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La conquête de Java: les dessous d’une invraisemblable débandade

Un corps expéditionnaire anglais d’une exceptionnelle qualité. Lord Minto avait été nommé gouverneur général des Indes en 1807. Peu de temps après, il reçut des instructions de son gouvernement sans ambiguïté. Les Français devaient être délogés de tous les territoires qu’ils possédaient dans l’océan Indien et plus à l’est. Pour Java, il lui suffisait de prendre le pouvoir et de le rendre aux souverains locaux. Les populations européennes se débrouilleraient pour leur survie. Autrement dit, elles seraient livrées à la vindicte des indigènes. Pour ce gentleman qui avait passé plusieurs années à Paris pour parfaire ses études de droit, ce n’était pas acceptable. Renverser les Français, certes, mais pas question de rétrocéder le pouvoir aux Javanais. D’autant que dans son état-major, un jeune officier, Raffles, ne rêvait que de diriger la colonie javanaise. Il était littéralement tombé amoureux de la culture de cette île, à ses yeux, si mystérieuse et si raffinée.

Un gouverneur général incompétent. Janssens n’est pas un inconnu pour Minto et ses officiers supérieurs, notamment le général Auchmuty, son chef d’état-major. Ce Franco-Hollandais, se rappela Lord Minto, avait été nommé gouverneur général de la Province du Cap en 1803. Lorsque le général Blaird y avait débarqué en 1806, Janssens avait capitulé sans vraiment se battre. Pour Lord Minto, le nouveau gouverneur était certainement un bon administrateur, mais pas un guerrier de la trempe de Daendels. Le général de division Janssens arriva à Nantes en novembre 1810. Deux frégates, construites en toute hâte, avait été armées pour cette expédition, la Nymphe et la Méduse. Janssens embarqua à bord de la Méduse. Son commandant, le capitaine de frégate Raoul, inspirait confiance. C’était un fin marin qui connaissait bien les mers orientales. Il avait servi de pilote à d’Entrecasteaux parti à la recherche de la Pérouse. Raoul ne laissa rien au hasard. S’il n’était pas sur le pont à houspiller l’équipage, il passait son temps à scruter les cartes marines. Il accomplit sans le savoir la dernière expédition maritime lointaine de l’Empire.

Avant de partir en mission, Janssens avait demandé à être secondé par un général de terrain. Il ne voulait plus, cette fois, être obligé de capituler sans pratiquement combattre. Un général qui eût des connaissances de l’art militaire et si possible une expérience des colonies. Le colonel Jean-Marie Jumel répondait, semble-t-il, à ces critères. Il est probable que ce fut l’amiral Decrès qui lui proposa cet officier.

Un commandant des troupes incapable. Janssens fut terriblement déçu par Jumel. L’amiral Decrès, ministre de la marine et des colonies de Napoléon, l’avait-t-il recommandé pour offrir une deuxième chance à l’officier dont la carrière avait connu plus de bas que de hauts, ou, par machiavélisme, pour saborder une expédition qu’il désapprouvait absolument ? Jumel, bien qu’il se fût distingué à la bataille de Marengo, n’avait en fait qu’une formation tactique élémentaire et une expérience du commandement superficielle. Dès sa prise de fonctions à Java, il fit une impression déplorable sur tous les officiers. Sur Janssens, en premier lieu, qui lui reprocha vertement de ne pas l’avoir attendu à Surabaya pour qu’ils rencontrent ensemble Daendels. Janssens lui reprocha publiquement d’avoir validé en bloc, sans une étude sérieuse, les plans de défense de son prédécesseur ; puis sur les autres gradés par ses décisions contestables et son absence de vision d’ensemble. Pendant que les Anglais préparaient minutieusement leur expédition, les deux hommes finirent par s’éviter.
Accumulation d’erreurs. Dénué de tout sens tactique, Janssens accumula les erreurs. Le 4 août, il laissa les Britanniques en provenance d’Inde, à bord de 40 vaisseaux, débarquer hommes, chevaux, canons et munitions sur la plage de Cilincing à 15 kilomètres à l’est de Batavia sans réagir, comptant sans doute sur l’air empoisonné des marais pour décimer les troupes ennemies, alors qu’il eût fallu apporter en toute hâte des canons et tirer à mitraille. Lord Minto, devant l’absence de réaction, fit un petit tour dans le village, s’attarda devant un combat de coqs : « C’est la seule bataille que nous aurons vue ! », ironisa-t-il devant son entourage. Les Anglais prirent la route de Batavia. Après avoir forcé une première résistance dérisoire, ils pénétrèrent dans Batavia, ville ouverte. Ils se dirigèrent ensuite vers le camp de Meester Cornelis, au sud-est de Batavia où s’était retranché l’essentiel des forces franco-hollandaises. La partie pouvait paraître périlleuse pour les Britanniques. Mais les erreurs, du côté français, continuèrent.

