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Le défenseur des tribus oubliées

Nous connaissons tous Jean-Pierre Dutilleux. Même si nous l’avons un peu oublié avec le temps, lui et son combat pour sauver les derniers peuples et tribus du monde premier. Souvenez-vous, le chef Raoni et Sting, côte à côte sur les plateaux de télévision du monde entier, avec cet étrange aventurier aux boucles blondes mi-longues, en tenue de baroudeur, qui servait de traducteur. La première fois, c’était en 1989, et grâce à la participation de l’ex-chanteur de Police, Jean-Pierre Dutilleux et le chef Raoni avaient pu réunir l’argent nécessaire à l’établissement de l’Association Rainforest, dont le but était de sauvegarder l’habitat des Indiens Kayapo d’Amazonie. Début d’une prise de conscience mondiale sur la nécessité de préserver les forêts, le travail incessant de Jean-Pierre Dutilleux prend aujourd’hui tout son relief. Surtout ici, à Bali, où vient de se tenir la Conférence des Nations-Unies sur le changement climatique. Discussion avec ce réalisateur qui nous rappelle en préambule qu’il est « plus indigéniste que cinéaste ».

Attiré par l’Amazonie depuis son enfance passée dans les Ardennes belges, « j’aimais déjà grimper aux arbres », rappelle-t-il amusé, Jean-Pierre Dutilleux n’a pas consacré son travail qu’aux seules tribus du continent sud-américain. Si c’est là qu’il a tourné son premier docu, à seulement 22 ans, après avoir vendu des jeans délavés à Rio pour pouvoir financer son projet, sa quête de justice pour les derniers peuples reclus de notre planète l’a bien évidemment amené par ici. En 1975, habillé en missionnaire pour tromper la vigilance des autorités indonésiennes, il s’est aventuré avec une petite équipe de tournage en territoire Asmat, dans la province d’Irian Jaya, rebaptisée Papua depuis. Il se souvient de conditions de vie « extrêmement difficiles, pires qu’en Amazonie ». Il ramènera deux films de ces premières aventures dans le plus grand archipel du monde, « Wow » et « Asmat, Woodcarvers of New Guinea », qui mettent tout deux en valeur l’art unique de ce peuple. « A l’époque, ces tribus asmat étaient encore plus isolées que les tribus amazoniennes », explique-t-il.

« Nous vivions quasiment dans un marécage, assaillis tous les soirs par des nuages de moustiques, sans aucun contact avec le monde extérieur », se souvient cet ethnographe d’exception. « Le danger était constant, les Asmat nous parlaient d’un royaume interdit où nous ne devions en aucun cas nous aventurer, continue-t-il, c’est là que Michael Rockefeller avait été mangé par des cannibales en 1961 ». Dans la série de cinq films qu’il a présentés au Festival Bali Taksu le mois dernier, celui intitulé « Retour Asmat », tourné en 1998, fait le point sur l’évolution des conditions de vie de ces tribus, presque 25 ans après sa première visite. Le constat est amer, tous habillés en short et t-shirt, les Papous n’ont plus leur superbe d’antan. « Ils meurent de la tuberculose en nombre inquiétant, sont tous accros au tabac et délaissent peu à peu leurs savoirs et traditions », explique-t-il. La présence des troupes de Jakarta, qui craint les revendications indépendantistes dans toute la province, s’est également renforcée avec le temps. Si au Brésil, la situation des tribus de l’Amazone demeure toujours préoccupante, l’adoption dans la constitution d’un article qui prévoit le droit des peuples autochtones à disposer de leur terre, a garanti la viabilité de nombreuses initiatives de préservation. Ici, où le maître mot est l’intégration aux principes de la République indonésienne, ce n’est pas le cas et les derniers peuples premiers d’Indonésie sont inexorablement avalés par la « javanisation » de tout le pays. Une intégration qui présente d’ailleurs de nombreuses carences, puisque le chef du village asmat rappelle dans le documentaire qu’ils n’ont encore ni école, ni centre de santé…

Ignorer le droit des Dayak de Bornéo a permis à Jakarta de reconvertir des millions d’hectares de forêt du Kalimantan pour l’agriculture et plus récemment, pour produire cette huile de palme appelée mondialement à remplacer l’énergie fossile. Autre fléau à hypothéquer le destin de ces tribus d’un autre temps dans l’Indonésie moderne, la « transmigrasi » ou déplacement massif de population des zones surpeuplées de Java et Madura orchestré depuis la période Suharto. Ces populations de « colons » détruisent peu à peu les forêts en défrichant par le feu les terres qu’ils veulent cultiver… Sans leur habitat ainsi avalé par la « civilisation moderne », certaines tribus se retrouvent relogés dans des baraquements, condamnés à vivre dans la misère du quart-monde en lisière de leur univers parti en fumée, comme ces Musuane des Moluques présentés dans un des films.

Les autres documentaires ont également permis aux spectateurs de découvrir les Una des montagnes de Papua, qui fabriquent des outils comme à l’age de pierre, et aussi les Korowai, considérés comme les derniers cannibales d’Indonésie. Enfin, aux Moluques, les Togutil d’Almahera, dont les chamanes connaissent tous les secrets des plantes de la forêt. Ces cinq films font partie d’une série de 13 intitulés « Tribal Journeys », qui propose de faire le tour sur trois continents des derniers peuples premiers de notre planète, et qui ont été produits à l’orée du 21ème siècle. « Nous sommes à un moment où la seule mémoire que nous aurons de ces peuples, et qu’ils auront eux-mêmes de leur passé, tiendra dans quelques films tournés par des gens comme moi », commente Jean-Pierre Dutilleux. Et une des phrases qu’il a prononcée au début de l’entretien résonne de toute sa force : « Mon fusil, c’est ma caméra. Toute ma vie a été un combat pour défendre ces gens».

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