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La Krismon, une décennie plus tard…

Elle les a tellement marqués qu’ils lui ont attribué un diminutif, un nom commun, la krismon. Il n’est pas un Indonésien actif en 1998 qui ne se souvienne douloureusement des effets de la crise monétaire sur ses activités. Tout commence le 2 juillet 1997. Le gouvernement thaïlandais décide de laisser flotter le baht pour tenter de stimuler des exportations au ralenti. La devise thaïlandaise perd 18% du jour au lendemain, déclenchant une crise de confiance, la chute de la Bourse et une fuite des capitaux. Le phénomène se propage comme une traînée de poudre à l’ensemble des marchés de la zone Asie. Les pays les plus touchés après la Thaïlande sont la Corée du Sud et l’Indonésie. « En Indonésie, la crise s’est traduite par une très forte inflation, plus de 50% en 1998, et une dévaluation de la monnaie de 400%, explique Amol Titus, économiste spécialiste de l’Indonésie à la banque HSBC. Les capitaux ont quitté le pays, le marché boursier a été ravagé et les investisseurs ont perdu confiance ».

Cette crise monétaire a engendré par la suite l’effondrement du système bancaire. Pas moins de seize banques indonésiennes sont liquidées à cette période, puis sept autres plus tard, plusieurs autres voyant leurs activités suspendues. Crise monétaire puis crise bancaire donc. « Mais tout cela a été encore davantage ressenti en Indonésie parce que le pays traversait une crise politique majeure, enchaîne Amol Titus. Il était nécessaire que le pays se tourne vers la démocratie ». En effet, Suharto, « le père du développement » de l’Indonésie, a permis une croissance soutenue et ininterrompue pendant trente ans. Mais derrière cette façade, des raisons plus profondes expliquent l’ampleur de la crise : montant de la dette sous estimé, secteur bancaire fragilisé du fait de pratiques délictueuses, opacité des relations entre les entreprises et le gouvernement. Pour ajouter au désastre, l’humiliation : les pays touchés de plein fouet, dont l’Indonésie, ont dû accepter l’aide du Fonds monétaire international (FMI) en échange de mesures d’assainissement des comptes publics et des systèmes financiers.

L’Asie a globalement rebondi, l’Indonésie à la traîne

Mais, une décennie après la tourmente, la région a largement rebondi, tirée par la croissance exponentielle du géant chinois qui a su tirer son épingle du jeu. « La décision de la Chine de ne pas dévaluer sa monnaie (au plus fort de la crise) a certainement renforcé sa réputation d’acteur international responsable », estime Leong H. Liew, économiste à l’université de Griffith en Australie. Aujourd’hui, la plupart des marchés asiatiques flirtent avec des records. Qu’en est-il de l’Indonésie ? L’archipel continue de lutter. La crise a permis la chute de Suharto et une plus grande liberté individuelle et politique, mais l’économie indonésienne reste très largement gangrenée par la corruption, la faiblesse du système judiciaire et celle des investissements étrangers. « Aujourd’hui l’avantage de l’Indonésie est d’avoir d’immenses ressources naturelles, notamment en énergie et en nourriture, et le monde a besoin de ces ressources, affirme Amol Titus. Le challenge est désormais d’utiliser ces ressources pour permettre à l’Indonésien moyen de vivre mieux. L’Indonésie doit investir dans les infrastructures, l’éducation, la santé publique ou la formation des jeunes. Et faire en sorte que le développement ne bénéficie pas uniquement à Jakarta, mais aussi à l’ensemble des autres îles ». Les lois de décentralisation de 1999 poursuivaient cet objectif : accorder aux provinces une plus grande autonomie et leur faire profiter davantage de leurs propres ressources financières. C’était aussi prendre le risque d’un développement de la corruption au niveau régional. Mais grâce à cette réforme, la province de Kalimantan-est, enclavée et rurale mais riche de pétrole et de gaz, est devenue très prospère. La croissance de l’Indonésie s’est stabilisée depuis quelques années autour de 6%, mais le chômage est en augmentation. Selon la Banque Mondiale, l’Indonésie est même un des rares pays où la pauvreté a augmenté depuis 2001. Plus de 40% des Indonésiens vivent ainsi avec moins de deux dollars US par jour. De nombreux efforts restent donc à fournir afin de retrouver les niveaux de croissance pré-crise. Cependant, la bourrasque de 1997-1998 pourrait-elle se reproduire ?

« L’expérience est un riche enseignement et personne en Asie n’a n’oublié la dépression économique de la fin des années 1990 » souligne Amol Titus. « Néanmoins, des mésaventures peuvent toujours survenir », provoquées par des risques internationaux comme la grippe aviaire ou le terrorisme, ou des ralentissements importants chez les principales économies que sont les Etats-Unis ou la Chine. La Chine n’est d’ailleurs pas complètement à l’abri d’une surchauffe boursière. On y observe une fièvre spéculative alimentée par des liquidités en abondance, et des millions de particuliers sont alléchés par des promesses de rendements importants de leurs actions. La bulle éclatera t-elle ? Les Indonésiens ne sont en tout cas pas pressés de chercher un nouveau nom pour une éventuelle nouvelle crise. Tous espèrent que l’épisode de la krismon n’aura pas de suite.

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