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La cour des miracles

Tremblements de terre, volcans, terrorisme, criminalité… il n’est pas rare que les touristes s’inquiètent de savoir s’il est prudent de se rendre à Bali. Une méfiance que partagent aussi les balinais, à ceci près que eux se demandent s’il est vraiment raisonnable de les laisser venir ici. Incivilités, mendicité, profanations, trafic de drogue, violences en tout genre… ces dernières années, un nombre grandissant de ressortissants étrangers a animé l’actualité pour des faits de diverse gravité allant du simple faux-pas culturel à l’assassinat tragique d’officiers de police dans l’exercice de leurs fonctions. Récemment, le gouverneur de l’île s’est exprimé sur la question en rappelant que bien sûr la loi s’appliquerait sans aucune retenue pour les cas les plus graves mais qu’il y avait aussi matière à réfléchir sur la possibilité d’expulser ceux qui se montreraient irrespectueux ou nuisibles à l’harmonie de Bali. Une prise de parole qui faisait suite à la spectaculaire crise de folie éthylique d’un australien dans les rues de Seminyak et à la vidéo d’une touriste tchèque se faisant asperger les fesses avec l’eau d’un temple à Ubud. Mais cette méfiance à l’égard des étrangers n’a pas attendu l’explosion du tourisme de ces dernières années pour se manifester. Historiquement, Kuta a toujours été une zone particulière de l’île, un territoire tampon où étaient tolérés les marchands chinois, les corsaires bugis, les aventuriers européens ou encore les aristocrates balinais déchus et envoyés en exil dans ce périmètre sacrifié. Une ségrégation qui s’est ensuite poursuivie avec l’accord du pouvoir colonial par souci de préservation culturelle et qui a perpétué jusqu’à nos jours l’idée que les visiteurs (malgré les bienfaits notamment économiques qu’ils apportent) devraient -comme souvent les bonnes choses- se consommer avec modération. Et comme l’on suit rarement ce conseil de modération… Le tourisme représente donc aujourd’hui plus de 70% de l’économie balinaise et s’est dispersé un peu partout dans l’île. La nature de la population touristique a également évolué. Aux voyageurs passionnés de culture ou obsédés de surf ont succédé des populations moins curieuses et moins concernées qui viennent à Bali simplement parce qu’ils en ont l’opportunité. C’est la fameuse « masse ». Rien de péjoratif à cela, mais la politique de laisser-faire et d’endiguement du bordel dans une zone circonscrite au sud de l’île – qui avait prévalue jusqu’à maintenant- n’est plus pertinente si on ne veut pas que ça tourne à la cour des miracles. On peut aisément comprendre l’envie de renvoyer chez eux des tamu indélicats. Tamu qui par ailleurs, du point de vue d’un balinais, se sont invités tous seuls en achetant un billet d’avion, mais ça ne ressemble en rien à une solution. On entend souvent dire que ceux pris en faute n’oseraient pas faire ça chez eux. C’est sans doute vrai, mais c’est aussi parce qu’ils n’en auraient pas l’occasion. Le tourisme est un métier d’encadrement et c’est l’activité principale de Bali. Il s’agit donc surtout de se donner les moyens de ses ambitions.

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