La Gazette de Bali : Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer la raison d’être et les buts de votre association ?
Karin Sukarya : Aliansi Pelangi Antar Bangsa (APAB) a été créée en septembre 2002 et rassemble des individus, des groupes et des organisations qui ont une mission commune. La raison d’être de notre association est de générer des lois, des règlements et des décisions gouvernementales qui ne soient pas discriminatives et d’assurer la protection légale des familles issues de mariages mixtes. Nous militons pour la révision des lois et règlements qui sont discriminatifs envers les femmes, les familles d’Indonésiens mariés à des étrangers et les Indonésiens en général. L’APAB a travaillé activement avec le parlement indonésien sur la nouvelle loi de citoyenneté de 2006 avec pour objectif l’obtention de la double nationalité pour les époux et les enfants de mariage mixte. Seule la double nationalité pour les enfants jusqu’à 18 ans avec une période de grâce de 3 ans nous a été accordée. L’APAB a aussi travaillé sur la révision de la loi sur l’immigration qui a été votée en mai 2011. Nous avons d’ailleurs organisé un séminaire en juillet 2011 pour faire connaître cette nouvelle loi avec des intervenants de premier plan.
LGdB : Pouvez-vous nous rappeler les points essentiels de cette loi sur l’immigration révisée ?
Sandra Tjahyakusuma : Certains des bénéfices pour les familles de couples mixtes sont les suivants :
Un époux étranger marié à un citoyen indonésien qui est entré dans le pays avec un Visa Tinggal Terbatas (VITAS – visa de séjour limité) peut immédiatement obtenir un Izin Tinggal Terbatas (ITAS – permis de séjour limité) qui est valide pour deux ans et peut être converti en Izin Tinggal Tetap (ITAP – permis de séjour permanent) après avoir signé une déclaration d’intégration.
L’ITAP est valable pour une période illimitée tant qu’il n’est pas annulé. Il est renouvelé tous les cinq ans gratuitement.
Les enfants de couples mixtes (quel que soit leur âge) et les anciens citoyens indonésiens n’ont pas besoin d’obtenir un ITAS et sont éligibles immédiatement pour un ITAP à leur arrivée sur le sol indonésien.
L’ITAP ne peut être annulé à cause du décès de l’époux indonésien.
L’ITAP ne peut être annulé pour cause de divorce si le mariage a duré au moins dix ans.
L’obligation d’avoir un sponsor ne s’applique pas aux possesseurs d’ITAP mariés à un ressortissant indonésien.
Les détenteurs d’ITAS et d’ITAP délivrés pour mariage mixte peuvent travailler et/ou posséder un business afin de subvenir aux besoins de leur famille.
Les enfants de mariages mixtes qui ont bénéficié de la double nationalité reçoivent automatiquement un ITAP s’ils choisissent leur nationalité étrangère après avoir atteint 21 ans.
LGdB : Pouvez-vous nous décrire l’ampleur des progrès réalisés par cette révision de la loi sur l’immigration ?
Sally Wellesley : Tous les points mentionnés par Sandra sont nouveaux et représentent un progrès significatif puisque dans l’ancienne loi…
Les époux étrangers de ressortissants indonésiens devaient rester en Indonésie cinq ans sur un ITAS avant d’être éligibles pour un ITAP. Ils n’étaient donc pas traités différemment des autres étrangers vivant ici.
L’ITAP devait être renouvelé tous les cinq ans, au coût actuel d’1 750 000 rp (ndlr – tarif officiel).
Il n’y avait aucune possibilité pour les enfants adultes de nationalité étrangère membres d’une famille mixte ou pour d’anciens citoyens indonésiens de séjourner en Indonésie autrement qu’en étant possesseur d’un visa appartenant aux catégories habituelles (travail, business, mariage avec un citoyen indonésien, etc.).
Les détenteurs d’ITAP mariés à un ressortissant indonésien étaient obligés d’avoir un sponsor (leur conjoint indonésien ou leur employeur).
L’ITAS/ITAP d’étrangers sponsorisés par leur conjoint de nationalité indonésienne était annulé par le décès dudit conjoint ou par leur divorce.
Les détenteurs d’ITAS ou d’ITAP qui étaient sponsorisés par leur conjoint de nationalité indonésienne n’étaient pas autorisés à travailler.
Toutefois, en regardant les propositions du décret d’application (Peraturan Pelaksanaan), il semble que nombre de ces « améliorations » vont être sévèrement amputées par des restrictions supplémentaires, par exemple :
Les enfants adultes de nationalité étrangère ne peuvent prétendre qu’à un KITAP familial si leurs parents vivent encore en Indonésie et ils doivent posséder un sponsor.
Les possesseurs d’ITAP dont le conjoint de nationalité indonésienne décède, ou qui ont divorcé après 10 ans ou plus de mariage, doivent également posséder un sponsor s’ils souhaitent rester en Indonésie.
Au sujet de la possibilité d’un « droit de travailler », aucune possibilité d’application n’a jamais été débattue avec les autres parties prenantes, notamment le ministère du Travail et de la Transmigration. Si on peut considérer que travailler sur une base freelance est relativement « sans danger », il ne semble pas possible à un étranger de recevoir un salaire régulier d’un employeur sans avoir un permis de travail.
