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La conquête de Java: les dessous d’une invraisemblable débandande

Les atouts de cette île lointaine

Une nature généreuse.
L’île de Java est située au sud-ouest de l’immense archipel indonésien. Jusqu’au XVIème siècle, le prospère empire du Mojopahit rayonnait à partir de cette île sur toute la région. Précédant de peu les premiers Européens, les missionnaires musulmans, sans doute venus de Chine, avaient commencé à convertir les populations, faisant naître des conflits entre royaumes hindouistes résistants et sultanats conquérants. Mais les épices continuaient de partir par mer vers la Chine d’un côté et vers l’Inde et la péninsule arabique de l’autre. Pour l’acheminement vers l’Europe, les Vénitiens s’en chargeaient à partir des ports du Levant.
C’est dans ce contexte que se lancèrent sur les mers inconnues les navigateurs portugais. Ils cherchaient à acheter, en direct, les fameuses épices des îles Moluques qu’on vendait à prix d’or sur les marchés occidentaux. Ces hardis précurseurs firent des envieux et ce furent les Hollandais qui finirent par avoir la mainmise sur ce commerce extrêmement lucratif. La Compagnie des Indes orientales ou VOC, créée à Amsterdam, s’installa à Batavia, vers laquelle convergèrent progressivement les courants commerciaux de l’archipel. Les Hollandais, tout en faisant des profits énormes en vendant poivre, clous de girofle, noix de muscade en Europe, s’aperçurent que les terres de cette île volcanique étaient d’une très grande fertilité. Ils décidèrent de faire pousser des denrées à haut rapport comme le café et le sucre. Ce fut le début de la colonisation.

Des populations dociles et des dirigeants accommodants.
La Compagnie chercha à étendre son influence pour des motifs essentiellement mercantiles. Elle recruta une armée privée, rendit la justice et administra le pays tout en faisant des sultans locaux de dévoués collaborateurs : non seulement, leurs prérogatives furent maintenues voire renforcées, mais encore ils reçurent de substantiels subsides.
Le peuple se soumit aux exigences des maîtres locaux et de leurs alliés, les compradores chinois. Les administrateurs de la VOC vivaient dans l’opulence. Ils menaient grand train : législation quasi-inexistante, revenus élevés, moyens d’existence haut de gamme (maisons, carrosses), domesticité surabondante et dévouée. Mais à la fin du XVIIIème siècle, la corruption s’était installée dans les rouages de la compagnie. Nombreux étaient les employés qui se mettaient à leur compte et vendaient au plus offrant. Pour la VOC, ces pratiques signifiaient à terme
la faillite. Et ce fut ce qui se produisit.
Le gouvernement batave « récupéra » la colonie, si prospère vue d’Europe, et y installa en 1801 le premier gouverneur général. Par souci d’efficacité, le personnel ne fut pas changé. Ce furent les anciens de la « Compagnie » qui prirent les rênes de la colonie batave. Sans se départir de leurs habitudes de lucre et de luxe. Aux yeux de Napoléon, l’île de Java n’était pas seulement une colonie qui offrait de juteuses perspectives de profit, c’était aussi une position à partir de laquelle il pouvait chasser les Anglais de l’océan Indien et de leurs comptoirs en Extrême-Orient. Napoléon pressa son frère Louis, roi de Hollande, de faire de cette île un bastion à l’épreuve d’une conquête britannique, tout en favorisant le développement des populations locales.

Les moyens de la défendre

Une lointaine colonie
. En ce début de siècle, la défense de l’île était insuffisante. Certes les sultanats, et notamment ceux de Solo et Yogyakarta, les plus importants, entretenaient une armée. Mais celles-ci constituaient essentiellement des gardes d’apparat. Les soldats ne fourbissaient leurs habits chamarrés, lances et autres kriss que lors d’événements touchant la vie privée du sultan. La valeur opérationnelle des restes de l’armée privée de la VOC n’était guère meilleure. Pour protéger ses intérêts, la Compagnie avait recruté des anciens militaires, au sein de toute l’Europe. Regroupés dans les grandes villes, ces mercenaires, souvent âgés, jouissaient auprès des autochtones du prestige que leur conféraient la possession d’armes à feu (fusils à pierre, canons) et le grade : la plupart avaient été « bombardés » officiers en arrivant sur le sol javanais. Les hommes de troupe et les sous-officiers se composaient essentiellement de volontaires locaux. Les ethnies les mieux représentées étaient les Javanais, les Bugis, les Madurais et les Amboinais. Ces derniers, christianisés par les Portugais, étaient considérés comme les plus fiables. Les cadres européens n’avaient guère envie de se battre et attendaient paisiblement leur retraite en effectuant un service minimum. Les soldats, vivant dans des camps entourés de leurs familles, étaient affectés à de routinières tâches de servitude. Le temps imparti au maniement des armes était des plus réduits.

