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L’origine des nuages

Avez-vous déjà regardé avec attention les nuages dans le ciel de Bali ? Ils ont toujours des formes étonnantes, on dirait un paysage des cieux. En particulier à l’heure du crépuscule, quand le ciel se teinte de rose-orangé et qu’ils se parent de reflets dorés. Il y aussi d’autres nuées, mais celles-là sont de sombres et irrespirables fumées. Alors, vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certains nuages sont blancs et d’autres noirs ? Si la science est votre seule réponse, permettez-moi de vous interrompre. Je vais vous dire un secret : il y a de la magie dans les nuages de Bali. Voici une histoire du passé, que tout le monde a oublié, mais qu’il est bon d’écouter.

Il était une fois une très belle dame qui vivait à Ubud. Elle était coquette et aimait se parer des plus beaux bijoux : elle portait des rubis aux oreilles, des émeraudes au cou, de l’or aux poignets… Elle avait même des saphirs au bout des doigts ! Sa beauté avait quelque chose de magique, pourtant elle avait un surnom affreux : Ibu Periuk, la mère chaudron, mais appelons-la Chaudrona. En effet, elle se baladait toujours avec un petit chaudron doré ! Était-elle bonne cuisinière ? Pas du tout, mais elle était un peu sorcière et avait des dons particuliers pour semer la zizanie. Ainsi, elle avait une passion étrange pour les ragots : d’abord, elle les écoutait, ensuite elle les déformait, puis les amplifiait, et enfin elle les répétait. Elle aimait tellement les rumeurs qu’elle avait l’air de s’en régaler avec avidité. Chaudrona se joignait discrètement aux conversations pour y récolter de nombreux ingrédients : des ambigüités, des commérages, des langues de vipères, de la fourberie… Elle conservait bien précieusement toutes ces informations et elle les mettait dans son petit chaudron doré. Puis, elle les cuisinait, et a l’issu d’un procédé ésotérique, elle parvenait à créer une soupe épouvantable, produisant une fumée épaisse qui empestait à des kilomètres à la ronde. Il s’agissait de sa spécialité : la rumeur qui sent mauvais.

Bien sûr, personne n’était au courant de cette activité, mais l’air en était parfois saturé. Cette fumée noire, vous l’avez sans doute déjà sentie à Bali : elle met tout le monde de mauvaise humeur, et impossible d’y échapper même en se bouchant le nez. Ainsi, les familles se brisaient, les couples se séparaient et les amis se disputaient lorsque Chaudrona lançait une rumeur. Mais pourquoi faisait-elle cela, n’avait-elle donc pas de cœur ? Elle n’était pourtant pas méchante, seulement, de peur de s’ennuyer, de ragots elle se délectait.

Un jour, Chaudrona cuisina une rumeur tellement épouvantable que l’air en devint irrespirable à Bali. Les nuages étaient si épais qu’on n’eut pas d’autre choix que d’en chercher la source. Dans cette histoire comme dans la vie de tous les jours, voici comment l’on se débarrasse des médisances : en interrogeant les gens un par un, jusqu’à trouver la sorcière qui les a inventées. Ainsi, on découvrit que la fumée venait de la maison de Chaudrona, et elle fut démasquée. Elle s’enfuit avec son chaudron, chassée par tous les habitants d’Ubud. Elle marcha pendant des jours et des jours dans la jungle, suffoquée par les effluves qui émanaient encore de sa marmite maudite. Elle ne brillait plus de mille feux malgré ses beaux bijoux, car une fois identifiée, la sorcière avait bien trop honte pour se pavaner… On n’entendit plus parler d’elle, mais elle continua à errer jusqu’à ce qu’elle atteigne le sommet du mont Agung. Là, elle put respirer de l’air frais pour la première fois et observer l’immense ciel de Bali. Elle était émue, perdue et ne savait plus quoi faire : commérer était sa seule activité, mais à quoi bon cuisiner des rumeurs quand on est seule ? Alors, elle se mit à préparer et à mijoter tout un tas d’ingrédients qu’il lui restait : des idées noires, de la mauvaise humeur, de la peine et de la rancœur… Son chaudron dégagea une odeur épouvantable, comme à l’accoutumée, mais petit à petit la couleur de la fumée changea. Finalement, après des jours, des semaines et des mois, de jolis nuages blancs commencèrent à émaner du chaudron. Elle en créa des centaines, des milliers, tous plus beaux les uns que les autres ! Elle était fière d’elle et remplissait chaque jour l’immense ciel de Bali de ces merveilleux nuages. Elle s’était créée un royaume vaporeux et blanc au sommet de la montagne, dans lequel elle vivait loin de tous.

Pendant ce temps-là, tout le monde savait qu’il s’agissait de l’œuvre de Chaudrona. On ne lui en voulait pas, et pour lui dire qu’on lui pardonnait ses bêtises, on eut l’idée de lancer dans le ciel des cerfs-volants colorés. C’était de toute beauté, mais jamais la sorcière ne revint à Ubud. Les années et les siècles ont passé et l’histoire de Chaudrona, comme toutes les rumeurs, s’est dissipée et a été oubliée. Mais la tradition des cerfs-volants est restée et quelque part au sommet de Bali, un chaudron continue de créer des nuages aux reflets dorés.

Texte et illustration de Kukukita, fait au crayon de couleurs et au vernis à ongle

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