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L’ARCHIPEL INDONESIEN, DERNIER DEPOSITAIRE DU MERVEILLEUX ?

Sur une planète qui semble avoir livré jusqu’au dernier ses mystères géographiques, l’archipel indonésien, qui n’échappe pourtant pas au quadrillage impitoyable par Google Maps, serait-il le dernier dépositaire du merveilleux dans l’imaginaire de ce début de siècle ? C’est ce qu’on pourrait croire en lisant toutes les dépêches qui ont inondé Internet le mois dernier et qui ont relaté cette histoire de cadavre de « monstre marin » échouée sur une plage de Seram, aux Moluques. Une info qui a fait le tour du monde dans toutes les langues et qui nous ramène à une terrible angoisse que nous semblons éprouver aujourd’hui : celle de vivre sur une planète qui a perdu tous ses mystères. Et qui a donc cessé de nous faire rêver. Pourtant, certains d’entre nous, les plus vieux, sont nés dans un monde encore incomplètement découvert. Jusque dans les années 60-70, certaines cartes avaient des « blancs ». Des zones « obscured by clouds » comme cette fameuse « vallée » du film éponyme de Barbet Schroeder. Des terres inconnues, avec des peuples inconnus et des animaux inconnus… Tout cela est révolu aujourd’hui. Sortez votre téléphone portable et l’appli vous indique en quelques secondes comment rentrer chez vous par le chemin le plus rapide !

Et quelle région de la planète a mieux symbolisé à travers les siècles les rêves les plus échevelés de créatures mythiques que l’archipel indonésien ? Ses terres et ses mers en regorgent : nagas, dragons de Komodo, garudas, baleines, dugons-sirènes, mégapodes, lézards volants, poissons bioluminescents, calamars géants, oiseaux de paradis, serpent à deux têtes, pythons mangeurs d’homme, etc. Sans oublier le célèbre King Kong, le singe géant de Merian C. Cooper qui règne en maitre sur une île perdue quelque part dans l’Archipel que le “Venture Surabaya”, un navire affrété par l’équipe qui veut le capturer, a bien du mal à localiser. Réel ou mythique, vrai ou fantasmé, qu’importe, les deux sont liés et se sont alimentés l’un l’autre depuis la nuit des temps. Jusqu’à l’avènement de l’observation satellitaire. Difficile de croire dès lors que Ratu Kidul dirige encore d’une poigne de fer les profondeurs des Mers du Sud, entourée de sirènes, avec un collier de poissons-diamants sur sa poitrine nue…

media0422m de long, 4m de large, 35 tonnes
Le 9 mai dernier, sur l’île de Seram la bien nommée – « sinistre », « qui donne la chair de poule… », ou « spooky » en anglais – les autochtones ont découvert la dépouille gigantesque d’un animal en décomposition sur le rivage, baignant dans une mer rouge sang. Personne n’avait la moindre idée de ce que c’était, car la chose était déjà difficilement identifiable en raison du pourrissement avancé. Asrul Tuanakota, qui a été le premier à repérer la bête en début de soirée, a d’abord cru qu’il s’agissait d’un navire ensablé, vu la taille, avant de se rendre compte qu’il s’agissait d’un animal marin. « Cette découverte inhabituelle a attiré des dizaines d’habitants. La raison pour laquelle l’animal s’est échoué ici est encore inconnue, mais il est estimé qu’il était déjà mort depuis au moins trois jours quand il a été découvert. Depuis sa découverte, les résidents ont demandé au gouvernement s’il pouvait les aider à enlever les restes de l’animal qui commençait déjà à se décomposer », a rapporté le Jakarta Globe de façon très factuelle.

On le voit, dans le pays même où on a trouvé le monstre, les réflexions étaient bien pragmatiques. Comment obtenir rapidement du camat ou du bupati du coin, le matériel lourd nécessaire à l’évacuation de cette masse nauséabonde de 22 mètres de long, 4 de large, dont le poids était estimé à plus de 35 tonnes ! L’armée est donc arrivée rapidement pour découper la bête et éviter ainsi toute infestation de la zone, au grand soulagement des riverains. Mais auparavant, de nombreuses photos et vidéos de l’animal ont été prises et envoyées en ligne, laissant alors le monde entier digresser à loisir et avec délectation sur son identité : calamar géant, baleine à bosse, narval, orque, créature des fonds marins inconnue, créature extra-terrestre… Au bout du conte journalistique, un simple cachalot en fait, plutôt que le Léviathan !

media03Le monstre bien réel, c’est le plastique
Alors que l’évidence s’imposait, tous les journaux du monde ont laissé le doute planer, ne s’en tenant qu’à l’aspect indéfinissable de la bête en décomposition et faisant ressurgir aux quatre coins de la terre ce désir, ce fantasme du merveilleux un peu effrayant de la bête mythique. Un rêve éveillé dont on sait désormais qu’il ne sera plus jamais assouvi. Plus de monstre du Loch Ness, plus de Mokèlé-mbèmbé, plus rien qu’une faune et une flore qui se meurent à cause de nous. Le véritable monstre des océans aujourd’hui étant le plastique. Et s’il s’agit aussi d’une émanation humaine, celle-ci est bien réelle et bien plus redoutable que tous les monstres des légendes passées.

« Un mystérieux monstre marin s’est échoué sur une plage indonésienne » -Slate.fr. « Remains of 49-foot giant sea creature wash ashore in Indonesia » -Mlive. « Monstre marin ou simple baleine ? Une mystérieuse carcasse en Indonésie » – L’Express. « Mysterious giant sea monster found off the coast of Indonesia » -The Independent. « A gigantic, bloody dead thing just washed up in Indonesia and nobody knows what it is » -BGR. « Monstrous sea creature washes up on Indonesia’s shore » -Fox News. « Mysterious Sea Creature Washes Up on Shore in Indonesia and Scares the Crap Out of People » -Complex. « This Giant Dead Sea Creature Washed Up On An Island, And It’s Freaking Everyone Out » -The Huffington Post. Il est étonnant de voir l’engouement des journaux et des lecteurs du monde entier pour cette histoire de « monstre marin » de l’île de Seram et d’essayer de comprendre ce que cela révèle sur notre époque. Ainsi que sur la place qu’occupe encore l’archipel indonésien dans l’imaginaire mondial.

Et les Indonésiens dans tout cela ? Qu’en pensent-ils ? Le monstre marin de Seram n’a eu que peu d’échos dans la presse du pays. Juste pour dire qu’une créature marine difficilement identifiable s’était échouée à Seram, qu’en vertu des éléments en la possession des experts dépêchés sur place, il ne pouvait s’agir d’un calamar géant, comme cela avait été rapporté dans la presse internationale, mais plus logiquement du cadavre d’un cétacé. Pas d’animal mythique au pays des nagas et des garudas donc, mais un malheureux cachalot échoué… Le monde à l’envers ?

Eric Buvelot

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