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KITAS : L’INDONESIE COINCEE ENTRE PROTECTIONNISME ET BESOIN DE COMPETENCES

Il s’agit de la bonne nouvelle du mois dernier pour la communauté étrangère résidant en Indonésie, le président Joko « Jokowi » Widodo souhaite une simplification de la procédure de délivrance du permis de travail dans le pays (que tout le monde appelle de façon erronée : KITAS). Sans doute agacé par la lenteur des investissements étrangers depuis qu’il a lancé sa vaste campagne de développement des infrastructures, le président indonésien a également récemment « grondé » les services de l’immigration et le ministère de l’Emploi pour faire trop souvent des contrôles inopinés dans les entreprises qui utilisent de la main d’œuvre étrangère. Selon lui, cela créé un climat d’insécurité parmi cette force de travail et ne facilite pas l’embauche d’un personnel qualifié dont le pays a crucialement besoin en ce moment. Détaillons alors cette simplification de la procédure et rappelons aussi son durcissement précédent qui s’était produit justement pendant la première partie du terme… Jokowi.

En février dernier, lorsqu’il avait commencé à émettre l’idée, le président avait même dit que si les services concernés n’étaient pas capables de simplifier rapidement la procédure, il le ferait lui-même par décret. C’est dire l’urgence de faire venir des compétences au moment où la nation entière s’est transformée en vaste chantier et où le taux de croissance navigue sereinement à 5%, quasiment tous les secteurs de l’économie étant au vert. Selon le règlement actuel, une entreprise qui souhaite employer un étranger doit fournir et faire valider de nombreux documents, tous dans le plus pur style administratif kafkaïen. A savoir une description du poste (RPTKA), une recommandation du département de l’emploi (IMTA), un visa de séjour temporaire (VITAS), un permis de séjour temporaire (KITAS), un certificat de rapport de police (STM), un certificat de résidence (SKTT), une lettre d’information sur le résident étranger temporaire (SKKPS), un rapport de présence (LAKEB) et un permis de sortie et réentrée multiples…

Jokowi a demandé que tous les ministères concernés par l’emploi de main d’œuvre étrangère travaillent sur cette simplification. Il s’agit des ministères de la Justice et des Droits Humains, de l’Emploi, du Commerce, de l’Industrie, de la Pêche et des Affaires maritimes et de l’Energie. « Je le veux simplifié, je le veux aussi en ligne et voir des procédures intégrées entre le ministère de l’Emploi et le directorat général de l’Immigration », a martelé le président en conseil des ministres le mois dernier. Quant aux raids effectués à l’encontre des travailleurs étrangers, le président a commenté de la façon suivante : « J’ai des rapports selon lesquels les entrepreneurs qui emploient des étrangers sont souvent perturbés et ennuyés par des contrôles. Le ministère opère de son côté et l’immigration aussi, créant des raids incessants, contrôle et supervision doivent être coordonnés. » De sources officielles, il semblerait que plusieurs documents pourraient être bientôt supprimés, comme les RPTKA et IMTA. Et la procédure ne serait que du ressort du ministère de l’Emploi.

L’Indonésie a besoin de vous !
Les autres ministères devront aussi simplifier et rationnaliser les conditions. Par exemple, dans le secteur de l’énergie, il est écrit que le permis de travail ne peut être délivré qu’à des personnes entre 35 et 55 ans. « Cela n’a aucun sens, il y a des gens compétents en dehors de ces tranches d’âge », a expliqué le ministre de l’Emploi Hanif Dhakiri. Bien évidemment, le personnel souhaité doit être qualifié dans des domaines où l’Indonésie a des besoins. Sur ce sujet, rien n’a changé, il reste évidemment hors de question d’importer de la main d’œuvre de chantier ou non qualifiée car elle est abondante ici. Le secrétaire de cabinet du président, Pramono Anung, a lui résumé en une phrase ce changement soudain de disposition gouvernementale à l’égard des travailleurs étrangers : « Parce que nous ne devrions pas compliquer les choses pour les investissements, ni pour les gens qui viennent travailler dans cette république. » Dont acte.

