C’est probablement l’exemple le plus frappant : bien que ne s’étant plus jamais qualifiée pour une Coupe du Monde de football depuis 1938 sous le nom des Indes néerlandaises, et bien qu’étant déjà hors course pour une qualification à la prochaine Coupe d’Asie des Nations, le plus grand tournoi régional, l’Indonésie souhaite faire acte de candidature pour organiser la Coupe du Monde 2022. Une utopie qui illustre les problèmes de management du sport en Indonésie. Comment une fédération minée par l’absence totale de résultats sur la scène internationale, la violence de supporters, des infrastructures vétustes et insuffisantes et la réélection de son président alors même que celui-ci purgeait une peine de prison pour corruption, peut-elle sérieusement envisager de devenir l’hôte d’un des plus grands événements qui existe ?
Le football, sport le plus populaire, est un bel exemple, mais loin d’être le seul. Autrefois place forte du badminton, l’Indonésie a perdu de sa superbe, régulièrement devancée par la Chine, la Corée du Sud ou la Malaisie dans les grandes compétitions. Pire, les meilleurs athlètes quittent le giron de la fédération pour des structures privées leur offrant plus de libertés et un accès direct
aux sponsors.
Le tennis ou le golf vivent également dans l’absence de résultats, comme la très grande majorité des sports. Certaines réussites individuelles méritent tout de même d’être relevées, comme celle du champion du monde de boxe Chris John. Mais celui-ci est entraîné dans une structure australienne par une équipe australienne, et se plaint régulièrement du manque de soutien de son pays. Rory Hie est un autre de ces talents. Le jeune golfeur est un véritable espoir, mais il a passé une bonne partie de sa jeunesse aux Etats-Unis, où il a été le meilleur amateur, une grande réussite.
Les dirigeants indonésiens mettent souvent en avant le manque de moyens financiers pour expliquer la crise de résultats des athlètes, toutes disciplines confondues. Mais savent-ils ce que leur coûterait l’organisation d’une Coupe du Monde de football, à laquelle ils aspirent, en termes de stades, infrastructures routières ou hôtelières ? La même fédération de football a envoyé pendant plusieurs mois ses jeunes en Uruguay pour les préparer aux Jeux du Sud-Est asiatique. Cela a un prix. Le résultat ? Une élimination sans gloire dès le premier tour.
La première décision à prendre serait certainement de confier le ministère des Sports et les présidences de fédérations à des individus qui connaissent le sport et ont intérêt à son développement. L’entourage du ministre des Sports actuel, quand certains se sont étonnés de sa nomination il y a quelques mois, a expliqué sans rire que celui-ci était un bon joueur de tennis, donc légitime… Trop d’anciens généraux ou de gouverneurs sont également à la tête de fédérations sportives, donnant l’impression de se servir de ces postes pour satisfaire leur ego ou leur image bien plus que pour servir les intérêts
des sportifs.
L’argent dépensé par le gouvernement et les fédérations présenterait certainement un meilleur retour sur investissement s’il était utilisé pour le développement d’une discipline plutôt que pour la seule préparation de la prochaine compétition à venir. Le pays manque d’une réflexion à long terme qui permettrait de détecter, former et accompagner les sportifs et ainsi de pérenniser les résultats et la présence dans l’élite de nombreux athlètes. Le plus grand archipel du monde regorge forcément de talents. Mais comment un jeune potentiellement doué de Papouasie, des Moluques ou de Sumbawa est-il repéré ? Le gouvernement devrait créer un système de détection de talents avec des ramifications sur tout le territoire. Ces talents ainsi repérés pourraient alors rejoindre un centre sportif national d’élite doté d’installations modernes et scientifiques qui, lui, serait installé près de Jakarta pour des raisons de facilité et d’efficacité.
Des pays comme la Chine ont pendant longtemps fait venir des entraîneurs européens pour développer certaines disciplines dans leur pays. Il n’y a pas de honte à aller chercher les compétences et l’expérience là où elles sont. Cela permet de structurer un sport et de former des entraîneurs locaux amenés à prendre la suite de ces entraîneurs étrangers quand leur mission est accomplie. Ce sont des démarches qui nécessitent du temps, mais si cette réflexion avait eu lieu il y a vingt ans, l’Indonésie compterait probablement plus de sportifs de haut niveau dans plusieurs disciplines actuellement, au plus grand bonheur des Indonésiens et de leur immense fierté nationale.
Si l’argent est évidemment un des nerfs de cette guerre, pourquoi dès lors ne pas essayer de développer des partenariats avec le privé ? Les grandes entreprises indonésiennes ou étrangères implantées dans le pays, qui dépensent beaucoup pour leur publicité, trouveraient ainsi un formidable vecteur de communication. On ne compte plus les multinationales investissant dans le sport pour leur image. Etre associé à un athlète ou à un sport performant est incontestablement un des meilleurs moyens de communication auprès de potentiels clients, améliorant image et reconnaissance d’une marque, sans oublier la participation à un effort national. Paradoxe typiquement indonésien, seules les marques de cigarettes locales sponsorisent des événements sportifs, en tout premier lieu le championnat national de football…
Récemment le président Yudhoyono s’est inquiété de l’absence de résultats sportifs de l’Indonésie. Une volonté politique étant nécessairement le point de départ de ces réformes, il est à souhaiter que le gouvernement prenne conscience de l’importance du sport dans la société. Cela placerait encore davantage l’Indonésie sur la carte des pays qui comptent.