Accueil Histoire

L’expédition à Sumatra et à Java de Charles Henri, Comte d’Estaing

Charles Henri d’Estaing naquit le 24 novembre 1729 à Ravel en Auvergne. Il fut élevé avec le Dauphin, fils de Louis XV jusqu’en 1744, date de la disgrâce de leur précepteur commun, le duc de Chatillon. Il entra aux mousquetaires à neuf ans.
Il participa vaillamment à plusieurs batailles en Europe, notamment en 1748 au siège de Maestricht où il fut blessé. Ayant soif de grandes aventures, il s’embarqua sur le Zodiaque pour les Indes où il guerroya aux cotés de Lally-Tollendal. Blessé à Madras et renversé sous son cheval, il fut fait prisonnier des Anglais qui le libérèrent en 1750. En 1759, on le retrouve sur la côte d’Arabie, où il pourchasse des convois arabes, et il poursuit sa route jusque dans les îles de la Sonde. En 1760, repris par les Anglais, il est libéré sur parole par le Roi d’Angleterre. En 1762, il est nommé lieutenant général des armées navales, puis vice-amiral en 1777. Il participe à la guerre d’indépendance américaine. Il prend l’île de la Grenade le 4 juillet 1779 et met le siège devant Savannah. Lors de ses dernières campagnes, il comptait Bougainville dans ses officiers. L’année 1780 marque la fin des grandes aventures militaires, mais il recevra douze ans plus tard le titre d’amiral de France. Pris dans la tourmente révolutionnaire, il périt sur l’échafaud le 28 avril 1794. Devant le tribunal révolutionnaire, il avait lancé à Fouquier Tinville :

« Quand vous aurez fait tomber ma tête, envoyez là aux Anglais, ils vous la paieront cher. »

Après une navigation de plusieurs mois à partir du golfe du Bengale, les deux navires du comte d’Estaing, à court de « rafraîchissements » (légumes, viande fraîche et pain frais, eau douce, bois à feu…) et avec un équipage éprouvé par le scorbut, renonce à se diriger vers le détroit de la Sonde, pour accoster à Sumatra le 4 février 1760, face au comptoir hollandais d’Ayerbongy. Il décide alors d’attaquer les nombreux établissements anglais de la côte ouest de Sumatra : le fort de Natal défendu par quarante Européens et soixante Noirs servant dix-huit canons est le premier à tomber. Le comte d’Estaing remonte la côte vers le nord et attaque le fort anglais de Tappanoly, défendu par quatre-vingts Européens, autant d’Arabes et plus de deux-cents Malais, ou Batta, armés de fusils et qui, depuis une vingtaine d’années, permettait aux Anglais de contrôler le commerce de la poudre d’or, du camphre et du benjoin.

La garnison est dispersée, les Français ont trente tués ou blessés et découvrent en cherchant dans les bois et les maisons les cadavres d’Anglais que les Batta, nation anthropophage, avaient vraisemblablement achevés puis mis dans le sel pour les manger plus à loisir. Selon la « Géographie universelle » de Malte-Brun (1865), les Batta sont anthropophages dans des cas déterminés par la loi, c’est-à-dire qu’ils mangent la chair des criminels et celle des prisonniers de guerre trop grièvement blessés pour être vendus. Jadis, il était dans l’usage de manger leurs parents devenus vieux… Le fort de Tappalony fut détruit et l’artillerie jetée à la mer.

Le 8 mars 1760, les bateaux français appareillent pour Padang, important comptoir hollandais où ils arrivèrent le 13, puis font route vers Bencoulen, défendu par les remparts du fort des Anglais de Marlbourough, occupé par deux mille hommes dont deux cents Européens et contre lesquels ils tirent plus de huit cents coups de canon. La plupart des défenseurs européens sont faits prisonniers. Un navire de la Compagnie des Indes d’Angleterre, le Denham, qui chargeait du poivre, est coulé. Le 19 avril 1760, d’Estaing arrive à Croéé, établissement anglais le plus au sud de la côte ouest de Sumatra. Les Anglais brûlent leurs magasins à l’arrivée des Français qui trouvent un fort vide et saboté. Enfin, la frégate française remonte vers le nord et attaque le 10 mai une garnison de 40 hommes gardant le fort de Mocomoco.

En résumé, avec cent cinquante hommes de troupe, d’Estaing était arrivé à annihiler tous les établissements anglais de la côte ouest de Sumatra en mettant en déroute quatre cents soldats anglais et un grand nombre de supplétifs et en capturant cinquante tonnes de poivre. De Juin à août 1760, d’Estaing rejoint Batavia pour faire radouber la frégate et tenter (sans résultat) de faire acheter par les Hollandais tous les forts qui avaient été pris. Malgré tout, et après plusieurs mois de campagnes, quasiment tous les officiers français sont mourants, « les Chinoises et les Malaises y ayant autant contribué que le climat ». Le retour commence en mars 1761 et d’Estaing est quasiment le seul à arriver debout à Fort-de-France, le reste de l’équipage étant dévoré par le scorbut. Le bateau du comte d’Estaing repart de l’Ile de France le 5 septembre pour arriver le 27 décembre au large des côtes de Bretagne. Mais il est capturé à l’île de Croix par un navire anglais qui le conduit à Plymouth où il est fait prisonnier. L’amiral d’Estaing séjourne malgré tout à Londres en totale liberté. Enfin, il rejoint Calais le 25 février 1762.

Extrait de « Les Français et l’Indonésie », éd. Kailash

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here