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La symphonie de la pluie

Il y a une semaine de cela, je m’apprêtais à me coucher après avoir vérifié tout autour de la maison qu’il n’y avait pas de fuite majeure au toit – les pluies sont si fortes ici – lorsque la première saucée depuis des mois s’est mise à tomber. J’ai tout de suite entendu le son des grenouilles en provenance de ma mare dehors. Elle s’était quasiment vidée pendant la saison sèche, mais maintenant, alors que j’avançais dans le noir et sous la pluie battante le long de la pente glissante, je pouvais voir de loin qu’elle se
remplissait rapidement, déjà presque jusqu’à ras bord. Les coassements cessèrent, j’éteignis alors ma lampe frontale et rampai sur mes genoux à travers l’herbe mouillée. Ca recommença alors, le caractéristique « Croâ ! Croâ ! Croâ ! » du crapaud-buffle asiatique (Kaloula baleata) également appelé « grenouille-vache » ici, un des coassements les plus puissants à Bali. Je me mis à chercher au dessus du bord dans le noir lorsque ma lampe se ralluma. Et voilà ! Trois crapauds marron, brillant comme des ballons prêts à éclater, flottant sur la surface de l’eau, le corps vibrant, en train de faire des vagues comme le ferait un puissant hors-bord. Je réussis
à prendre quelques photos avant qu’ils ne plongent dans la boue pour se protéger.

Soudain, un lézard en pleine panique traversa la mare à la nage. Ne devrait-il pas dormir ? Je compris pourquoi, il était pris en chasse par un serpent noir brillant, un bongare (Bungarus candidus), un des serpents les plus venimeux à Bali ! Doucement, j’extirpais le serpent de l’eau à l’aide de mes pinces à serpent. Il ne fit aucun effort pour résister et s’installa calmement dans l’abri de mon sac. A ce stade de mes pérégrinations, j’étais déjà complètement trempé par la pluie.

Novembre, c’est le début de la saison des pluies à Bali. De sombres nuages géants se forment dans le ciel en fin d’après-midi, provoquant une tombée de la nuit avant l’heure. Après, dans l’obscurité, dans cet air chaud et
immobile, le tonnerre gronde dans le lointain, des éclairs illuminent l’horizon et puis les premières grosses gouttes de pluie tombent, faisant un bruit mat en soulevant la poussière des chemins. Les pluies arrivent et partout,
d’innombrables animaux et plantes sont prêts à avoir un long « welcome drink ». Pour certains, le premier depuis des mois.

A cette époque de l’année, les couchers de soleil à travers ces nuages hauts dans le ciel accentuent la lumière des paysages naturels, faisant sortir les couleurs des bois, des rizières et des jardins de façon si vive qu’on pourrait
comparer ces panoramas, pour leur intensité, à ceux des paysages d’automne en teintes pastels de l’hémisphère nord. Le crépuscule se poursuit et la chorale des cigales est à son paroxysme à ce moment, leurs crissements suraigus dominent le paysage sonore pendant une bonne vingtaine de minutes, avant de diminuer laissant apparaître les premiers choeurs de criquets. Pus tard dans la nuit, notre séjour est envahi par des hordes de cigales vertes, confuses à cause des lumières de la maison,
qui bourdonnent et se cognent au plafond. Les tokai les regardent d’un oeil circonspect. Ils savent très bien que ces insectes ne sont qu’un emballage
croustillant avec très peu de valeur nutritive dedans…

La pluie continue alors que la nuit s’installe avec le son de trille ininterrompu de la secrète courtilière, ou taupe-grillon (Gryllotalpa sp.), qui envoie ses notes graves des tréfonds des bords boueux des rizières. Les grillons génèrent les sons en milieu de gamme, dépassés par les staccato de haute
fréquence des criquets des buissons, ces chasseurs avec des antennes trois fois plus longues que leur corps.

Dans ce mix musical, les différentes grenouilles fabriquent leurs chansons et, à cette heure tardive, j’entends les appels d’au moins sept espèces distinctes. Les mâles de toutes sortes dominent, chacun créant autant de sons qu’il est possible afin d’attirer une compagne. Ca doit d’ailleurs être suffisamment fort pour être entendu malgré le bruit de la pluie… Mais si l’appel est trop long, les grenouilles pourraient bien être localisées par leur prédateurs. Alors que je trébuche maladroitement et bruyamment à travers le terrain boueux dans le noir, je ressens cette enveloppe de silence temporaire qui me précède puis m’entoure lorsque toutes ces créatures
nocturnes arrêtent leurs chants en ma présence et se retirent dans la quiétude de leur abri. Une fois passé, la voie est libre. Derrière moi le silence se remplit à nouveau de toutes leurs stridulations, couinements et coassements.

Les pluies apportent une avalanche de vies nouvelles à la terre. Les papillons se reproduisent et pondent et de nombreux reptiles, oiseaux et mammifères ont leurs jeunes à cette époque de l’année afin de bénéficier de l’abondance de nourriture. Les nouvelles pousses des arbres sont des mets de choix faciles à ingurgiter pour les chenilles et par extension tout autre herbivore. Une débauche de papillons de nuits et autres insectes volants sont visibles dans les phares de ma voiture lorsque je me promène sur les routes de
campagne. Comment font-il pour éviter les gouttes qui sont, à leur échelle, de la taille d’une baignoire pleine ! Des fois, j’installe une lampe géante ultra forte sur notre véranda de façon à éclairer les terrains et les arbres de la vallée en-dessous de chez nous. Le drap blanc que j’ai accroché sur le mur est bientôt recouvert de milliers d’insectes de toute espèce, créant une tapisserie vivante. Evidemment, le tokai du coin et les geckos entourent le
drap comme autant de spectateurs affamés, se goinfrant d’insectes jusqu’à se faire exploser la panse avant de rentrer en titubant sous le toit pour une bonne nuit de sommeil digestif.

Trempé et laissant des empreintes boueuses partout, je rentre finalement chez moi, laissant derrière la cacophonie des grillons, des grenouilles et maintenant le lointain hululement du hibou. J’aimerais bien réveiller ma femme et mon fils pour leur dire au sujet du serpent capturé et leur faire écouter cette majestueuse symphonie nocturne que les premières pluies ont créée. Mais je décide de les laisser dormir. Ce fut une bonne nuit pour moi, pleine de choses intéressantes et de surprises. Au matin, le paysage sera transformé et une fine couche de verdure supplémentaire aura déjà poussé
partout. L’odeur de la terre fraîchement imbibée est aussi très spéciale et ne dure pas longtemps. Comme je souhaiterais partager ces fabuleux concerts nocturnes avec plus de gens !

Courriel à [->[email protected] ] Tél. 0813 3849 6700 Facebook « Ron Lilley’s Bali Snake Patrol »

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