certain nombre d’événements ont vu le jour afin d’aider les élèves à surmonter les difficultés créées par la rupture avec la culture française. Faire simplement ingurgiter les programmes de l’Education nationale ne suffit plus lorsqu’on doit enseigner à des enfants immergés dans un environnement comme celui de Bali. «Ils sont souvent plus balinais que français », précise Philippe qui déplore également qu’ils n’aient « pas assez de copains, ni d’activités extrascolaires ». Ces petits effectifs rendent cependant « les enseignants plus disponibles … ». Pour lutter contre « cette érosion de la culture française », Philippe et ses collègues vont organiser des rencontres avec des invités de marque.

Le champion du monde de boxe thaïe Dida Diafat vient à l’école pour parler avec les élèves de sa carrière. Ancien délinquant, il leur explique comment il s’en est sorti grâce au sport. Un film retraçant sa vie et sa carrière sportive est projeté et les enfants ont le plaisir de lui poser des questions et de débattre directement avec lui. Au mois de mai dernier, la venue à Bali de plusieurs membres de l’équipe du film « les Choristes », dans le cadre du Festival du Cinéma français d’Indonésie, a permis aux élèves d’assister à une projection avec débat. Un rallye lecture avait été organisé pour stimuler la soif de lire des enfants et leur permettre de gagner des places pour le Festival. Conçu comme une compétition de livres à lire, avec un barème de points attribué en fonction de la difficulté des ouvrages à résumer, le rallye a vu les élèves en découdre avec enthousiasme pour l’obtention des places de ciné. Un Club Presse a été créé chez les primaires. Ces apprentis journalistes ont ainsi pu rencontrer et interviewer les acteurs d’un film en tournage à Bali, ou écrire la revue de presse dans La Gazette de Bali. Enfin, pendant la Semaine de la Francophonie, les élèves ont préparé des exposés sur les pays de langue française.

Chez Philippe Dehollain, l’homme aux deux casquettes, c’est le prof qui gagne la vie du marin. Pourtant, son premier boulot, qui lui permettra plus tard de s’acheter son premier navire, n’a rien à voir avec l’Education nationale… A la suite d’un concours, Philippe obtient le poste de responsable technique du palais royal du Roi Fahd d’Arabie saoudite au Maroc. Un an passe, de retour en France, il choisit une place de prof à Granville et se perfectionne, prend des cours de navigation. Il est enfin prêt pour le grand départ, qui doit l’emmener pour un tour de l’Atlantique, à bord du « Fleur des champs » un nom qui rend hommage à ses origines bien terriennes. Le voyage commencera à Paris, au bassin de l’Arsenal, où Philippe se prépare pendant l’hiver 85 dans l’atmosphère de bohême internationale de ce petit port de la Place de la Bastille.

A Madère, première galère, car les finances ne suivent plus. Moitessier disait « On se débrouille en chemin », mais Philippe rentre en avion à Paris et travaille sept mois pour se refaire. Puis il repart et traverse enfin l’Atlantique sur son petit voilier de huit mètres, Brésil, Guyane, deux ans comme prof à Cayenne. Ensuite, le projet initial se transforme et l’envie de goûter au Pacifique se fait jour. Direction les Antilles, puis de l’autre côté, les Galápagos, la côte chilienne, et puis Pitcairn sur la trace des révoltés du Bounty. La Polynésie française est en vue. Avec sa coéquipière, ils vivent de poissons et de frugales rations de riz. Atoll de Suvarov enfin, à la recherche du fantôme de l’ermite Tom Neale.

Fin 92, c’est l’arrivée à Nouméa, et sa vie va changer à nouveau. C’est là, en Nouvelle Calédonie, qu’il rencontre sa future épouse Isabelle. C’est aussi le coup de foudre pour la nature, les paysages, les gens. Philippe recoiffe sa casquette de prof au centre de formation de la Chambre des Métiers. La vie s’écoule, paisible, loin de Soissons et des racines cependant. Heureusement, famille et amis vont venir s’installer sur cette île fantastique. La voile toujours, cabotage sur les mers environnantes, qui le mène un jour jusqu’à Bali, qu’il découvre et apprécie. Marié, désormais père de deux enfants, Melissa et Amaya, Philippe sent le piège de la sédentarisation se refermer inéluctablement sur lui après onze ans passés en Nouvelle Calédonie. L’idée d’un grand voyage en famille voit le jour en 2004 quand la Chambre des Métiers lui accorde un congé sans solde de deux ans.

L’Atlantique, le Pacifique sont déjà derrière lui, il ne reste plus que l’Océan Indien à traverser. La famille Dehollain prévoit de rallier Le Cap après des escales à Bali, Mayotte et Madagascar. Peu après le départ de Nouméa, sur le « Jovial Tiburon », un nouveau voilier que les Dehollain viennent d’acheter à un ami, Philippe rencontre une vieille connaissance à Lembongan qui lui dit que l’Ecole française de Bali a besoin d’un prof d’histoire-géo et d’un directeur. Philippe, qui a gardé un très bon souvenir de son premier passage à Bali, postule et obtient les deux jobs cumulés. Sur la petite île hindouiste de l’immense archipel indonésien, le marin de Soissons dit apprécier « la notion de paix spirituelle, de tolérance » et renchérit : «Les Balinais acceptent que tu sois différent ». La famille a été invitée au temple pour des cérémonies.

Il est toutefois déçu de ne pas avoir eu le temps d’apprendre la langue, de ne pas avoir été « plus dans la vie balinaise, hors de Kuta », conscient qu’à cause de son travail à l’école, il est sans doute « passé à côté de certaines choses ». Pour sa découverte de l’Asie, Philippe aura également apprécié le monde de l’artisanat où « tout semble possible ». Ses yeux se font rêveurs sous la tignasse blond roux, le marin a repris le dessus et semble prêt à appareiller, Bali est une étape, et il en parle déjà au passé : « Ici, je n’ai pas ressenti d’agression, les gens sont souriants et généreux de leur temps ». Le bilan est positif. Philippe se dit « très heureux de cette expérience pour le travail à l’école et la rencontre avec Bali ».

Mais le voyage doit continuer. D’autant que le temps presse. Melissa doit faire sa rentrée en 3e en mars 2006 au collège de Nouméa et il y a encore plusieurs escales prévues sur le carnet de bord. Alors bon vent, marin de Picardie, pour ce qui est sans doute ta dernière grande traversée. L’éducation de tes enfants t’empêchera désormais de vivre comme un vagabond des mers. Mais la scolarité, ça te connaît aussi non ? Il te suffira simplement de changer de casquette une nouvelle fois…

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here