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La pub à la Balinaise

Les innombrables coupures de publicité qui interrompent à tout instant les programmes de la télé indonésienne sont d’autant plus agaçantes que leur contenu est d’un niveau extrêmement désolant. Le téléspectateur que je suis est donc heureux de tout ce qui peut le distraire de la vue des pseudo scientifiques qui nous expliquent la force blanchissante de crèmes de beauté ou des lessives ainsi que des autres gros nigauds qui vantent les boissons énergétiques à grand renfort de grimaces outrancières.

En France, j’appréciais les chefs-d’œuvre inventés par les fabricants de café parce qu’ils se distinguaient par le soin des images et les sensations qu’ils évoquaient. (Ô l’envoûtante sensualité de Carte Noire !) Ici, ce sont les fabricants de cigarettes qui sont les plus subtiles pour endoctriner le consommateur grâce à leurs budgets quasi illimités. (Personne n’ignore que les drogues légales rapportent autant que le commerce de stupéfiants illicites : le fumeur de tabac est aussi prompt à payer que le toxico !). Les annonceurs prônent l’individualisme et nous encouragent à vivre nos singularités. (Pour devancer un futur mouvement anti-fumeur ?) Il y en a qui nous suggèrent de relever le défi d’un saut dans le vide du haut d’un rocher, tout en nous procurant parachute et corde rassurante. On nous conseille d’exploiter nos dons personnels, soient-ils professionnels, footballistiques, ou aussi insignifiants que pouvoir cracher des flammes ou rattraper sa casquette avec le pied. Le mordu de la mise en scène peut ainsi s’exercer sur le couple querelleur et le guitariste novice gagne le droit de croiser son instrument avec l’artiste confirmé, applaudi par des spectateurs aux sexes incertains. Auréolé d’un bleu nocturne qui tend à le glorifier, le macho fauconnier pratique le tir à l’arc à la perfection et ne peut que susciter l’admiration de vivre si sereinement ses loisirs guerriers. À l’opposé de ce mâle à la force tranquille, le tendre jeunot venu chercher sa petite amie, un gentil bouquet de fleurs entre ses mains, doit vivre sa différence et ne pas trembler quand le papa rocker le toise d’un oeil méchant du haut de ses tatouages.

Mais c’est une publicité encore plus loufoque qui me plonge dans des réflexions profondes. Un automobiliste en arrêt prolongé devant un feu rouge refuse tous les services et produits qu’on lui propose, mais achète finalement la télécommande magique qui fait passer le feu au vert. La séquence est signée « chaque problème trouve sa solution » ! Voilà que les publicitaires s’élèvent au rang des philosophes d’antan qui prétendaient que les problèmes n’existaient pas et qu’il n’y aurait que des solutions. En l’absence de visionnaires préconisant les orientations futures souhaitables à l’humanité en plein désoeuvrement, et devant l’incapacité des intellectuels à guider une population en quête de nouvelles valeurs morales, les créatifs du marketing ont sauté dans la brèche : définissons nous-mêmes les valeurs, nos actionnaires nous en remercieront !

Dans nos sociétés soumises au commerce globalisé, l’individu se retrouve cantonné dans le rôle du consommateur esclave. Face à ce mercantilisme tout-puissant, le mépris philosophique de l’argent n’est plus qu’une vaine formule archaïque. La recherche de la pierre philosophale, par contre, a fini par aboutir : les feuilles de tabac ont été transformées en lingots d’or massif. Vive la bourse – tous à vos bourses !

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