Le poète du 17ème siècle Jean de la Fontaine a écrit cette fameuse fable basée sur un texte d’Esope. C’est depuis devenu une histoire courante de la sagesse populaire. La fable raconte l’histoire d’une cigale qui passe l’été à chanter pendant que les fourmis font des provisions. Quand l’hiver arrive, la cigale se retrouve sans nourriture. Cet animal représente depuis toujours une certaine idée de l’insouciance, voire de la nonchalance, même de l’indifférence.
Alors écolier en Angleterre, j’ai appris ce poème en cours de français, n’en comprenant pas vraiment le sens profond. Près de cinquante ans après, je m’en souviens encore, même la mélodie ! Le mot français cigale , en anglais « cicada » était traduit de façon inappropriée par « cricket », grillon en français, parce que la plupart des lecteurs anglais n’avaient aucune idée de ce que pouvait être une cigale. En fait, il y a bien une espèce unique en Angleterre, vivant dans la New Forest, mais je n’ai jamais réussi à en voir une car elles sont devenues très rares. N’importe qui ayant passé du temps dans le sud de la France ou dans d’autres pays de la Méditerranée en reconnaitront immédiatement le bruit. Ici, en Indonésie, il y de nombreuses variétés et je suis toujours ravi de les voir et de les entendre.
Alors que j’écris cet article, j’entends le chœur bruyant de ce que j’appelle les cigales de « sept heures moins le quart », parce que ces petits animaux chantent tous les soirs à la même heure dans mon jardin, au moment où la lumière décline. Chaque insecte produit ce son approximativement deux fois par seconde. Avec des milliers de cigales de concert, ce bruit devient continu. En l’espace de dix minutes, je sais qu’elles vont redevenir silencieuses. Soudain, une minuscule cigale verte s’engouffre dans mon bureau, attirée par la lumière. Mais, avant que j’aie la moindre chance de la prendre en photo, elle se fait manger par un gecko.
Les cigales sont parmi les insectes les plus facilement reconnaissables, à cause de leur taille volumineuse (de 2 à 15 cm) et de leur son extrêmement bruyant. Des milliers d’espèces différentes ont été répertoriées jusqu’à aujourd’hui et ici, il y en a certainement encore d’autres à découvrir. Les cigales ressemblent à de grosses mouches ou à de gros papillons de nuit, avec deux paires d’ailes transparentes et veinées qui couvrent comme un toit leur corps en forme de cigare. Elles ont deux gros yeux, quelquefois rouges, implantés de façon opposée sur leur tête avec, au milieu, trois autres yeux plus petits et une paire de petites antennes. Elles volent maladroitement et restent surtout tranquilles à l’abri des prédateurs. Les cigales sont souvent vertes ou marron pour des raisons de camouflage. Essayez seulement de les trouver quand elles font leur chorale dans votre jardin !
Leurs prédateurs sont les oiseaux, les chauves-souris, les musaraignes et autres rongeurs, les guêpes et mantes religieuses. Elles ne peuvent mordre ou piquer les humains, même si leur longue trompe peut parfois percer la peau de la main ! Elles peuvent causer de grands dommages aux cultures, buissons et arbres. De nombreuses populations autour de la planète, y compris les Balinais, aiment manger des cigales. La femelle est plus appréciée car plus grasse que le male. A Bali, les espèces vertes les plus petites ne sont pas consommées, mais les grosses cigales marron peuvent être frites et sont, paraît-il, très goûteuses !
Cigale se dit « tonggeret » en indonésien, « ower ower » en langue de Sunda et « nongkret » en balinais. Il y a une croyance locale qui affirme que les cigales se nourrissent seulement du vent. « Tête de cigale » est aussi un terme qui désigne une femme laide, une appellation que je trouve étonnante et injuste.
Le cycle de vie des cigales est intéressant. Elles vivent sous terre à l’état de larve et sans aile la plus grande partie de leur existence. Vivant dans le noir total, ces larves ont de puissantes pattes antérieures pour pouvoir creuser. Elles se nourrissent de racines. Leur cycle de vie varie de deux à cinq ans mais certaines espèces de zones tempérées ont des vies plus longues, avec un état larvaire qui peut durer de 13 à 17 ans. A la fin, la larve remonte à la surface, grimpe à un arbre pour trouver une branche à laquelle se pendre et mue pour la dernière fois. La vieille peau se craquèle et la cigale adulte s’en extirpe. Une merveilleuse transformation se produit alors. Les fluides corporels sont pompés dans les ailes bourgeonnantes de l’animal encore pendu et elles se développent jusqu’à leur taille définitive puis sèchent. Il ne restera que la mue de couleur marron, accrochée à l’écorce de l’arbre.
Imaginez la colère des propriétaires de terrain de golf lorsqu’une colonie de millions de cigales s’abat sur leur pelouse et la détruit intégralement… Au Japon, la cigale est perçue comme un symbole de réincarnation puisqu’elle émerge du sol tous les étés pour se mettre à chanter. Elle est donc libre de voler et chanter mais pour deux semaines seulement, une période pendant laquelle elle doit trouver un partenaire pour la reproduction et la ponte, avant de mourir. La femelle dépose ses œufs par centaines dans une fente d’écorce sur une branche. Quand les œufs éclosent, les minuscules larves tombent par terre et s’enfouissent dans le sol. Elles ne verront pas la lumière du jour avant longtemps et passeront à travers de nombreuses mues avant d’atteindre l’âge adulte.
Il fait nuit maintenant, le chant des cigales s’est atténué peu à peu dans la vallée, par vagues successives, et fait maintenant place au bruit des animaux nocturnes, grillons, grenouilles et hiboux. Mais demain matin, nous serons sûrs d’entendre à nouveau le chant de cet insecte fascinant alors que le jour se lève !
