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L’incendie, cette catastrophe si ordinaire…

Trois pans de mur et un tas de gravats : c’est tout ce qui reste de la maison d’Ibu Tati. D’une voix monocorde, elle raconte comment elle a été réveillée par les cris des voisins, comment elle a couru, suivi le mouvement : « Je voulais revenir en arrière mais le feu était beaucoup trop fort ». Ses enfants dormaient dans la maison d’en face, chez sa sœur, qui renchérit, volubile : « quelle panique ! ». L’incendie s’est arrêté là. La famille se serre dans la pièce du fond avec ce qui a pu être sauvé des meubles. La façade et l’avant du toit sont remplacés par une bâche de plastique bleu. Il n’y a pas eu de victime, seulement un blessé léger, qui est tombé du toit en essayant de combattre le feu. Ibu Tati a finalement retrouvé ses enfants. C’était il y a cinq jours. Elle n’a pas un geste, pas un sourire. Les larmes aux yeux, elle serre contre elle le petit dernier, qui pleurniche parce qu’il veut se laver. Elle regarde les débris, un bout de ventilateur, des choses impossibles à identifier. « On ne sait pas ce qu’on va devenir », dit Pak Asra, le responsable du quartier. De sa maison, tout près du départ de l’incendie, il ne reste, là aussi, que trois pans de mur et un tas de gravats. Il a installé son « bureau » devant la mosquée, intacte. « Comment les gens vont-ils pouvoir s’en sortir, économiquement et aussi moralement, psychologiquement ? », ajoute-t-il.

Tanah Abang se trouve à deux pas du quartier officiel, monument national, palais présidentiel, musées. En contrebas d’une voie rapide, séparée du canal par un terrain de sport, la rue principale du kampung est à peine assez large pour le passage d’une voiture ; les maisons sont serrées les unes contre les autres, entrecroisées de ruelles minuscules, avec leur canal d’évacuation central. Des constructions « semi-permanentes », comme on dit : rez-de-chaussée en briques, étages et dépendances en bois. Le feu a pris vers 23h30. Une histoire idiote : un enfant seul à l’étage, une bougie renversée, la mère qui s’en aperçoit trop tard, ne parvient pas à maîtriser les flammes, appelle au secours. Pas d’eau : plaie chronique de la capitale, le réseau municipal est en panne. Pas de lumière : l’électricité a été coupée de suite. C’est Pak Asra qui est allé prévenir la mairie et la caserne centrale des pompiers, à dix minutes de là, en moto. Le téléphone ? « Je suis allé là-bas directement », répète-t-il. Les pompiers sont arrivés assez vite, mais les deux premières citernes étaient vides, et l’engin de pompage ne marchait pas, disent les habitants.

« Absolument impossible », protestent énergiquement les pompiers, chez qui l’alerte est enregistrée à 23h55. « Mais une citerne de 4000 litres se vide en 8 minutes », précise Sutrisno, le responsable de la base. Tanah Abang, c’est 5 lignes de rapport, une catastrophe ordinaire. Pour Sutrisno et son second Warsudi, les incendies criminels ne représenteraient que 10% des cas, bien que la rumeur les évoque régulièrement, étant donné l’imbroglio cadastral et l’appétit des promoteurs. Mais la plupart sont dus à des « faiblesses humaines », au « manque de connaissances » de la population, à des courts-circuits liés au mauvais état des équipement électriques… Et de détailler le matériel disponible, du standard unique (le 113) aux bornes d’alarme progressivement installées dans les quartiers, « pas encore assez nombreuses », déplore-t-il. Fonctionnaires civils (c’est-à-dire peu payés), les pompiers de Jakarta sont recrutés par concours et reçoivent une formation de 3 mois, réactualisée deux fois par an. Il y a une caserne par wilaya (Nord, Sud, Centre, Est et Ouest) et quelques bases plus petites, qui ne disposent que d’un ou deux véhicules. Au total, entre 100 et 130 équipages de 6 personnes, un délai moyen d’intervention de 12 minutes, pour à peu près 700 sorties par an. Surtout en saison sèche. Surtout pendant le mois de Ramadan, car « les gens sont nerveux, leurs activités sont perturbées, il y a davantage de problèmes la nuit ». Il n’est pas encore 14 heures et les pompiers sont déjà sortis deux fois.

A Tanah Abang, 28 camions citernes se sont relayés jusqu’à trois heures du matin. Dès 4h, la Croix Rouge installait son poste de soins (beaucoup de consultations ophtalmologiques) et deux citernes d’eau. Le maire arrivait avec de la nourriture, des vêtements, des tikar (nattes). L’armée a aidé à déblayer les décombres et à installer les grandes tentes fournies par le Service social… pour les nouveaux arrivants. En effet, « les deux tiers des maisons étaient vides et fermées, les gens étaient en vacances de Lebaran », raconte Pak Asra. Ainsi cette dame, dont quatre des cinq frères et soeurs habitent le quartier, et qui se trouvait à Bogor. Prévenue par téléphone, elle a trouvé une voiture et a pu arriver vers deux heures du matin… pour voir le brasier à son maximum. « Nous n’avons que les vêtements que nous portions. On n’a rien pu sauver, rien. Heureusement qu’il y a ce terrain de sport, on serait allés où ? ». Ils sont une soixantaine sous cette tente, « mais l’aide est suffisante », dit-elle. Le petit-déjeuner est fourni par le PKS (Parti de la justice sociale), le déjeuner par la Croix-Rouge et le dîner par la mairie… Jusqu’à demain. Le poste de santé a fermé, on tape le carton sous la tente de la Croix-Rouge.

« On attend la décision des autorités », soupire Pak Asra. « Les habitants ici sont ouvriers ou petits commerçants, ils n’ont pas d’assurance, bien sûr. Et pas d’argent. » La plupart ont perdu leurs titres de propriété dans l’incendie. Et surtout, les matériaux coûtent cher. « Si on avait le matériel, on reconstruirait nous-mêmes. » Ce soir on installera une nouvelle grande tente, à cause de la promiscuité. Demain lundi, les parents se rendront en délégation à l’école pour tenter de faire admettre leurs enfants sans cartable et sans uniforme. Et après-demain ?

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