Si l’Indonésie se préoccupe enfin sérieusement de son classement dans l’Indice de facilité de faire des affaires publié chaque année, il faut en donner tout le crédit au président indonésien et au vice-président Jusuf Kalla, qui ont manifesté récemment encore leur déception devant les chiffres de l’investissement étranger dans le pays. Mais celui qui a tiré la sonnette d’alarme, c’est Thomas Lembong, patron de l’organe de coordination des investissements (BKPM). Selon lui, de nombreux investisseurs ont fait l’expérience d’obstacles en Indonésie et ont ainsi décidé de suspendre, ou d’annuler tout simplement, leurs promesses d’investissement. Un total de 190 cas a été répertorié entre 2010 et 2017. Le manque à gagner s’élève à plus de 26 milliards de dollars d’investissements domestiques et à plus de 54 milliards de dollars en investissements directs étrangers (cf. Bali-Gazette février 2018). L’investissement étranger en Indonésie n’a cru que de 10% en 2017 alors que dans certains pays voisins, il a atteint de 30 à 40%. « Cela est inacceptable pour le président et le vice-président. Nous devons être compétitifs », a justifié Thomas Lembong le mois dernier.

Réflexe xénophobe, surtout quand l’étranger est chinois…
Alors, devant ces chiffres décevants, qui minorent les objectifs de développement de l’Archipel dont il s’est fait le champion, le président Jokowi n’a jamais semblé à court d’arguments pour convaincre ces dernières semaines. Il est vrai que l’an prochain sera électoral et si le bilan de la présidence Jokowi pour la modernisation du pays est sans précédent, il reste néanmoins en dessous des objectifs affichés et ses adversaires politiques ne manqueront de le lui rappeler. Le président explique donc en ce moment que l’Indonésie est enfin entrée dans l’ère de la globalisation et que « le marché du travail est ouvert entre tous les pays. » Et si l’Archipel envoie de la main d’œuvre dans de nombreux pays, il devrait aussi être en mesure d’accueillir des travailleurs étrangers avec les qualifications nécessaires pour les projets d’investissement requis.

Un pas en avant, deux pas en arrière ? Si aujourd’hui, les travailleurs étrangers semblent aussi désirés, à tel point qu’on va faciliter leur accès au marché du travail indonésien, il faut néanmoins se souvenir qu’en 2015-2016, au début du terme Jokowi, un soudain durcissement des conditions d’embauche des étrangers avait fait l’effet d’une douche froide. Le gouvernement du premier président élu issu de la société civile et porte-drapeau d’une Indonésie moderne inscrite sur la scène internationale avait contre toute attente compliqué les choses pour les travailleurs étrangers. En ce sens, le pays semblait céder (encore) à ses vieilles lubies protectionnistes et nationalistes et le Big Bang de la libéralisation de l’économie promis par Jokowi se transformait en pétard mouillé. Des idées aussi farfelues que d’imposer un examen de bahasa Indonesia avant embauche ou l’obligation d’employer 10 travailleurs locaux pour un étranger avaient vu le jour, avant d’être abandonnées, laissant un sentiment d’amateurisme peu favorable aux investissements.

Sans parler des intox auxquelles les Indonésiens semblent toujours mordre sans le moindre doute et qui avaient fait état à l’époque d’une « invasion » du marché du travail indonésien par les étrangers, surtout par les Chinois. Le bruit s’était répandu sur les réseaux sociaux que depuis l’arrivée de Jokowi au pouvoir, l’Indonésie avait accueilli quelque 10 millions de travailleurs chinois. Et il n’en faut déjà pas beaucoup pour déclencher une réaction raciste et identitaire parmi la population indonésienne… alors, ces 10 millions de Chinois avaient provoqué la colère du président, qui s’était débattu quasiment seul pour rétablir la vérité sur les chiffres, houspillant la police afin qu’elle trouve et arrête les propagateurs de ces intox en ligne. La vérité sur les travailleurs étrangers en Indonésie est tout autre. Leur nombre ne représente que 0,05% du total de la population, soit 126 000 personnes. Essentiellement de Chine, du Japon, de Singapour, de Malaisie et des Etats-Unis. Quant aux Chinois, malgré leur première place, ils ne sont que 21 000. En comparaison, la cité-Etat de Singapour avait 187 900 travailleurs étrangers en 2015, pour une population de 5,6 millions d’habitants. Alors, l’Indonésie est-elle envahie par les travailleurs étrangers ? C’est peut-être ce qui va se dire à nouveau quand les mesures d’assouplissement du KITAS seront passées.

 

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