A l’occasion de cette soirée, il y avait une invitée de marque en la personne de Dewa Ayu Laksmiadi Janapriati, que tout le monde appelle Ibu Laksmi.
C’est la responsable de la division marketing de l’office du tourisme du gouvernement de Bali, elle travaille à la fois sous l’autorité du ministre du Tourisme et du gouverneur de Bali. Elle sillonne le monde inlassablement pour assurer la promotion du tourisme à Bali et était d’ailleurs sur le point quelques jours après notre rencontre d’entreprendre un voyage en Europe avec des archéologues indonésiens, une visite avec un conservateur du Louvre était au programme. Elle nous a accordé bien volontiers une interview et son ton tranche radicalement avec les formules policées qu’on entend d’ordinaire dans la bouche des hauts responsables indonésiens.
Bali-Gazette : ibu Laksmi, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs en quelques mots ?
Ibu Laksmi : je suis balinaise, à cheval entre deux cultures avec ma formation de danseuse de Legong et de danse classique, ma mère était une femme moderne, mon père plus traditionnel. J’ai été la première femme à obtenir un doctorat dans le tourisme à Bali. En 2012, ma passion pour l’art m’a fait prendre la tête de l’association des musées de Bali et je me bats actuellement pour développer et pérenniser le musée Lemayeur à Sanur en lien avec notre ambassadeur à Bruxelles. Depuis janvier, j’ai accédé au poste de directrice de la promotion de Bali.
B-G : vous faites la promotion de Bali à l’extérieur pour attirer toujours plus de monde ?
I.L : non, le tourisme à Bali est fondé depuis toujours sur l’idée de la culture et de la qualité. C’est une des raisons de ma présence ici ce soir. Autant je suis d’accord pour qu’il y ait des danses de bienvenue dans les hôtels, autant je suis fondamentalement opposée à ce que nos danses traditionnelles quittent l’espace du temple ou de la maison balinaise pour s’offrir aux touristes dans les hôtels.
Et pour répondre à votre question, il y a bien assez de touristes à Bali avec 4.5 millions de visiteurs étrangers par an. Et je vous avoue que je ne partage pas les vues de mon ministre de tutelle qui rêve de 20 millions de touristes dont 40% en plus pour Bali, je ne sais pas où on va les mettre, je n’aime pas le tourisme de masse ! Quand j’entends qu’il y a encore 80 à 100 hôtels en projet, je suis effrayée d’autant que les prix des nuitées continuent à baisser et que j’ai même vu un hôtel à Sanur qui était descendu à 100 000rp la nuit.
B-G : y a-t-il des intérêts contradictoires en jeu ?
I.L : oui bien sûr mais j’y vais à petit pas, je ne lutte pas à égalité avec ces gros intérêts. Ce dont nous souffrons surtout depuis la reformasi et la loi d’autonomie des régions, c’est qu’en fait, nous n’avons pas vraiment de pouvoir pour développer le tourisme comme nous l’entendons. Les autorisations pour construire des hôtels viennent des bupati, les banjar n’en font parfois qu’à leur tête en matière de gestion du tourisme, péages, interdiction de certains transports privés… Il nous faut vraiment développer ce concept de « one island management for Bali », c’est-à-dire un statut juridique qui permette de développer harmonieusement sans quoi Bali va se détruire, son agriculture disparaitre et son environnement être endommagé de manière irrémédiable. Je travaille à long terme sur le projet de desa wisata (village touristique) où nous impliquons les populations locales, les formons et faisons appel à la compétence des habitants pour que le tourisme non seulement profite à tous mais surtout de manière respectueuse de notre culture et de notre environnement.
B-G : peut-on vous demander à titre personnel ce que vous pensez du projet de poldérisation de la baie de Benoa ?
I.L : Nous n’avons pas besoin de ce projet et les raisons invoquées pour le développer ne sont pas recevables.
B-G : est-ce que la France que vous connaissez bien vous inspire en matière de développement touristique ?
I.L : on ne peut pas comparer Bali et la France mais je suis très admirative de la manière dont vous gérez vos 70 millions de touristes et tout ce que vous faites en matière de culture, la France est vraiment une référence dans ce domaine. J’ai d’ailleurs rendez-vous dans quelques jours au Louvre pour quelques échanges sur des méthodes de conservation. J’ai beaucoup visité votre pays, mon père y a travaillé pendant 8 ans, j’aimerais bien parler un peu mieux votre langue que je trouve à la fois sexy et aristocratique (rires).
B-G : restez-vous optimiste pour l’avenir de Bali ?
I.L : le spectacle auquel nous venons d’assister ce soir et l’enthousiasme qu’il a suscité chez les spectateurs m’incitent à garder le sourire. La culture, c’est notre fonds de commerce mais il faut se battre pour maintenir le cap. On me reproche parfois mon style direct et mon manque de respect pour la manière dont les femmes balinaises doivent se comporter en société et s’exprimer en public mais j’assume ma modernité.