La Révolution Daendels
. Après de multiples péripéties, le général de division Daendels arriva à Batavia le 5 janvier 1808. Envoyé par le roi Louis de Hollande, la mission de cet officier franco-hollandais était simple : 1) réformer l’administration du pays en appliquant les principes de la révolution, 2) mettre à niveau la défense de Java afin d’interdire toute invasion anglaise. Daendels s’était fait remarquer sur les champs de bataille européens. Il professait pour les idées révolutionnaires une admiration sans faille. Il adhérait aux projets de Napoléon dont il louait l’énergie et la volonté de réformes. Il prit à rebrousse-poil les administrateurs de la colonie, généralement des « anciens » de la VOC, confortablement installés dans leurs prébendes et leurs pratiques de corruption. Il n’hésita pas à limoger des hommes tels que Engelhard, gouverneur de Java aux revenus pléthoriques, Van Polanen, vice-président du Haut Conseil de justice et le général antifrançais Sandol Roy, le commandant en chef des troupes. Il s’en fit des ennemis acharnés

Des ouvrages défensifs en quantité.
En l’espace de moins de trois ans, « le maréchal de fer » réussit l’exploit de donner à Java les moyens de se défendre. Il créa une armée de 15 000 hommes dont près de 4000 Européens auxquels il insuffla la volonté de combattre. Il parcourut l’île de bout en bout pour en discerner les vulnérabilités. Si la côte sud ne se prêtait pas pour un débarquement, la côte nord, elle, était fragile. Il décida alors la construction d’une route large et carrossable qui reliait les extrémités est et ouest du rectangle javanais. Quelques mois plus tard, au prix d’efforts immenses demandés aux populations locales, la « poste » (service des voyageurs et du courrier) était assurée en 4 jours entre la capitale et Surabaya, le port à l’est de l’île, soit sur 800 km de route carrossable. Daendels renforça les garnisons le long de cet axe. Il fit bâtir le fort Louis pour barrer l’accès au port de Surabaya dont il voulait faire un port militaire de première importance avec arsenaux et chantiers navals.
A force de parcourir le littoral et de déchiffrer les intentions ennemies, il eut la prescience que les Anglais débarqueraient sur la côte près de Batavia. Bien qu’il estimât que les zones marécageuses avec ses miasmes et ses upas constitueraient le cimetière du corps expéditionnaire britannique, il construisit un camp retranché à une dizaine de kilomètres vers le sud. Il se méfiait d’un combat de rue dans Batavia et préférait affronter les Anglais (ceux qui, du moins, auraient survécu aux maladies) à partir d’un camp au sud-est de Batavia, le camp de Meester Cornelis, situé entre deux obstacles naturels, la rivière Ciliwung et un canal de dérivation, encaissé, le Selokan. Daendels y amassa troupes, canons et munitions. Les vagues d’assaut se casseraient sur les redoutes et l’ennemi, ou ce qu’il en resterait, n’aurait d’autre issue que de rembarquer.
Daendels s’estima satisfait de ces travaux. Mais ses ennemis ne désarmèrent pas. Les négociants hollandais déploraient que le commerce fût rendu pratiquement impossible à cause du blocus maritime anglais voulu en réplique au blocus continental français. Les hauts fonctionnaires ne supportaient pas le caractère autoritaire du « Napoléon en miniature ». Ils envoyaient rapport sur rapport à La Haye et à Paris dans lesquels revenaient deux récriminations. Daendels était un tyran qui s’était mis la population javanaise à dos. Et, qui plus est, ils l’accusaient de corruption. Daendels, il est vrai, n’avait pas résisté à l’appât du gain auquel semblait succomber à Java toute personne chargé de quelques responsabilités : il avait revendu des terres gouvernementales qu’il s’était fait attribuer dans des conditions douteuses. Il négociait aussi des denrées coloniales comme un quelconque marchand. Pendant ce temps, un autre général franco-hollandais, Janssens, multipliait, à La Haye et Paris, les manœuvres pour succéder à ce gouverneur dont l’étoile avait singulièrement pâli.

Article originellement publié dans Le Banian n°11, le magazine de l’association Pasar Malam. Suite et fin le mois prochain.

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