C’est la période la plus anticipée de l’année pour les plus de 200 millions d’Indonésiens de confession musulmane. Le mois du Ramadan vient de débuter et s’achèvera fin juillet avec la grande migration de Lebaran. Avec lui, de nombreux pans de l’économie indonésienne s’en trouvent bouleversés tous les ans pour plusieurs semaines.
Les musulmans considèrent le Ramadan comme une période pendant laquelle dieu leur offre pitié, cadeaux et pardon. Une période où les nombreux sacrifices et prières seront récompensés par le pardon des péchés. Ne pas boire, ni manger, ni fumer; ne pas avoir de relations sexuelles ni se complaire dans la rumeur pendant un mois, du lever du jour jusqu’au coucher du soleil. Tout cela s’apparente à une charge lourde pour beaucoup, davantage encore dans un pays tropical comme l’Indonésie. Malgré cela et les regrets de certaines autorités religieuses devant la commercialisation croissante d’une période éminemment pieuse basée sur le sacrifice de soi, pour beaucoup le Ramadan reste surtout une période économiquement bénie.
A travers tout l’Archipel comme dans l’ensemble du monde musulman, commerçants, restaurateurs et autres compagnies de transport observent une forte hausse de leurs ventes pendant le Ramadan et au moment des vacances d’Idul Fitri, qui marquent la fin du mois de jeûne. C’est en effet à ce moment que les travailleurs migrants retournent vers leurs villes d’origine, dans une massive migration nationale que seules les célébrations du Nouvel An lunaire en Chine peuvent dépasser. Cet exode annuel est une aubaine pour les hôtels de luxe voyant débarquer les riches Indonésiens qui peinent à envisager leur quotidien sans employés de maison ou chauffeurs pour quelques jours. Dans les centres commerciaux du pays, si les journées sont calmes pendant le jeûne, quand chacun essaye de limiter ses déplacements au maximum pour économiser de l’énergie, les soirées sont un feu d’artifice de consommateurs à la recherche des meilleurs offres et soldes qui pullulent à cette période.
Dans le passé, les boissons sucrées et autres snacks étaient de loin les produits les plus vendus pendant le Ramadan. Tout cela a évolué avec la soif consommatrice des Indonésiens. La toujours plus nombreuse classe moyenne locale préfère désormais partager son premier repas au restaurant. Elle veut aussi de nouvelles voitures, ou motos, ou téléphones pour impressionner la famille lors du retour à la maison pour Lebaran. L’important est de pouvoir exhiber quelque chose de nouveau indiquant (ou simulant) un nouveau départ. Les commerçants spécialisés en téléphones portables ont ainsi remarqué une tendance récente : si leurs ventes augmentent très largement avant Lebaran, ils ont aussi observé que beaucoup des nouveaux acheteurs revendaient leur nouveau téléphone après la fin des vacances pour revenir à des modèles plus en adéquation avec leur véritable pouvoir d’achat.
Yongky Susilo, analyste chez Nielsen, explique que toutes ces dépenses sont favorisées par l’obligation légale faite aux employeurs d’accorder un bonus d’un mois de salaire supplémentaire à leurs employés au moment de ces vacances religieuses. « Les dépenses en maquillage et en crèmes blanchissantes explosent la dernière semaine du Ramadan quand les femmes ne veulent rien laisser au hasard avant leur retour à la maison, affirme t-il. Et des que le Ramadan se termine les ventes de cigarettes, de préservatifs et d’aphrodisiaques explosent également alors que les interdits sautent. Les gens ont tendance à dépenser la totalité de leur bonus annuel parce qu’ils considèrent qu’une fois le jeûne terminé, ils ont le droit de prendre du bon temps. »
La situation économique indonésienne liée au Ramadan est donc pour le moins paradoxale. Les Indonésiens ne dépensent jamais plus en nourriture et autres que lors de ce moment de jeûne et de sacrifice personnel. Au même moment, alors que leur productivité y est au plus bas, c’est la période pendant laquelle ils bénéficient de leur plus grand pouvoir d’achat. Des paradoxes finalement bien à l’image de la complexité de l’Archipel.