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JULIA PEREZ : ET DIEU CREA LA FEMME LIBRE INDONESIENNE…

Malheureusement, dieu a eu la mauvaise idée de la rappeler à lui le mois dernier. Yuli Rachmawati est morte le 10 juin d’un cancer du col de l’utérus à l’âge de 36 ans et le symbole étincelant de la femme libre indonésienne n’est plus. Chanteuse, actrice, mannequin, présentatrice, celle qui était plus connue sous le nom de Julia Perez, ou Jupe pour ses fans, a porté durant toute sa carrière de personnalité publique la bannière flamboyante de la femme indonésienne moderne, libre et rebelle. En ces temps de montée de la bigoterie et du conservatisme, essayons de comprendre pourquoi cette Jakartanaise plutôt douée pour la provoc’ était essentielle à l’Indonésie d’aujourd’hui…

Julia Perez a finalement perdu la bataille de 3 ans qu’elle a menée contre son cancer. Le sex symbol n°1 de l’Indonésie, reine incontestée de la résistance contre cet obscurantisme qui drape progressivement les mœurs du pays sous un voile importé du Moyen-Orient, est décédé d’un cancer du col de l’utérus qui s’est déclaré à la suite d’une infection par le papillomavirus (HPV), un virus sexuellement transmissible. Au-delà du symbole de cette disparition, qui fera dire inéluctablement aux bigots confortés dans leur rigorisme moral qu’elle avait des mœurs légères, il est bon de rappeler qu’il existe un vaccin contre ce virus. Malheureusement, sans éducation sexuelle à l’école, ni campagne d’information officielle sur la sexualité, beaucoup de femmes restent simplement ignorantes de certaines précautions élémentaires. Sans parler du paradoxe selon lequel l’avènement de la démocratie a renforcé le tabou sexuel en Indonésie au lieu de le diminuer, la parole publique étant monopolisée par les bien-pensants, garants de la moralité et de l’adhésion religieuse, envahisseurs patentés de tous les moyens de communication disponibles.

C’est durant ces années de glissement vers la pudibonderie que Julia Perez, ainsi rebaptisée du nom de son premier mari, Damien Perez, un Français, a mené sa carrière. En totale opposition, en femme libre, en provocatrice, avec beaucoup d’intelligence et d’à-propos. Elle défraiera la chronique dès le début des années 2000 dans différents soap opéras locaux (sinetron) dans lesquels elle incarnait la bombe de service au langage fleuri. Sélectionnée parmi les 100 femmes les plus sexy au monde par le magazine de charme FHM, elle a eu aussi une longue carrière de modèle peu vêtu qui enragera les organisations musulmanes du pays, du Conseil des oulémas indonésiens (MUI) aux voyous du FPI, ces gardiens musclés de la morale musulmane. En plein passage de la très stricte loi anti-pornographie, elle les affrontera les uns et les autres avec force et humour, sans jamais céder sur ses principes de femme libre et indépendante, leur opposant qu’elle était naturellement sexy et qu’elle n’y pouvait rien changer.

Elle préfère le 69
Egalement présentatrice de talkshows, toujours en deuxième partie de soirée en raison des sujets scabreux abordés (un type d’émissions aujourd’hui complètement disparu), elle aura évidemment maille à partir avec la censure (KPI) télévisuelle. Quand ce n’est pas sur les sujets de discussion, c’est sur ses tenues. Déguisée en dominatrice tout de cuir vêtue, fouet à la main, elle mène des interviews sans tabous avec ses invités. D’autre fois, les décolletés plongeant révélant sa forte poitrine sont décidément too much pour les membres de la commission ! Depuis, ils ont d’ailleurs répandu la censure par floutage et ils ne s’en privent pas. Même Ariel, la petite sirène de Disney en fait les frais ! Et quand Jupe chante – c’est aussi une star de dangdut – les titres de ses chansons ne laissent aucune ambiguïté. Voir « Belah duren », ou « fendre le durian », en français, une expression argotique qui désigne le dépucelage féminin. Sans oublier cet autre tube : « Jupe paling suka 69 », « Jupe préfère le 69 », sans commentaire… Des ritournelles qui finiront censurées sur les télés et les radios mais feront des cartons sur YouTube. Son premier album, dûment nommé « Kamasutra », incluait un préservatif dans la pochette.

Et quand elle a promis à ses fans qu’elle ferait du pole dancing à un feu rouge de Kuningan, en plein Jakarta, le jour où elle aurait 1 million de followers sur Twitter, elle a tenu parole. Toutefois, comme cela tombait en plein ramadan, elle a limité l’audace de sa tenue à un simple décolleté. En 2013, devenue ambassadrice du préservatif pour l’Indonésie, elle devait animer une semaine de sensibilisation au safe sex dans le pays. Malheureusement pour la prévention du sida, qui augmente toujours en Indonésie, les conservateurs musulmans ont eu la peau de l’événement qui a été annulé à la dernière minute. Julia Perez a également tourné dans une vingtaine de films. Des productions locales, le plus souvent des films d’horreurs, un genre dont les Indonésiens sont friands, où elle apparait évidement en créature sexy et souvent maléfique. Julia n’était pas le genre de nunuche à jouer les victimes !

Personne n’a l’envergure pour lui succéder
Certes, Julia Perez n’est pas la seule sex bomb d’Indonésie. Il y en a eu par le passé, comme Eva Aznar (années 80) ou Inneke Koesherawaty (années 90), aujourd’hui couvertes de la tête aux pieds et repentantes à la mode muslimah, elles ne s’exhibent plus, comme on dit ici (tutup aurat). Etonnamment, sa grande rivale Dewi Perssik semble être rentrée dans le rang et ne fait plus parler d’elle. Et on imagine mal Nikita Mirzani avoir l’envergure pour lui succéder malgré ses frasques régulières. Julia Perez va donc manquer à une certaine idée de l’Indonésie et sa disparition va se faire cruellement sentir dans un paysage public de plus en plus puritain où la jeune femme qui se doit d’être « bien comme il faut » n’y exprime en général que des banalités consensuelles.

Il est clair que l’émancipation de la femme est ici un vœu pieux, ou au mieux une attitude politiquement correcte confite dans l’hypocrisie. Qui plus est à une époque de retour de la morale. Et bien sûr, ne parlons pas de la sexualité des femmes car c’est ouvrir la porte au diable ! Dans ce climat inquiétant pour l’avenir de la démocratie, la liberté d’expression ou encore la liberté d’être dans l’Archipel, la disparition tragique de cette Indonésienne libérée va se faire lourdement sentir. Elle a cependant donné l’occasion à un de ses amis, le présentateur télé Deddy Corbuzier, de pousser un grand coup de gueule. Il a rappelé qu’il y avait un vaccin contre le papillomavirus et qu’il était inadmissible d’en mourir à notre époque à cause du tabou qui enveloppe la sexualité des femmes dans le pays. Depuis, une campagne officielle bien discrète quand même rappelle que les Indonésiennes titulaires de leur carte de sécu (BPJS) peuvent bénéficier d’un frottis vaginal gratuit dans un certain nombre de labos du pays. Adieu Jupe !

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