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Le consul des turbulences

L’image du consul débonnaire qui veille sur ses ressortissants, réunion bigarrée d’hédonistes venus se la couler douce sous les cocotiers, a vécu. Contrairement à la tradition qui voulait que le représentant de la communauté soit choisi sur place, Raphaël Devianne a été recruté depuis Paris. Il y a plus de 500 consuls honoraires dans le monde, tous bénévoles, et beaucoup d’entre eux, à fortiori sur une île touristique comme Bali, n’ont à gérer que des dossiers de routine. En venant ici, cet ancien personnel navigant, spécialiste des situations de crise à Air France, ne se doutait pas que ses compétences particulières seraient mises à contribution.

Raphaël Devianne venait régulièrement en vacances à Bali. En 2001, l’ancien consul lui signale que le poste va se libérer. A la retraite depuis quelques années, il s’occupe à Paris des affaires de son épouse d’origine japonaise mais voit dans cette opportunité l’occasion de retrouver une véritable activité. En décembre 2001, il postule sans trop y croire. Effectivement, la réponse tarde à venir, malgré son CV aux qualités étonnantes. Ancien steward, puis chef de cabine, instructeur, chef steward, cet homme de 59 ans, originaire de Roubaix, a fait partie des équipes de PNC (personnel navigant commercial) rompues aux vols très spéciaux. En 1979, il est chef de cabine dans l’avion qui ramène l’Ayatollah Khomeiny en Iran, cinq ans auparavant il participait aux derniers vols d’évacuation des Français de Saigon alors sous l’offensive viêt-cong. Dans les années 80, il prend part aux vols de réouverture de la ligne régulière entre la France et le Liban alors que Beyrouth n’est pas encore totalement sécurisé.

« J’aime Bali mais j’aurais pu faire ce travail ailleurs », précise-t-il et ajoute que son goût des voyages le pousse plutôt vers «des climats tempérés », comme le Japon où ses trois enfants résident aujourd’hui. D’ailleurs, il n’aime pas la plage, préfère les grandes balades avec des copains dans la nature et protége avec soin sa peau de Nordiste des rayons néfastes du soleil. C’est en août 2002 qu’il prend finalement ses fonctions, avec une mise à l’essai d’un an. Raphaël Devianne est conscient que sa capacité d’écoute d’ancien steward sera utile à une tâche qu’il s’imagine tourner autour des renouvellements de passeports, divorces, disputes d’affaires, problèmes d’incarcération pour drogue et difficultés administratives avec les autorités indonésiennes. Le 12 octobre 2002, l’activité consulaire à Bali va prendre une nouvelle dimension avec les attentats islamistes au Sari Club et au Padi’s.

Le nouveau consul fonce tout de suite à l’hôpital de Sanglah mais il ne connaît pas la ville et se perd. Par chance, il rencontre le chanteur Clément Ratelle, qui s’est porté volontaire et qui va le conduire à moto dans tous les hôpitaux de l’agglomération jusqu’au matin. L’ancien d’Air France se souvient de « la grosse panique » de cette nuit où les informations ne circulaient que « par ouï-dire ». Il trouve tout d’abord deux Françaises blessées, gravement brûlées mais vivantes. Il apprendra par la suite qu’elles sont comme lui originaires de Roubaix. Le dimanche après-midi, le premier conseiller d’ambassade arrive de Jakarta et ils mettent aussitôt en place une permanence téléphonique pour répondre aux nombreux appels. Les blessés français sont évacués dans la soirée. La police scientifique australienne va ensuite prendre les choses en mains mais il faudra plus d’un mois pour identifier formellement les quatre morts français « reconnues par leur dentition et les tests d’ADN ». Une période difficile à vivre pour les familles. Raphaël Devianne sera très souvent en contact avec elles et les prendra en charge lorsque celles-ci se rendront à Bali à l’invitation du gouvernement indonésien.

Raphaël Devianne avoue avoir eu besoin de « trois, quatre mois » pour tourner la page et reconnaît avoir été « très naïf » avant la bombe, n’imaginant pas un instant qu’un attentat puisse se produire à Bali. Jamais, il n’a eu envie de rentrer en France, « par sens du devoir ou conscience professionnelle » et met simplement en avant sa « capacité de dialogue, à trouver les mots justes » pour expliquer la médaille du mérite que la France lui a décernée après l’attentat. « On me fait confiance maintenant», ajoute-t-il en affirmant que sa période à l’essai est terminée…

Les derniers attentats-suicides du 1er octobre 2005 l’ont aussi pris au dépourvu, à cause de la date, « le jour de la hausse de l’essence, la veille du Ramadan et de Galungan », explique-t-il. Avec Christian Hué, le nouveau consul à l’ambassade, il refait le tour des hôpitaux et s’aperçoit « très vite » qu’il n’y a pas de victimes françaises à l’exception d’une femme qui a pu sortir le soir même de la clinique. Le lendemain, ils mettent en place une permanence téléphonique. Il y aura peu d’appels cette fois et seulement deux touristes français demandent à être rapatriés.

Il pense renouveler son contrat de cinq ans à condition « de pouvoir rester en contact avec ce qui se passe en France » mettant ainsi en exergue le risque d’isolement qui guette les expatriés. Il pense aussi écrire un livre sur son expérience. Lecteur abonné du Monde depuis toujours, Raphaël Devianne ne regarde jamais la télévision et quand il parle de son interview par Claire Chazal après les attentats, il évoque la journaliste de la «1ere chaîne ». Selon lui, la communauté française de Bali se démarque par son dynamisme économique et il rappelle que le premier employeur industriel de l’île est la marque française de vêtements Animale. Initiateur des fêtes du 14 juillet, du Beaujolais nouveau et du Comité des fêtes, le consul honoraire de France à Bali est optimiste. Lorsque des Français lui demandent par courriel s’il est dangereux de venir en vacances à Bali, il répond : «Ne cédez pas, si vous ne venez pas, c’est la victoire des terroristes ». Et l’homme du Nord de citer en exemple cette communauté française forte d’un millier de personnes qui n’a nullement l’intention de partir malgré les événements.

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