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L’Indonésie est-elle de nouveau en proie au terrorisme ?

La découverte de ces bombes a été suivie les jours d’après par d’innombrables fausses alertes non seulement à Jakarta mais aussi dans de nombreuses autres villes de l’archipel, développant ce sentiment de peur, d’appréhension et d’insécurité dont les medias indonésiens ont abusé.

La faible puissance des engins incriminés laisse à penser que l’intention n’était pas réellement de tuer. Il s’agirait davantage d’une volonté d’attirer l’attention, de rappeler que l’Indonésie est une cible privilégiée du terrorisme et qu’elle y est vulnérable. Sur tous ces points, l’objectif a été atteint. L’intense médiatisation des événements, reposant sur la recherche et la surenchère permanente de sensationnel des chaines de télévision, souvent au détriment du factuel et de la pondération, y a largement contribué.

Les événements n’ont pas été revendiqués, et la police semble piétiner dans son enquête, laissant assez de place à chacun pour exprimer ses hypothèses. Comme souvent dans les pays à tradition musulmane, certains y ont vu la patte américaine. L’Oncle Sam a le dos large quand il s’agit de trouver un coupable. Abu Bakar Ba’asyir, (grand-) père des islamistes indonésiens et parfaite incarnation locale du Calimero qui n’aurait rien à voir avec les dérives de l’islam radical national, a quant à lui profité de ses procès et exposition médiatique actuels pour évoquer la piste du Détachement 88. Selon lui, l’unité anti-terroriste indonésienne souffrirait d’un manque d’opérations de terrain actuellement et aurait donc créé ces événements de toutes pièces pour ne pas paraître inutile.

Heureusement, des hypothèses plus crédibles circulent aussi. Les trois premières bombes ont été directement adressées à un activiste catholique très influent dans la lutte anti-terroriste ; un opposant au radicalisme religieux de descendance juive et un fervent avocat d’un islam modéré. Ces trois profils individuels correspondent davantage à des cibles potentielles pour les traditionnels réseaux islamistes. La Jemaah Islamyia (JI) aurait-elle dès lors à nouveau frappé ? Après les derniers attentats à Jakarta en 2009, ses capacités humaines, matérielles et financières ont été très sérieusement affectées. Il serait donc possible que, faute de pouvoir organiser des attaques de grande ampleur, la JI se soit retournée vers des opérations plus locales, plus accessibles et moins coûteuses. Cela aurait pour mérite d’entretenir l’idée de leur présence sans l’implication de coûts financiers et logistiques difficiles à assumer. Néanmoins, la JI a pour habitude de revendiquer ses actes.

Une autre hypothèse possible serait celle d’individus ou de petits groupes peu organisés mais qui se revendiquent de la Jemaah Islamyia, ont de l’admiration pour elle ou adhèrent à la même cause de création d’un Etat islamique en Asie du Sud-est. L’apparent manque de moyens et de cibles clairement établies apportent du crédit à cette thèse.
Parmi les autres potentialités suggérées ici ou là apparaissent les communautés déjà impliquées dans le passé dans des conflits religieux à Poso, ou des groupes qui souhaiteraient voir le président Yudhoyono être renversé avant la fin de son mandat. Bien que ne pouvant être complètement dénigrées, ces hypothèses semblent peu probables au regard
des faits.

Une autre théorie s’est fait jour dans la foulée des précédentes. Un responsable de la Commission indonésienne pour les personnes disparues et les victimes de violence (Kontras) s’est étonné de voir ces attaques à la bombe avoir lieu juste après le scandale des câbles diplomatiques américains récupérés par Wikileaks et révélés par des journaux australiens. Des câbles évoquant l’intervention du président Yudhoyono dans des faits de justice, l’enrichissement de certains de ses proches sous sa présidence ou l’utilisation des services de renseignement à des fins politiques. D’après cette théorie, la coïncidence entre les événements serait troublante et pourrait avoir été créée afin de détourner l’attention publique des révélations liées au président. Soyons clairs : cette hypothèse est fortement improbable et serait un véritable séisme au sommet de l’Etat. Et parlant de séisme, la catastrophe au Japon a suffisamment monopolisé l’antenne pour soustraire les Wikileaks à l’attention du public. Néanmoins ce qui est intéressant est qu’un nombre non négligeable d’Indonésiens jugent cela possible au regard de leurs récentes réactions dans la presse, les forums Internet ou autres réseaux sociaux. Cela en dit long sur l’exaspération d’une certaine classe indonésienne, moyenne ou supérieure et éduquée, quant aux inconsistances de leurs gouvernants, au premier rang desquels le président.

Comme pour plusieurs récents événements lies aux atteintes à la liberté de culte, pourtant inscrite dans la Constitution, aucun suspect n’a été formellement identifié dans ces attaques à la bombe qui portent pourtant le sceau des conflits religieux. Cette situation devenue récurrente est une preuve supplémentaire du manque d’attachement du gouvernement indonésien au concept de pluralisme religieux. C’est également une incitation voilée à continuer en cette voie pour tous ceux que la différence et la diversité dérangent.

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