Janssens et Jumel, son commandant des troupes provisoirement revenu en grâce, organisèrent un môle de résistance à trois kilomètres au nord du camp pour en interdire l’accès. Mais le dispositif était insuffisant et les Britanniques contournèrent la position. De plus, perdant son sang-froid, Jumel sonna la retraite bien trop tôt. Il s’en fallut de peu pour que des cavaliers anglais à la poursuite d’artilleurs bugis, dont le bon comportement sur les pièces fut souligné par tous, ne fissent irruption dans le camp ! Les Anglais, installés à proximité de la position française, passèrent quelques jours à en tester les défenses. Elles étaient tout à fait conséquentes grâce à une artillerie abondante. Les Français, s’attendant à une offensive frontale, renforcèrent encore la première ligne. Mais les Anglais prirent le risque de s’infiltrer de nuit. Ils percèrent le flanc droit, créant une invraisemblable panique et la perte du camp pour les Français.
Janssens rassembla les maigres forces qui lui restaient à Semarang, deuxième garnison de Java par son importance, située à 500 km à l’est de Batavia. Jumel avait « trouvé le moyen de se faire capturer » par les Anglais en cours de route. Janssens créa, sur les hauteurs au sud de Semarang, une ligne de défense comportant quelques reliquats des unités européennes et surtout les troupes des sultans de Yogyakarta et de Solo. Encore une fois, les Anglais, faisant preuve d’une audace toute « napoléonienne » attaquèrent de nuit, provoquant de nouveau panique et désertions. Janssens, 5 mois après sa prise de fonction, n’eut d’autre solution que de capituler. L’incompétence française et l’audace britannique avaient eu raison de la dernière colonie française de l’Empire…

Daendels fut à sa manière un vrai pionnier, un défricheur qui voulait instaurer un nouvel ordre fondé sur les principes de la Révolution. Il réalisa une réforme structurelle qui fait que, maintenant encore, le quadrillage administratif de l’Indonésie moderne a un petit air napoléonien. Sur le terrain, il conçut d’extraordinaires ouvrages dont le plus connu est la grand-route de la poste que les Indonésiens appellent encore parfois « la route Napoléon ».
Daendels n’a pas laissé un souvenir très positif. Pour nombre d’Indonésiens, il ne fut qu’un « pionnier » du colonialisme moderne. Son caractère extrêmement autoritaire lui valut le sobriquet de Mareskalek (qui vient sans doute du mot néerlandais Maarschalk « maréchal»). Les Javanais le craignaient et l’appelaient Mas Galak
(« Le féroce », sorte de jeu de mot sur Maarschalk). La meilleure illustration de l’antipathie que Daendels suscita parmi la population n’est-elle pas aussi cette statue érigée sur le tronçon de route (Napoléon) Bandung-Cirebon au centre du village de Cijeruk (kecamatan de Pamulihan, kabupaten de Sumedang) mettant en scène, de façon quelque peu naïve, le prince Kornel (appelé aussi Kanjeng Pangeran Koesoemahdinata IX), bupati de Sumedang, serrant la main du gouverneur général Daendels… de la main gauche !

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