L’ITAP devra en fait être renouvelé une fois avant d’être « valable pour une période illimitée », étant admis que le conjoint est toujours marié et bénéficie d’un sponsor.
LGdB : Est-il vrai, qu’à un certain point, les députés sont même venus à envisager la révision de la loi sur la propriété et qu’ils auraient pensé à autoriser la propriété foncière aux étrangers sous certaines conditions en Indonésie ? Etiez-vous impliqués dans ce lobbying ?
Marilyn Ardipradja : Il n’y a encore aucun plan de révision de la loi agraire qui remonte à 1960. APAB sera bien sûr actif dans ce lobbying, en représentant les couples mixtes, si toutefois un tel amendement devait être discuté au parlement.
LGdB : Donc, une épouse indonésienne de ressortissant étranger perd toujours son droit à la propriété dans son propre pays ?
Sandra Tjahyakusuma : Oui, c’est le cas à moins que le couple soit marié sous le régime de la séparation des biens. Ce dossier est lié à deux lois, la loi agraire et celle sur le mariage. Cette dernière stipule que les biens sont possédés en commun (sans accord pré-marital de séparation des biens) alors que la loi sur la propriété foncière stipule que les étrangers ne sont pas autorisés à devenir propriétaire (hak milik), seulement un droit d’usage (hak pakai). Donc, puisque les deux lois se retrouvent liées ensemble, lorsqu’une femme indonésienne se marie à un étranger hors régime de la séparation des biens, la loi conclut donc qu’elle n’est pas autorisée à devenir propriétaire.
LGdB : Revenons à notre sujet principal. Ou en sommes-nous maintenant dans l’application de cette nouvelle loi sur les familles mixtes qui semble avoir sombré dans l’oubli ?
Marilyn Ardipradja : Le décret d’application de cette nouvelle loi était sensé intervenir dans l’année qui a suivi son vote le 5 mai 2011, toutefois il n’a toujours pas été édicté et a maintenant un an de retard, donnant lieu à une certaine confusion dans les bureaux d’immigration et parmi le public. Comme mentionné plus haut, la dernière version du décret d’application que l’APAB a vu est plutôt décevante. Par exemple, contrairement à l’article 63 (4) de la loi, le décret d’application requiert toujours le détenteur d’ITAP dont le conjoint de nationalité indonésienne est décédé à obtenir un nouveau sponsor. L’article 61, qui stipule que les détenteurs d’ITAP peuvent travailler, n’est pas effectif dans la pratique.
LGdB : Est-il vrai qu’il y a un conflit d’intérêt entre l’immigration et la police au sujet du SKLD ? Cette déclaration annuelle obligatoire – et les revenus qui en découlent – que les étrangers présents sur le sol indonésien doivent fournir tous les ans, serait devenue la pomme de discorde ?
Marilyn Ardipradja : L’APAB a entendu cette rumeur mais ne peut affirmer qu’elle soit vraie.
LGdB : Nous approchons des présidentielles. Est-ce que cette loi ne risque
pas de devenir impopulaire en ces temps d’exacerbation du sentiment nationaliste ? Y a-t-il un lien entre le remisage de la loi et ces élections ?
Marilyn Ardipradja : Je ne crois pas. La loi n’a pas été remisée et elle est déjà valide. C’est juste que le décret d’application et les directives ministérielles (PerMen) ont été reportés. C’est pourquoi la plupart des bureaux d’immigration délivrent encore visas et permis de séjour le plus souvent sur la base de l’ancienne réglementation.
LGdB : Dans quelle mesure la répugnance de l’Indonésie à appliquer ces Droits de l’Homme basiques que représente la simple possibilité pour une famille mixte de vivre décemment sur son sol a-t-elle des conséquences sur ses relations avec les démocraties occidentales ?
Sally Wellesley : A dire vrai, je ne crois pas que ces dossiers provoquent le moindre écho dans les démocraties occidentales, la plupart d’entre elles étant d’ailleurs en train de se dépêcher de renforcer leurs propres politiques sur l’immigration. Les ambassades à qui nous nous sommes adressés semblent adopter une approche « wait and see » et ne sont aucunement en train de se préparer à s’impliquer directement ni à vouloir exercer une quelconque pression dans ce sens.
LGdB : Existe-t-il une forme de lobbying d’organisations internationales ? Par exemple des Nations Unies ? Et à part vous, qui d’autre semble concerné par ce dossier ?
Sally Wellesley : La plupart des organisations de mariage mixte qui sont actives en Indonésie et à l’étranger sont regroupées sous l’APAB. Il y a d’autres organisations en Indonésie qui font du lobbying mais leurs objectifs sont différents.
LGdB : Par conséquent, peut-on espérer rapidement une quelconque amélioration du statut des étrangers et de leur famille en Indonésie ou doit-on se faire une raison et faire une croix définitive sur cette nouvelle loi ?
Julie Mace : Nous nous attendons à des améliorations à l’avenir puisque les étrangers, tout particulièrement ceux mariés à des Indonésiens, ont déjà commencé à bénéficier de certaines de ces nouvelles lois, comme la loi sur la citoyenneté et la loi sur l’immigration.